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Pour une politique transversale en faveur de la société de la longévité : penser la transition démographique

Une vie de plus en plus longue. Rain Moth Gallery/Flickr, CC BY

Réflexion en trois parties autour des mutations nécessaires pour inventer une société équitable et efficiente de la longévité. Il s’agit de développer une vision politique des transitions démographiques en cours et de penser la société et l’économie de la longévité. Partie I : Penser la transition démographique.


Depuis l’été 2017, la question du vieillissement a fait son retour dans l’agenda médiatique, et, donc, politique. À preuve, le président de la République a dû aborder le sujet lors de ses deux interviews télévisées des 12 et 15 avril 2018. Pourtant le « nouveau monde » voulait laisser derrière lui la seniorisation de la société et les questions autour du financement de l’accompagnement des aînés.

Les mouvements sociaux qui se sont développés dans le secteur des maisons de retraite depuis quelques mois ont contribué à bousculer quelques certitudes. Si le traitement médiatique peut apparaître trop unilatéral et victimaire, reste que ces mouvements favorisent une certaine prise de conscience des enjeux de la transition démographique et aident à sensibiliser sur la situation difficile d’une part grandissante des aînés.

Prendre conscience des enjeux de la « seniorisation »

Par ailleurs, dans la même séquence, les retraités, y compris celles et ceux qui vivent dans des conditions modestes, voient augmenter leur cotisation CSG sans contreparties. Surtout, ils subissent des représentions négatives très explicites d’une bonne part des représentants de la « société du haut » se faisant affublés sans distinction de jolis adjectifs comme « génération dorée », « aisés », « oisifs », ou encore « privilégiés ». Les récents propos du président de la République lors de ses deux interviews télévisées des 12 et 15 avril multipliant les remerciements aux retraités n’ont sans doute pas changé leur ressenti.

Rappelons également que si, pour la première fois depuis les ministères Raffarin 2002-2005, le Gouvernement ne compte pas de responsable en charge des aînés, depuis cette période, il y a eu pourtant les 15 000 morts de la canicule de 2003, une hausse continue du nombre de seniors qui aujourd’hui forment plus de 25 % de la population française (et d’ici à 2050, 35 %), et un accroissement des retraités pauvres.

Depuis cette période, la demande pour la création d’un financement pérenne du grand âge a pris de l’ampleur sans qu’aucune décision structurante n’ait été prise, à l’inverse de l’Allemagne, où le risque perte d’autonomie est pris en compte par la collectivité. L’exception notable de la création de la CNSA (Caisse Nationale de Solidarité Autonomie) qui est devenue une agence de moyens et d’actions en faveur du financement et de l’accompagnement de la perte d’autonomie des aînés et des personnes touchées par le handicap ne doit pas faire oublier le manque de vision politique face à la transition démographique et à la société de la longévité qui s’invente un peu plus chaque jour.

Vers la société de longévité

Pour autant, ne pas avoir nommé de responsable gouvernemental en charge des aînés peut aider à développer une approche transversale de la transition démographique. Ce serait une excellente chose, car la société de la longévité qui est en germe forme un tout.

Plutôt que rechercher des oppositions tristes et vaines, n’est-il pas temps d’inventer de nouvelles approches et manières d’impliquer toutes les générations ? Plutôt que rechercher une opposition sociale entre jeunes et vieux, comme si l’idée était de remplacer la lutte de classe par la lutte des âges, ne serait-il pas plus fécond de s’appuyer sur la coopération et la réciprocité ? Plutôt que de se focaliser sur une course aux moyens, ne peut-on pas réfléchir et agir pour mieux mobiliser les personnes concernées, repenser les normes et faire bouger les modes d’organisation ?

La société de la longévité n’est pas réductible à un seul ministère mais les concerne pratiquement tous. En fait, à côté des quatre transitions (énergétique, numérique, culturelle, démocratique) qui interrogent notre avenir, une cinquième ne doit pas être oubliée : la transition démographique. Elle implique de réinventer notre rapport aux ressources (traditionnellement publiques…), d’en rechercher d’autres, de réinventer la mobilisation des personnes concernées, d’écouter et de répondre à l’insécurité culturelle et sociale vécue par des franges croissantes de la société et de transformer les comportements de l’ensemble de la population.

Gérer la transition démographique

Devant la nouvelle donne démographique, il faudra bien choisir entre le déni du vieillir et le désir du bien vieillir. Le premier, idéologiquement dominant repose sur une culture d’injonctions hygiénistes, sur des représentations sociales hyper négatives de l’avancée en âge, et sur la conviction partagée par les élites, les médias et une part importante du corps social, que prendre de l’âge forme une malédiction, une défaite, un échec. Michel de Certeau, signalait que la technologie devait nous faire oublier, la maladie, la faiblesse et la mort. C’est-à-dire les trois mots associés pour beaucoup au vieillir…

C’est sans doute pour cela qu’il est de tradition de placer les questions liées à la société de la longévité sous l’ombrelle du ministère de la Santé et des Affaires sociales. Comme si la question de l’allongement de la vie se résumait à la maladie et à la grande perte d’autonomie… Reste que face à la hausse attendue du nombre d’aînés, la mutation du secteur de la santé est une obligation.

Il s’agit aussi bien de repenser le parcours de vie des plus âgés dans une continuité entre le domicile et les lieux d’accueil collectifs via la mobilisation d’outils de suivi et d’intervention à distance, l’élaboration d’une culture de la pluriactivité des centres de soin et un décloisonnement des métiers et des actions. Les technologies numériques et émergentes pouvant faciliter cette approche.

Parmi différentes pistes fécondes, notons ces démarches où la maison de retraite médicalisée fonctionnerait comme une plate-forme ouverte sur son bassin de vie pour être à la fois une sorte d’hôpital de proximité, un centre ressources de soin et un lieu d’activités et d’animation proposées à la multitude d’habitants vivant dans l’espace concerné.

Ces initiatives d’« Ehpad hors les murs », répondent aussi à des attentes des publics et s’inscrivent dans la dynamique de l’hospitalisation à domicile et d’un parcours du patient plus doux et moins coûteux. Il faudra sortir d’une vision trop binaire « maintien à domicile » contre Ehpad…

Et d’abord changer de vocabulaire : il ne s’agit pas de maintenir mais de soutenir, il ne s’agit pas de placer en Ehpad mais d’accueillir et d’accompagner dans des lieux adaptés et bienveillants. Mal nommer les choses c’est ajouter de la misère au monde, disait Camus. Renommer les lieux c’est repenser le parcours de la personne et s’inscrire dans une optique de territoire de soin et de longévité.

Une société de longévité solidaire et partagée

Inventer une société de la longévité solidaire et partagée nécessite de prendre la mesure des besoins et des réalités. Au-delà des chiffres sur la démographie, qui prévoit un quadruplement des plus de 80 ans et que plus de 35 % de la population dépassera les 60 ans en 2050, rappelons qu’une minorité des plus âgés – mais aussi un nombre croissant de personnes, parfois jeunes ou très jeunes, touchées par le handicap ou la maladie chronique invalidante – doit faire face à un fort déficit de capacités qui réduit leur autonomie.

Rappelons aussi que notre pays compte 12 millions de personnes touchées par le handicap, 15 millions de malades chroniques (parfois ce sont les mêmes), 2,5 millions d’aînés dits dépendants (même si nous sommes tous dépendants de l’autre…), un nombre croissant d’addicts aux drogues dures et de personnes – souvent non diagnostiqués – en grande fragilité psychique, sans compter, plusieurs millions d’anciens malades devant affronter une situation économique et personnelle fragilisée.

En somme, les personnes dites fragiles forment plus de la moitié de la population totale ! À cela, il faudrait ajouter les 8,5 millions d’aidants d’un proche et l’entourage familial plus large lui aussi impacté… Et les trois millions de professionnels du soin et de l’accompagnement.

Cette réalité jure avec la vision caricaturale d’une société où chacun serait seulement mobilisé par la recherche de son intérêt économique, où la performance serait notre horizon indépassable et où la toute-puissance de la technologie serait la réponse évidente à chaque question.

Inventer de nouvelles réponses

Avec la hausse attendue de l’espérance de vie, du nombre de très âgés et de malades chroniques, il est nécessaire d’inventer de nouvelles réponses devant la nécessité d’accroître les investissements pour financer et renforcer les solutions d’accompagnement et d’accueil des personnes en grande fragilité, l’adaptation des logements et le développement des emplois de soin et d’accompagnement.

Les besoins seront croissants. Les Français le savent. Plus que les politiques ? Les Français sont en tout cas 68 % à estimer la prise en charge du grand âge déficiente. Pendant la campagne présidentielle de 2007, les candidats évoquaient la création d’un cinquième risque de protection sociale, lors des dernières élections, ce fut silence radio sur ce thème ! Sans préjuger au fond, notons que 66 % des Français se déclarent en faveur de sa création.

Notons que cette attente n’est pas le seul fait des plus âgés : si 74 % des plus de 65 ans y sont sensibles, les 18-24 ans sont 61 % à être dans le même cas… Quelle que soit la ou les solutions envisagées, qui sans doute seront-elles multiples et complémentairesmentaires, il importera de trouver des réponses assurantielles et solidaires pour faire face à cette nécessité de protection.

La question du financement de la grande perte d’autonomie, pour des raisons d’âge ou de maladie chronique, devra bien être interrogée et débattue. Rappelons que le Rapport Laroque date de 1962 et posait déjà l’équation et la nécessité de prendre en compte le grand âge dans la protection sociale… Si des décisions ont été éprises, dont la création de la CNSA et d’une journée dite de solidarité où le travail effectué est non payé pour venir abonder les fonds en faveur de l’accompagnement de la perte d’autonomie, aucune réponse structurante n’a été proposée.

Aujourd’hui, il semble que le « nouveau monde » reprenne une recette de l’ancien en évoquant la création d’une deuxième journée… Dans le meilleur des cas, cela permettrait de trouver 2 Mds€ alors que les besoins d’aujourd’hui, et plus encore de demain avec la hausse attendue du nombre de personnes de plus de 85 ans, à partir de 2030.

Répondre à cette problématique participe très directement du contrat social à la française, et nécessite d’initier des réponses cohérentes avec la situation économique du pays, le degré d’endettement et le rapport social à l’impôt. Elle nécessite aussi de poser la question des priorités de la solidarité sociale et de faire émerger un consensus éclairé sur les conditionnalités des politiques sociales et de soin.

Dans cette optique, aider à faire prendre conscience du coût réel de la santé serait une excellente pédagogie pour entraîner une plus forte mobilisation en faveur de la prévention et pour plus forte adhésion aux enjeux de santé. Cette pédagogie de la lucidité pouvant aider chacun à mesurer à la fois le prix de la santé et le coût de son propre comportement. Une étude récente de l’institut Via Voice faisait valoir que seulement 17 % de la population avait une bonne vision du coût d’une journée d’hospitalisation en cancérologie. Pour l’estimation des traitements innovants type immunothérapie, 96 % de la population en sous-estime le coût…

Nous pourrions former l’hypothèse qu’une meilleure connaissance des coûts de santé et le partage d’une conviction en faveur de l’intérêt collectif et individuel d’une politique active de prévention participerait de cette expérience concrète de l’égalité avec ses semblables qui était l’hypothèse fondatrice d’Elias Canetti pour expliciter ce qui forme une société. Sans doute aussi cette prise de conscience pourrait contribuer à renforcer ce capital immatériel essentiel qui se nomme confiance, dont Robert Putnam, a montré combien il faisait défaut à nos sociétés.

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