Moins cultivées et consommées, les pois chiches, le millet ou la courge sont des cultures dites mineures. Elles sont pourtant moins demandeuses en engrais et en pesticides et présentent des apports nutritionnels intéressants à intégrer à notre alimentation, en particulier dans la restauration collective et pourquoi pas les cantines scolaires.
En France, 83 % des surfaces cultivées sont occupées par cinq cultures seulement : blé, orge, maïs, colza et tournesol. Cette prédominance d’une poignée de végétaux ne permet pas de réduire efficacement notre dépendance aux pesticides et aux engrais minéraux.
Parmi les solutions existantes pour diversifier notre agriculture, connaissez-vous les cultures mineures, à savoir celles qui comptent moins de 20 000 hectares en France ? C’est le cas du pois chiche, du pois carré ou de la courge, qui pourraient si on les développait davantage, remettre de la diversité dans nos paysages et améliorer la durabilité de notre agriculture.
En effet, une plus grande diversité d’espèces cultivées permet de rompre le cycle des adventices, des maladies et des ravageurs, de limiter leur occurrence et donc l’utilisation de pesticides. En outre, quand les nouvelles cultures sont des légumineuses ou d’autres cultures peu exigeantes en nutriments (par exemple, le millet), elles ne nécessitent pas ou peu d’engrais azotés.
Pour l’heure, malheureusement, un verrouillage sociotechnique contraint le déploiement à grande échelle de ces cultures mineures. Mais la restauration collective pourrait jouer un rôle de levier.
Des cultures boudées par le secteur et les consommateurs
Si ces cultures mineures peinent à se faire une place, c’est que l’ensemble du secteur agricole (recherche agronomique, formation et accompagnement à la production, sélection variétale et production de semences, production agricole, collecte, transformation et distribution des produits) est en effet organisé autour de quelques cultures.
Les sélectionneurs ont abandonné les cultures mineures faute d’un marché suffisant, empêchant tout progrès génétique à large échelle. Les agriculteurs, tout comme les conseillers qui les accompagnent, n’ont souvent pas été formés et n’ont pas la coutume et les repères pour les cultiver.
Quant aux organismes stockeurs comme les coopératives, ils collectent rarement de petites quantités car ils privilégient les économies d’échelle. Les consommateurs, enfin, n’ont pas non plus l’habitude de les acheter, les cuisiner et de les manger.
[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]
La restauration collective, levier puissant ?
Nous l’avons montré dans un précédent article, il est possible d’engager un mouvement vers la durabilité quel que soit le modèle de restaurant collectif, de quelques dizaines de repas par jour à plusieurs milliers, en cuisine sur place ou en cuisine centrale.
Cela passe notamment par des pratiques d’approvisionnement plus durables, tant sur la gamme que sur le mode de production des ingrédients achetés. Alors, certes, la restauration collective avec ses 3,5 milliards de repas par an ne sauvera pas l’agriculture française, mais elle peut être un formidable levier pour développer les cultures mineures dans les champs et dans les assiettes.
Il faut pour cela que les cultures mineures sélectionnées aient des intérêts agronomiques et environnementaux, sans générer trop de contraintes de travail pour les agriculteurs et les cuisiniers, et sans perturber la texture et le goût des plats pour les convives.
Trois scénarios pour le pois chiche, le millet et la courge
Dans une étude, nous avons évalué les surfaces additionnelles qui seraient nécessaires si la restauration collective intégrait plus systématiquement des produits des cultures mineures.
Nous avons retenu trois cultures mineures relativement aisées à cultiver – le pois chiche, le millet et la courge – et un mode de production biologique. Nous avons considéré que la farine de pois chiche, le millet et la courge, 3 produits faciles à travailler en cuisine, étaient introduits en substitution partielle de produits de 3 cultures majeures : farine de blé tendre, semoule de blé dur et pomme de terre. Avec des cuisiniers de restauration collective, nous avons défini un taux de substitution de 30 % n’induisant ni problèmes de préparation, ni de goût ou de texture pour les convives.
Nous avons ensuite exploré trois scénarios :
une intégration modeste : les produits des cultures mineures sont incorporés dans une seule recette d’une seule composante d’un repas (c’est-à-dire une entrée, un plat principal ou un dessert) servie une fois tous les 20 jours ;
une intégration moyenne : les produits des cultures mineures sont introduits à chaque fois que l’aliment de référence est utilisé, c’est-à-dire dans plusieurs composantes des repas et plusieurs fois par cycle de 20 jours ;
une intégration forte : ce scénario complète le précédent en ajoutant les produits des cultures mineures dans des préparations encore inhabituelles.
Farine de pois chiches ou millet dans la semoule
En substituant la farine des pois chiche biologique à 30 % de la farine de blé, avec une part de cake servie tous les 20 jours dans les cantines, ce sont près de 900 ha supplémentaires de pois chiche qui seraient nécessaires en France. Remplacer systématiquement 30 % de la farine de blé par de la farine de pois chiche dans les entrées, les plats et les desserts, demanderait 4 000 ha supplémentaires, soit environ 1/5 des surfaces actuelles en plus. Et 21 000 autres hectares seraient à cultiver si l’on incorpore du pois chiche dans des préparations innovantes, par exemple des panisses.
Introduire 30 % de millet biologique dans de la semoule de blé dur tous les 20 jours dans les cantines exigerait par ailleurs 1 350 ha supplémentaires de millet en France. En remplaçant systématiquement 30 % de la semoule par du millet, ce sont plus de 3 000 hectares supplémentaires qui seraient nécessaires, et jusqu’à plus de 5 500 hectares lorsque le millet est aussi ajouté à des d’autres recettes, comme des gâteaux.
Enfin, en remplaçant 30 % des pommes de terre par de la courge biologique dans une soupe servie tous les 20 jours dans les cantines, près de 1 000 ha de courge en plus seraient à faire pousserdans le pays En troquant systématiquement 30 % des pommes de terre par de la courge dans les entrées, les plats et les desserts, ce sont plus de 3 400 ha additionnels qu’il faudrait récolter. Et en intégrant de la courge dans des préparations innovantes (par exemple des gâteaux), nous aurions besoin de cultiver plus de 7 000 hectares additionnels.
Des bienfaits aussi nutritionnels
Substituer le pois chiche et le millet au blé tendre et au blé dur revient à favoriser des cultures plus adaptées au changement climatique, ayant un moindre impact environnemental en particulier quant à l’usage d’engrais ou de pesticides.
Mais l’intérêt des cultures mineures est aussi à trouver dans leurs apports alimentaires. Ainsi, les tables de composition nutritionnelle des aliments indiquent que la farine de pois chiche contient 4 fois plus de fibres que de la farine de blé multi-usages de type T45 et 3 fois plus que de la farine de blé T65. La courge contient 4230 µg/100 g de Bêta-carotène contre seulement 1 µg/100 g pour la pomme de terre.
L’une des principales limites des cultures mineures demeure leur faible productivité surfacique, conséquence d’un désinvestissement massif de la recherche-développement sur ces espèces depuis de nombreuses années. Mais plusieurs appels à projets de recherche, notamment au niveau européen, ont permis de relancer des travaux en la matière.
En conclusion, cette étude révèle que les cantines peuvent participer à la transformation des paysages agricoles, et ce sans générer de contraintes de travail pour les agriculteurs et les cuisiniers. Pour passer du scénario à l’action, il convient désormais de lever les verrous sociotechniques qui freinent le déploiement à grande échelle de telles solutions agroécologiques.
Lise Pujos, co-autrice de cette étude, est employée par Ecocert France. Les autres auteurs déclarent que l’étude a été menée en l’absence de relations commerciales ou financières pouvant être interprétées comme un conflit d’intérêts.