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Montréal est la deuxième ville la plus congestionnée au Canada avec un total de 145 heures perdues per capita dans le trafic à l’heure de pointe, en 2018. Shutterstock

Plus de capacité routière, plus de trafic : il faut revenir à la loi fondamentale de la congestion pour mieux la combattre

Lors d’un séjour aux États-Unis, j’ai été étonnée d’entendre un responsable de la planification des transports d’une grande métropole américaine affirmer que la congestion routière n’était pas un problème, car elle était un signe de vitalité économique.

Certains disaient même qu’aspirer à une absence de congestion n’est pas souhaitable, car le réseau routier est conçu pour absorber le pic de trafic à l’heure de pointe du matin. Ne pas avoir de congestion signifie donc que le réseau est en surcapacité.

Pourtant, les coûts environnementaux, sociaux et économiques liés à la congestion routière sont bien réels et affectent quotidiennement la santé, la qualité de vie et le portefeuille de tous les contribuables.

Les conséquences de la congestion routière se mesurent généralement en temps additionnel de déplacement, auquel sont associés les coûts liés à l’utilisation additionnelle des véhicules (carburant, usure et entretien).

Des coûts de 4,2 milliards à Montréal

Certaines études comptabilisent également les émissions de gaz à effet de serre (GES) et les conséquences des accidents supplémentaires générés par le temps additionnel passé dans le trafic. La congestion entraîne également d’autres coûts directs et indirects comme l’usure prématurée des routes et l’impact sur la santé des populations.

Circulation dense sur le pont Jacques-Cartier, à Montréal, le 18 mai 2017.

Montréal serait la deuxième ville la plus congestionnée au Canada, avec un total de 145 heures perdues per capita dans le trafic à l’heure de pointe, en 2018. Elle arrive après Toronto, qui occupe le premier rang des villes canadiennes (167 heures perdues). Québec occupe le neuvième rang (85 heures perdues).

Hausse des émissions de GES

La congestion routière accroît aussi la pollution atmosphérique produite par la combustion des énergies fossiles, ce qui a pour conséquences un accroissement des problèmes respiratoires, des décès prématurés ainsi que plusieurs types de cancers, et ce, particulièrement pour les populations limitrophes, souvent défavorisées.

Les véhicules à essence et au diesel émettent également du dioxyde de carbone (CO2), un puissant GES responsable du réchauffement climatique. Au Canada, l’ensemble du secteur des transports est la deuxième plus importante source d’émissions de CO₂, représentant 28 % des émissions totales.


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Au Québec, le transport représente 43 % des émissions totales de GES en 2016, dont 80 % provenaient des transports routiers. Ces émissions ont augmenté de 52 % entre 1990 et 2016.

Bien que les émissions de GES attribuables à la congestion routière ne soient pas systématiquement inventoriées, celles-ci servent souvent à justifier les nouveaux projets routiers. Mais pourquoi la congestion persiste-t-elle, malgré les interventions gouvernementales visant à la réduire ?

Construisez des routes et ils vont conduire !

La réponse des gouvernements aux problèmes de congestion a généralement été de construire de nouvelles routes ou d’élargir les routes existantes. Or cette mesure s’avère inefficace, car l’augmentation de la capacité ne fait qu’accroître l’utilisation des véhicules.

Les nouvelles routes engendrent une demande supplémentaire équivalente à la nouvelle capacité. Ce quasi-équilibrage naturel entre la demande et l’offre explique le fait que les voies atteignent les niveaux de congestion pré-expansion entre cinq et dix ans après la construction de nouvelles voies.

Ce qu’Anthony Downs avait appelé « la loi fondamentale de la congestion autoroutière » en 1962 a depuis été confirmé par un grand nombre d’études scientifiques.

Le nouveau trafic causé par l’augmentation de la capacité routière, communément appelé la « demande induite », provient de quatre sources : l’augmentation du trafic commercial, le changement des habitudes de déplacement, la migration de la population, et, dans une moindre mesure, le détournement du trafic provenant d’autres voies.

Une augmentation du temps de déplacement

À court terme, le nouveau segment routier diminue les temps de déplacement, donc les coûts, ce qui incite les individus et les entreprises à voyager davantage, à changer d’heure de départ ou d’itinéraire, à choisir la voiture plutôt que les transports en commun, ou à déménager plus loin des lieux d’emploi.

Cette augmentation de la demande vient donc, à moyen terme, compenser de manière proportionnelle la nouvelle offre routière, et, du même coup, la réduction des émissions de GES qui auraient pu être associée à une diminution de la congestion.

Qui plus est, le réseau routier peut ne pas être utilisé à sa capacité optimale, car les usagers prennent une décision individuelle quant à l’itinéraire le plus rapide pour leur déplacement, et ce, indépendamment des choix des autres. Ces décisions peuvent ne pas correspondre à l’optimal social. Ainsi, l’ajout d’une voie de circulation peut augmenter le temps total de déplacement sur l’ensemble du réseau (et vice-versa), d’où la nécessité de coordonner les déplacements individuels.

Ajouter des routes n’améliore pas l’économie

Un autre argument souvent évoqué pour justifier l’augmentation de la capacité routière est celui de la création d’emploi et du développement économique. Bien que les infrastructures routières créent de l’emploi lors de leur construction, la plupart des études n’ont pas observé de lien entre l’augmentation de la capacité routière et l’activité économique. En effet, c’est plutôt un déplacement de l’activité économique à travers une même région métropolitaine qui est constaté.

Par exemple, les entreprises exportatrices vont être localisées le long de la nouvelle infrastructure routière, mais cela n’aura pas d’effet important sur la valeur totale de leur production.

Augmenter le transport collectif ne suffit pas

L’augmentation des transports en commun est souvent mise de l’avant comme étant la principale solution alternative à la construction de voies additionnelles ou de nouvelles routes. Cependant, conformément à la loi fondamentale de la congestion, l’espace libéré par l’utilisation des transports collectifs est, ultimement, compensé par la demande additionnelle qu’il crée. Ainsi, les transports collectifs ne suffisent pas à réduire la congestion.

En fait, si l’objectif est de faire diminuer le trafic automobile, la seule méthode efficace du côté de la gestion de l’offre est la réduction de la capacité routière, car la loi de la congestion routière fonctionne également en sens inverse : on fait référence alors à la « demande réduite ». En plus de faire diminuer la demande de déplacements, le retranchement du nombre de voies et la restriction de la circulation comportent également des bénéfices sociaux, environnementaux et économiques mesurables et documentés.

L’ajout de nouveaux modes de transport collectif ne réglera pas les problèmes de congestion. Shutterstock

Mesures écofiscales

D’autres mesures permettent de gérer la demande en transport. D’abord, l’imposition de mesures écofiscales, comme la taxe sur l’essence, la tarification au kilométrage et la taxe sur les stationnements, peuvent contribuer à réduire l’utilisation des véhicules.

Ainsi, une étude révèle qu’augmenter la taxe sur l’essence à 0,46$/L au Québec et instaurer une tarification routière de 0,15$/km dans le Grand Montréal permettrait d’atteindre le quart de la cible québécoise de la réduction des émissions des GES provenant des transports, en plus d’augmenter l’utilisation des transports collectifs de presque 40 %.

L’écofiscalité incite également les automobilistes à emprunter les modes de transports collectifs et actifs, pour autant que ces choix s’offrent à eux.

Le télétravail, les horaires variables, la gestion du stationnement et les politiques de croissance dite « intelligente », permettent aussi de réduire les distances de déplacement et la nécessité ou la volonté de les effectuer en automobile. Ces mesures ont des conséquences positives sur la santé publique, la qualité de vie urbaine, les valeurs foncières, la consommation locale, etc.

Les choix de planification les plus efficaces ne sont pas toujours les plus populaires. Pour les faire accepter, les décideurs doivent agir au bon moment, avoir recours à l’expertise technique, réaliser des projets pilotes, trouver des alliés, compenser les inconvénients et travailler avec les divers paliers de gouvernement.

Ce texte est une version abrégée d’un texte publié originalement dans la revue Le Climatoscope

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