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Marwah Rizqy et Dominique Anglade
La députée libérale Marwah Rizqy n compagnie de Dominique Anglade, en août 2022, à Saint-Agapit. Les menaces de mort répétées dont a fait l’objet Mme Rizqy ont entraîné l’arrestation d’un homme. La Presse Canadienne / Jacques Boissinot

Pour en finir avec le harcèlement contre les femmes en politique

Voilà cinq ans, des femmes du monde entier ont commencé à divulguer publiquement sur les médias sociaux leurs expériences d’agression et de harcèlement sexuels en utilisant le mot-clic #MeToo (#MoiAussi).

Cet anniversaire nous donne l’occasion de réfléchir à la manière dont le Canada a géré son propre mouvement #MoiAussi et, plus précisément, la misogynie dans la politique canadienne.

Les événements de 2017 sont survenus 11 ans après la fondation du mouvement #MeToo par Tarana Burke, qui cherchait à sensibiliser la population à la violence que subissent les femmes et les filles noires aux États-Unis. Le mot-clic #MeToo est devenu viral en octobre 2017 après que des allégations d’inconduite sexuelle contre le magnat d’Hollywood Harvey Weinstein ont été rendues publiques.

Cinq ans plus tard, que savons-nous au sujet de la violence sexiste qui sévit dans le monde politique au Canada ?

Tout d’abord, la violence et le harcèlement n’ont pas diminué ; ils se sont même plutôt intensifiés dans le milieu politique canadien.

En réaction aux menaces croissantes et aux préoccupations en matière de sécurité des membres du Parlement canadien, le ministre de la Sécurité publique a annoncé en juin 2022 que tous les députés allaient recevoir des « boutons d’alerte » pour leur sécurité personnelle.

Lors des élections fédérales de 2021, l’analyse des gazouillis reçus par les candidats sortants et les chefs de parti effectuée par le Centre Samara pour la démocratie montre que 19 % de ces messages étaient malsains, c’est-à-dire qu’ils étaient incivils, insultants, hostiles, menaçants ou grossiers.

Si les politiciens de tous horizons sont pris pour cible, les femmes, les Autochtones, les Noirs, les personnes racisées et les queers sont les plus touchés par les attaques contre la démocratie canadienne.

Agression contre Chrystia Freeland

En août 2022, un homme a interpellé la ministre des Finances Chrystia Freeland et son entourage composé uniquement de femmes devant un ascenseur de l’hôtel de ville de Grande Prairie, en Alberta, et lui a lancé des insultes et des jurons.

Cet incident a incité d’autres politiciennes à parler du harcèlement qu’elles subissent.

La mairesse de Calgary, Jyoti Gondek, a fait part sur Twitter du harcèlement qu’elle a vécu, tandis que Marwah Rizqy, députée libérale du Québec, a révélé publiquement le harcèlement et les menaces dont elle a fait l’objet récemment.

À l’automne, Mme Rizqy a reçu des menaces de mort, notamment de la part d’un homme qui aurait appelé la police pour lui indiquer où se trouvait son cadavre. Elle était alors enceinte.

Quelques semaines plus tard, des gens ont lancé une campagne de harcèlement en ligne visant des femmes journalistes – dont plusieurs qui sont racisées.

Menaces violentes

Dans tous ces cas, les harceleurs ont eu recours à un langage, à des images ou à des accessoires violents, misogynes ou racistes pour rabaisser, intimider et menacer leurs cibles.

Nous avons également appris que certains dirigeants politiques semblent prêts à utiliser la haine inscrite dans notre culture politique à des fins partisanes.

Un homme avec des cheveux bruns et des lunettes en train de parler
Le chef conservateur Pierre Poilievre se lève pendant la période des questions à la Chambre des communes en octobre 2022. La Presse canadienne/Adrian Wyld

En octobre 2022, Global News a rapporté qu’un mot-clic misogyne caché avait été inséré dans 50 des plus récentes vidéos YouTube du chef conservateur Pierre Poilievre.

Le mot-clic MGTOW (pour « men going their own way » ou « hommes qui choisissent leur propre chemin ») fait référence à un mouvement antiféministe en ligne qui prône la suprématie masculine.

Lorsqu’on l’a interrogé à ce sujet, M. Poilievre a dit condamner toutes les formes de misogynie, mais n’a pas présenté d’excuses.

Silence et exclusion

Des études démontrent que lorsque des femmes politiques, des employées, des militantes et des journalistes sont victimes de harcèlement simplement parce qu’elles sont des femmes, cela constitue une menace pour la démocratie.

Mona Lena Krook, politologue à l’Université Rutgers, a affirmé que l’objectif de la violence contre les femmes de la sphère politique est de les réduire au silence et de les exclure de la vie publique.

Comme l’indiquent mes recherches menées en collaboration avec Cheryl Collier, de l’Université de Windsor, la violence et le harcèlement constituent des obstacles à la participation des femmes à la vie politique canadienne et sapent les valeurs démocratiques, telles que la parité dans la représentation et la participation.

Après l’élection fédérale de 2021, les femmes détenaient 30,5 % des sièges à la Chambre des communes. Aujourd’hui, le Canada se classe 61ᵉ sur 190 pays en matière de représentation politique des femmes.

Un groupe d’hommes et de femmes posent pour une photo
Des femmes ministres des Affaires étrangères, dont Chrystia Freeland, posent pour une photo lors d’une conférence à Montréal en 2018. La Presse canadienne/Graham Hughes

Des avancées

Heureusement, les femmes canadiennes bénéficient de certaines avancées.

En 2018, le gouvernement libéral fédéral a adopté le projet de loi C-65 qui actualise et renforce la législation existante pour prévenir et combattre le harcèlement et la violence dans tous les lieux de travail sous réglementation fédérale. Cela inclut le Parlement.

En 2021, en réponse au projet de loi C-65, la Chambre des communes et le Sénat ont mis à jour leurs politiques pour prévenir et traiter la violence et le harcèlement.

Depuis le mouvement #MoiAussi, de nombreuses assemblées législatives provinciales et territoriales ont également adopté des codes de conduite ou des politiques pour lutter contre le harcèlement sexuel.

Bien que ces politiques et ces codes ne suffisent pas et que des mesures supplémentaires soient nécessaires, l’attention des médias et du public depuis #MoiAussi sur le harcèlement et la violence au travail a suscité des changements au sein de ces législatures.

Une foule manifeste
Une grande foule se rassemble au square Nathan Phillips pour le début de la marche des femmes de Toronto, en janvier 2019. La Presse canadienne/Tijana Martin

Mais cela ne suffit pas. Les ententes de confidentialité dans les cas de harcèlement et de violence doivent être interdites dans toutes les organisations et sur tous les lieux de travail, y compris dans les assemblées législatives. Cependant, l’interdiction de ces ententes ne suffira pas non plus à mettre fin aux comportements non éthiques.

Comme le montrent mes recherches avec Mme Collier, les institutions politiques – qui demeurent principalement blanches, cisgenres et dominées par les hommes – doivent en faire davantage pour éradiquer leurs cultures sexistes et d’exclusion.

Les législateurs doivent adopter des stratégies visant à perturber les « réseaux de complicité » qui protègent les puissants et permettent les comportements abusifs. Des processus totalement impartiaux et transparents, qui traitent toutes les formes de violence et imposent des sanctions sérieuses aux auteurs de violences ou de harcèlement, sont nécessaires.

La démocratie attaquée

Il convient également d’aborder le harcèlement des journalistes, des candidats politiques, des employés et des élus par une petite faction du public.

Une attaque contre un responsable politique doit être considérée comme une attaque contre la démocratie canadienne et ne devrait pas être tolérée dans une société libre et démocratique.

Enfin, les partis politiques doivent améliorer le recrutement et l’élection de personnes d’origines diverses à des fonctions publiques.

Au moment du 10e anniversaire du mouvement #MoiAussi, en 2027, la démocratie canadienne sera, espérons-le, renforcée par les mesures que nous prenons aujourd’hui pour mettre fin à la violence et au harcèlement en politique.

This article was originally published in English

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