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La médaillée d'argent du 800 mètres féminin Margaret Nyairera Wambui, à gauche, serre la main de la médaillée d'or Caster Semenya sur le podium des Jeux du Commonwealth 2018 en Australie. Les deux coureuses ont refusé de prendre des médicaments réducteurs d'hormones pour pouvoir participer aux Jeux olympiques de Tokyo. (AP Photo/Mark Schiefelbein)

Pour en finir avec les tests de féminité aux Jeux olympiques

Même si les athlètes et les défenseurs des droits de la personne pensaient réussir à le faire abolir pour de bon, le test de féminité réapparaît à chaque Jeux olympiques. Or cette pratique a des effets désastreux pour les athlètes féminines du monde entier.

Le test a été introduit dans les années 1930 pour éliminer les « athlètes féminines anormales ».

Dans les années 1960, lorsque les femmes ont commencé à s’opposer aux « parades nues » qu’imposait le test, la réponse officielle n’a pas été l’abolition, mais plutôt le remplacement de cette pratique par l’analyse hormonale.

Des féministes, des athlètes, des généticiens, des éthiciens et des gouvernements nationaux ont protesté, mais il a fallu attendre les années 1990 pour que la Fédération internationale d’athlétisme amateur (aujourd’hui connue sous le nom de World Athletics) et le Comité international olympique mettent fin au test.

Les petits caractères

Cette décision aura pourtant été de courte durée. Dans les petits caractères de ces décisions, les organes directeurs se réservaient le droit de reprendre les tests sur les femmes considérées « suspectes ».

Après le triomphe de la coureuse de demi-fond sud-africaine Caster Semenya aux championnats du monde de Berlin en 2009, la World Athletics et le Comité international olympique (CIO) ont institué un test d’« hyperandrogénie » qui fixe à 10 nanomoles la quantité de testostérone naturelle qu’une femme peut posséder pour rester qualifiée.

En 2014, la sprinteuse indienne Dutee Chand a été montrée du doigt pour ce test et suspendue au moment où elle finalisait sa préparation pour les Jeux du Commonwealth, à Glasgow. Avec l’aide des universitaires Payoshni Mitra et Katrina Karkazis, de la Sport Authority of India et des avocats torontois Jim Bunting et Carlos Sayao, Dutee Chand a fait appel au Tribunal arbitral du sport (TAS), parfois appelé la Cour suprême du sport international. Elle a gagné.


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L’athlète, avec un drapeau indien drapé sur ses épaules, lève un bras pour saluer la foule.
L’Indienne Dutee Chand célèbre après sa deuxième place en finale du 100 mètres féminin lors des Jeux asiatiques 2018 en Indonésie. AP Photo/Ashley Landis

Le TAS a annulé la suspension de Chand et la politique elle-même, sous prétexte que les preuves scientifiques présentées par l’organisme d’athlétisme n’étaient pas convaincantes. Le CIO a annulé le test et Chand et Semenya ont tous deux participé aux Jeux olympiques de Rio. En 2016, Semenya a triomphé à nouveau à l’épreuve du 800 mètres.

Protection à court terme

Cependant, l’optimisme selon lequel le TAS se révélerait un protecteur efficace des droits des femmes s’est avéré de courte durée. En 2018, World Athletics a imposé un seuil révisé de cinq nanomoles de testostérone naturelle pour les cinq épreuves dans lesquelles Semenya court – allant du 400 mètres au 1,6 km – et l’a rapidement suspendue. Elle aussi a fait appel devant le TAS, évoquant le motif que ses droits fondamentaux en tant que femme avaient été violés.

Semenya a présenté de nombreuses preuves démontrant que le test avait poussé de nombreuses autres femmes à abandonner le sport, leur avait volé leurs moyens de subsistance, les avait exposées au ridicule et au harcèlement et, dans certains cas extrêmes, les avait forcées à subir une intervention médicale inutile et irréversible, y compris une opération chirurgicale. La plupart des athlètes concernées étaient originaires des pays du Sud.

Elle n’a pas eu gain de cause. Si le TAS a reconnu que le nouveau règlement était discriminatoire, il a affirmé que les droits de la personne ne relevaient pas de son mandat.

Semenya a depuis fait appel auprès de la Cour européenne des droits de la personne, mais aucune décision n’a été annoncée.

La décision de World Athletics signifie que Semenya peut participer à l’épreuve du 5 000 mètres sans avoir à suivre un traitement pour réduire sa testostérone naturelle. Bien qu’elle soit l’actuelle championne sud-africaine du 5 000 mètres, elle n’a pas été en mesure de satisfaire à la norme de qualification olympique. Cela signifie qu’elle ne participera pas aux Jeux de Tokyo.

Plan rapproché de Semenya au milieu d’un groupe d’autres coureurs, à mi-course
Caster Semenya sur le point de remporter le 5000 mètres aux championnats nationaux d’Afrique du Sud en avril. Toutefois, elle n’a pas été en mesure de respecter le temps standard olympique pour pouvoir participer aux Jeux olympiques de Tokyo. AP Photo/Christiaan Kotze/File

La persistance de ce test, malgré la condamnation du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, de Human Rights Watch, de l’Association médicale mondiale et de nombreux organismes scientifiques et universitaires, expose douloureusement la rhétorique vide des droits de la personne du CIO. Il n’existe aucune base scientifique, juridique ou éthique pour de tels tests.

Une histoire d’ignorance

Comme l’a reconnu le responsable de longue date de l’athlétisme et membre du CIO Arne Lundqvist au TAS : « Il y a eu une longue histoire d’ignorance. »

La manière dont ces politiques ont été élaborées va à l’encontre des normes internationales en matière de vérification indépendante, de preuves et de consultation des personnes concernées.

Le fait que Semenya, double médaillée d’or olympique et triple championne du monde et l’une des athlètes les plus charismatiques du monde, n’ait pas été autorisée à défendre son titre de championne du 800 mètres sur la simple base de stéréotypes infondés constitue une tache sur les Jeux olympiques de Tokyo.

Donner le pouvoir à des organismes sportifs non responsables, conseillés par des médecins présélectionnés, d’exclure certaines femmes sur la base de leur perception personnelle de la féminité est à la fois malavisé et injuste. Le test de sexe devrait être aboli une fois pour toutes et l’auto-identification du sexe devrait devenir la base de l’éligibilité aux épreuves féminines des Jeux.

Accent sur les droits de l’homme

Comment abolir le test de féminité ? La solution la plus évidente est de suivre l’exemple de Semenya et de gagner les droits des femmes sous la bannière des droits de la personne. Human Rights Watch a suggéré que le CIO adopte les [principes directeurs des Nations unies] relatifs aux entreprises et aux droits de la personne, qui exigent la mise en place d’un mécanisme juridique formel pour entendre et traiter les plaintes.

Bien que la Charte olympique proclame que « la pratique du sport est un droit de la personne », le CIO n’a fourni aucun mécanisme pour faire respecter les droits de l’homme, affirmant qu’en tant qu’organisation privée, il jouit de « l’autonomie du sport » par rapport aux gouvernements et aux principes des droits de la personne. Or, de plus en plus d’études contestent cette affirmation.

Le CIO semble aller dans la bonne direction, en évoquant la notion d’« autonomie responsable » et en exigeant que les droits des travailleurs et des citoyens soient protégés lors de l’organisation des Jeux olympiques de 2024, à Paris, et de 2028, à Los Angeles.

Mais elle semble réticente à imposer des exigences ou des protections en matière de droits de la personne à Tokyo ou aux Jeux olympiques d’hiver de 2022 à Pékin. Elle continue de restreindre les droits des athlètes à la liberté d’expression dans les révisions récemment annoncées de la règle 50 qui régit la conduite aux Jeux.

J’aimerais qu’il y ait une autre solution, mais pour mettre fin au test de féminité une fois pour toutes, nous devons d’abord gagner la bataille des droits de la personne aux Jeux olympiques.

This article was originally published in English

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