Si l’on en croît l’adage consacré, l’exemple vient d’en haut. Nous y préférons pour notre part les mots éclairants de Nelson Mandela qui soutenait que
en faisant scintiller notre lumière, nous offrons aux autres la possibilité d’en faire autant.
Des mots qui ont pour nous une résonance toute particulière, nous qui croyons – en économie comme en société – en l’existence d’effets d’entraînement puissants, cercles vertueux qui peuvent rapidement devenir vicieux si le mérite laisse place au clientélisme, si l’intégrité cède du terrain à la corruption, si l’honorable est raillé et le respectable systématiquement mis au ban.
L’exemplarité est un combat collectif
Nous ne pensons pas que l’exemplarité, au sens de Christian Giordano, c’est à dire
l’ensemble de vertus destinées à être admirées et si possible imitées,
ne soit l’affaire que de l’élite, de « ceux d’en haut ». C’est un combat collectif, un ciment indispensable à la construction de sociétés qui fédèrent plus qu’elles ne divisent les corps qui la constituent. Mais, il faut bien l’admettre, la médiatisation dont bénéficient les corps de l’élite, dirigeants politiques comme d’entreprises, les place ipso facto face à des responsabilités particulières. Parce que leur lumière scintille davantage. Parce que leur potentiel d’irradiation est sans commune mesure avec celui des anonymes. Parce que c’est en quelque sorte le prix à payer de la notoriété et de l’exposition.
Le concept d’exemplarité a fait l’objet de nombreuses recherches en sciences sociales. En sciences de gestion, où le « rôle du manager » et « l’éthique des affaires » sont des thèmes de recherche et d’enseignement récurrents, il prend une dimension toute particulière. On ne compte plus les pages qui ont été rédigées sur le sujet et qui s’accordent sur le fait que la capacité d’entraînement du manager dépend en grande partie de sa capacité à incarner les valeurs qu’il cherche à transmettre à l’ensemble de ses collaborateurs.
Mais attention ! Dans une société qui a irrémédiablement changé, où souffle (fort) le vent du libéralisme, où les organisations deviennent de plus en plus hétérarchiques, le dirigeant commettrait une grave erreur stratégique s’il pensait pouvoir imposer ses normes et ses valeurs. On ne gagne pas la confiance ni ne suscite l’adhésion par un excès d’autorité. Une leçon que les partisans aveugles du 49-3 devraient méditer…
Ce qui nourrit la perte de confiance
Cela est d’autant plus vrai alors que nous traversons une période de défiance où les remises en cause politiques, économiques et sociales sont quotidiennes. Combien de temps encore parviendrons-nous à maintenir une cohésion au sein des organisations, entreprises comme sociétés, sans exemplarité ?
Est-il toujours possible de trouver un sens à l’effort collectif, de susciter une adhésion autour d’un projet commun de (création de valeur ou de construction de sociétés équitables) quand les rapports de force entre capital et travail sont à ce point déséquilibrés ? L’avis de tempête ne doit-il pas être décrété quand, à tous les niveaux, recule le consentement à l’effort (fiscal comme productif) ?
Et pourtant, c’est bien dans la tempête que l’on reconnaît les grands capitaines. Sans exemplarité, difficile en effet lorsque le bateau tangue d’exiger des efforts considérables au collectif pour conserver le cap et remplir les objectifs fixés. Si le dirigeant politique ou d’entreprise doit se reconnaître à sa faculté à pousser les autres à (bien) faire, alors l’exemplarité est un art qu’ils se doivent de maîtriser.
Le monde a changé. À l’heure des réseaux sociaux, l’information se propage à une vitesse fulgurante et souvent hors de tout contrôle. La masse des anonymes n’ignore plus rien de la gabegie et de l’incurie de l’exercice du pouvoir, ni des turpitudes des dirigeants. Mais de cela, ces derniers en ont-ils réellement pris conscience ? À la lumière de quelques événements récents, nous sommes en droit d’en douter fortement.
De quelques cas trop symptomatiques…
Thomas Thévenoud, atteint de « phobie administrative » et poursuivi par la Direction générale des finances publiques pour fraude fiscale, est toujours député de Saône-et-Loire ;
Carlos Ghosn, dont les émoluments annuels ont été confirmés par le conseil d’administration après avoir été pourtant désapprouvés par l’assemblée générale des actionnaires, est pour reprendre les termes de Jean-Philippe Denis, l’archétype du dirigeant devenu too big to fail à force d’abuser du chantage ;
Jérôme Cahuzac, jurant les « yeux dans les yeux » ne pas posséder de compte en Suisse, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale. Et éclaboussé une nouvelle fois par l’affaire dite des Panama papers ;
Thierry Lepaon, ex-Secrétaire général de la CGT, est toujours salarié de la centrale. En l’attente d’un hypothétique poste rémunéré à la future « Agence nationale de la langue française pour la cohésion sociale » (ça ne s’invente pas), dont on est en outre en droit de penser qu’elle pourrait être créée spécialement à son intention, il a perçu plus de 150 000€ de la centrale depuis sa démission ;
Agnès Saal, condamnée devant le tribunal correctionnel pour détournement de fonds publics (à hauteur de 7 500€, à comparer à une facture de taxis supérieure à 40 000€), a été contrainte à la démission de son poste de présidente de l’INA… pour mieux rebondir au ministère de la Culture en tant que « chargée de mission spéciale ».
Est-il utile d’ajouter à cet éventaire à la Prévert le cas de Denis Baupin, suspecté de faire passer le déjà bien documenté sexisme politique dans la dimension du harcèlement ? Rien de bien nouveau me direz-vous, tant les affaires de ce type se banalisent dangereusement, bien au-delà des affaires emblématiques Clinton, DSK et autres Georges Tron.
Être exemplaire, c’est aussi s’appuyer sur des institutions qui renvoient le sentiment d’impartialité et d’équité. Pour rester dans les affaires de mœurs, comment justifier le dénigrement à mots feutrés de la Fédération Française de Football envers Mathieu Valbuena, victime devenue coupable d’avoir porté le chantage à la sextape sur la place publique dans un milieu où le linge sale se lave traditionnellement en famille ? Cette même FFF qui faisait signer en 2013 une charte de bonne conduite « sur et en dehors des terrains » à tous les internationaux.
Quand la collectivité sort de sa torpeur
Nous l’affirmons : l’accumulation de ces pratiques au vu et au su de tous, et souvent en toute impunité, n’est plus acceptable. La malhonnêteté a un coût social que la collectivité est de moins en moins prête à supporter. Une collectivité qui s’interroge sur la mise en accusation systématique des lanceurs d’alerte qui, en usant parfois de moyens que le droit réprouve, font des choix courageux en faveur de la transparence dans les affaires comme en politique. Probablement parce qu’il est plus facile de faire taire quelques téméraires que de juguler efficacement les pratiques d’évasion et/ou d’optimisation fiscales des multinationales devenues expertes en matière de chantage à l’emploi…
Mais cette collectivité, masse d’anonymes interdits par le spectacle affligeant proposé par ses élites, sort lentement de sa torpeur. Car après le temps de la sidération vient toujours celui de la réaction. De « Nuit debout » (138 500 followers sur Facebook) à Laprimaire.org (près de 26 000 candidats citoyens), les signaux faibles ne manquent pas. Tous réclament l’exemplarité. C’est d’ailleurs bien là tout le paradoxe : car si tous les dirigeants de premier plan (ou les aspirants) se réclament exemplaires, on attend encore celui qui en fera un marqueur réel et objectif de son action. Et cela commence par l’inscrire explicitement dans son programme de campagne en 2017…