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Marc Chagall, Moi et le village huile sur toile, 1911.

Plaidoyer pour une transition spirituelle

Depuis plusieurs années de nombreux penseurs venant de différents horizons disciplinaires, professionnels, religieux ou nationaux, réfléchissent dans un esprit spirituel à des réformes nécessaires pour soigner la crise de la modernité, mais aussi de la postmodernité.

Beaucoup ont anticipé bien des phénomènes qui se déroulent aujourd’hui. On se limitera ici à présenter les propositions favorables à une transition spirituelle, et pas seulement économique ou écologique, émanant de milieux de différents horizons, de gauche comme de droite, environnementalistes, citoyens ou convivialistes.

Ces appels à des nouvelles façons de penser, mais aussi de se comporter de façon unie et plurielle, sociale et environnementale, responsable et solidaire sont des signes d’espérance. Voici trois exemples de réformes majeures qui pourraient enclencher un mouvement démocratique et vertueux vers un monde plus juste, plus intégré, plus fraternel.

Encourager la transition spirituelle des nations

On peut résumer la doctrine sociale des Églises chrétiennes en quelques mots : défense de la dignité et de l’intégrité des personnes ; appui à la famille comme cellule fondamentale de la vie sociale ; promotion de la démocratie participative et participation aux corps intermédiaires et aux institutions d’une société ; insertion de l’économie au service de la société et de l’environnement ; mise en équilibre du droit de propriété privée avec la protection des communs et la destination universelle des biens ; option préférentielle pour les pauvres et combat contre le sous-développement ; soutien des efforts de régulation et d’organisation universelle ; respect de la création et écologie intégrale.

La boussole de Kate Raworth met en œuvre ce respect des êtres humains et de la création en substituant une nouvelle boussole au PIB. Cette boussole permet de repérer les chemins vers « l’équilibre prospère » de la nouvelle économie à l’âge de l’anthropocène.

Elle propose une double série de critères, qui ne se limite pas, selon l’expression du patriarche orthodoxe Bartholomée « au fétichisme des indices économiques » par deux cercles concentriques.

Au niveau extérieur, elle mesure les excès de pression sur les systèmes sources de vie tels que l’acidification des océans, le changement climatique, l’appauvrissement de la couche d’ozone, la pollution chimique, la perte de biodiversité, etc. Au niveau intérieur, elle établit les nécessités de la vie dont personne ne devrait manquer, à savoir les niveaux d’éducation, de santé, de logement, de nourriture, de paix et de justice, etc.

La substitution de la boussole du développement harmonieux au PIB, le passage d’une économie classique à une économie intégrale n’est que le premier pas vers une transition plus globale des nations du monde qu’on souhaiterait spirituelle, c’est-à-dire paisible, participative et solidaire. La société française va être appelée à faire prochainement des choix stratégiques importants, notamment par le truchement des élections présidentielles de 2022.

Il sera indispensable d’organiser comme le suggèrent les Semaines sociales de France un grand débat sur le thème d’une « société à reconstruire » pour fixer les objectifs et les moyens d’y parvenir. Le débat pourrait porter par exemple sur la définition des besoins vitaux de la population et sur les moyens de lui garantir satisfaction.

On devra aussi probablement interroger la population sur le nombre raisonnable de kilomètres de transport en avion par an et par personne au-delà duquel une juste écotaxe pourrait être appliquée. Il faudra également débattre des moyens d’éduquer et de réguler les désirs les plus irrationnels et irresponsables des individus. Ceci suppose peut-être d’adopter une loi sur la publicité licite dans l’espace public ainsi que sur l’obsolescence programmée.

Il serait aussi profitable d’étudier avec attention la suggestion du pape François d’accorder un revenu décent à tous les travailleurs indépendants et d’organiser des débats et des consultations sur ce sujet. Le pape écrit :

« Vous les travailleurs informels, indépendants ou de l’économie populaire, n’avez pas de salaire fixe pour résister à ce moment… et les quarantaines vous deviennent insupportables. Sans doute est-il temps de penser à un salaire universel qui reconnaisse et rende leur dignité aux nobles tâches irremplaçables que vous effectuez, un salaire capable de garantir et de faire de ce slogan, si humain et chrétien, une réalité : pas de travailleur sans droits. »

Nul doute également que, pour faciliter la transition spirituelle, de nouveaux mécanismes de financement doivent être conçus et mis en œuvre. L’économiste suisse Marc Chesney demande aux pays de l’OCDE d’interdire tout transfert en provenance ou à destination d’un paradis fiscal (il inclut parmi eux l’État du Delaware aux États-Unis, mais aussi le Luxembourg).

Il propose également un impôt minimal de 0,2 % sur tous les paiements électroniques, ce qui reste encore très faible selon lui en comparaison du taux de TVA. Pour donner une idée des flux qu’un tel impôt pourrait générer, l’exemple de la Suisse donné par Chesney est particulièrement intéressant.

« En 2013 les transactions électroniques atteignaient le montant pharaonique d’au moins 100 000 milliards de francs suisses, soit près de 160 fois le PIB du pays. Un impôt ne serait-ce que de 0,2 % sur chacun de ces transferts électroniques aurait rapporté 200 milliards de francs, c’est-à-dire un peu plus du tiers du PIB suisse. Ce montant est supérieur à la somme de tous les impôts perçus dans ce pays, à savoir environ 140 milliards de francs. »

Des formations pour stimuler de nouveaux comportements respectueux et fraternels

Le temps est venu en Europe de développer des programmes de recherche transdisciplinaires qui puissent favoriser l’évolution spirituelle des nations en intégrant les différents niveaux de conscience.

On pourrait imaginer des formations, au moyen notamment de MOOC en plusieurs langues, sur l’écologie intégrale, sur l’économie bleue ou encore sur le biomimétisme. La réflexion du pape François dans Laudato si, celle du patriarche Bartholomée, celle des 345 Églises réunies au sein du Conseil Œcuménique des Églises, mais aussi celle d’entrepreneurs ou d’universitaires venant de différents horizons nationaux et religieux pourrait ainsi être enseignée et étudiée au-delà des cercles religieux.

Selon le pape François, « quand on propose une vision de la nature uniquement comme objet de profit et d’intérêt cela a aussi de sérieuses conséquences sur la société ». (Laudato si, n°82)

C’est pourquoi la crise des démocraties modernes, qui ont perdu les chemins secrets unissant les idéaux « d’harmonie, de justice, de fraternité et de paix », est liée à la perte de la philo-sophie authentique qui consiste à considérer l’homme comme un microcosme et le monde comme un buisson ardent pénétré par la lumière divine.

Pour contrer le mythe moderne de l’autonomie radicale de l’homme à l’origine de ces conséquences désastreuses, le pape François propose une anthropologie plus équilibrée et plus intégrée. « On ne peut pas exiger de l’être humain, écrit-il, un engagement respectueux envers le monde si on ne reconnaît pas et ne valorise pas en même temps ses capacités particulières de connaissance, de volonté, de liberté et de responsabilité ». (LS, n°118)

Ces leaders religieux, mais aussi ces entrepreneurs et ces universitaires de différentes nationalités et de différentes confessions contribuent de la sorte à une « révolution du regard ». Celle-ci doit encore être accompagnée d’un apprentissage de la sobriété et de la fraternité, d’une éducation à la liberté et au service, qui seules permettront l’avènement d’une authentique économie de communion.


Cet article est le troisième et dernier d’une série menée dans le cadre d’une réflexion du Collège des Bernardins sur le thème : « Examen de conscience. Penser demain ». Un webinaire a été organisé le jeudi 2 juillet 2020 de 18 à 19h, afin de nourrir la réflexion.

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