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Saut dans le vide. bungeeinternational0/Pixabay

Pourquoi certains aiment se mettre en danger

Cet article est republié dans le cadre de la deuxième édition du Festival des idées, qui a pour thème « L’amour du risque ». L'événement, organisé par USPC, se tient du 14 au 18 novembre 2017. The Conversation est partenaire de la journée du 16 novembre intitulée « La journée du risque » qui se déroule à l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).


Dans les Alpes, l'été 2016 avait été particulièrement meurtrier pour le vol en combinaison spéciale (wingsuit flying). Mais qu’est-ce qui pousse certains à vouloir sauter d’une falaise, boire jusqu’à tout oublier, ou faire du stop avec des étrangers tandis que d’autres n’éprouvent aucun plaisir à faire un tour sur les montagnes russes ? Y a-t-il un gène de « poule mouillée » ou une structure cérébrale de « casse-cou » ? Ou bien notre degré d’attraction pour le danger remonte-t-il à la façon dont nos parents se montraient protecteurs ?

Quel que soit notre penchant pour les sports extrêmes, la vitesse, les drogues ou d’autres conduites dangereuses, c’est un mélange bien connu de risque et de nouveauté qui nous attire. Ce que les psychologues appellent la « quête de la nouveauté » constitue la préférence pour l’imprévu ou l’inédit. Les personnes dotées de ce trait de caractère sont souvent impulsives ou facilement guettées par l’ennui. Mais de nouvelles expériences de vie font affluer dans leur cerveau des composés chimiques relatifs au plaisir. Un rat, ou un humain avec des penchants pour le tout nouveau, sera plus susceptible de se droguer et de se défoncer à l’alcool.

Dans une certaine mesure, les concepts de risque et de recherche de la nouveauté sont liés : un stimulus inédit se révèle, en soi, d’autant plus risqué que les conséquences en sont inconnues. Cependant, nous pouvons les dissocier en laboratoire.

Il est (toujours) question de dopamine

La dopamine, utilisée par les neurones pour transmettre des messages à d’autres neurones, est souvent décrite comme la molécule chimique du plaisir. Les cellules à dopamine se logent au milieu du cerveau, au plus profond de sa base. Elles envoient des « projections » dans les zones où les molécules de dopamine sont libérées, telles que celles qui sont impliquées dans le contrôle de l’action, de la connaissance et de la récompense. Des études ont montré que le système dopaminique peut être activé par des expériences qui font office de récompense, comme manger, faire l’amour ou s’adonner à la drogue.

Au cours d’une recherche menée sur des malades parkinsoniens qui prenaient des médicaments stimulant les récepteurs de dopamine pour traiter les symptômes liés aux mouvements, on a découvert que 17 % d’entre eux développaient, de façon imprévue, des comportements addictifs comme le jeu, l’activité sexuelle compulsive, le shopping effréné ou la gloutonnerie. Ces patients ont également cherché à encourir plus de risques et ont montré, dans les tests de laboratoire, une attirance particulière pour la nouveauté. Il semble donc que le principe actif de la dopamine nous pousse à rechercher davantage de risque.

Des travaux sur l’anticipation du risque ont montré qu’espérer une récompense était corrélé à une activité accrue du cerveau dans les zones à dopamine, tandis que la crainte d’une perte était associée à une diminution de cette activité. Les deux hypothèses conduisent à prendre des risques. Le saut en combinaison de vol ou le tour de montagnes russes sont motivés par une attente de récompense – l’excitation – mais le vol peut aussi être justifié par une forte envie d’éviter la perte (dans ce cas précis, la mort). On estime à près de 100 % la probabilité d’une récompense (la forte émotion) causée par le saut d’une falaise ou par les montagnes russes. Mais tandis que le risque d’une mort dans un manège de montagnes russes est inexistant, celui de mourir suite au saut d’une falaise paraît bien plus élevé. Plus on se rapproche des extrêmes, 0 % ou 100 %, plus on se sent assuré tandis qu’aux environs des 50 %, l’incertitude prime.

Le circuit de la récompense impliquant la dopamine dans le cerveau humain. Oscar Arias-Carrión, Maria Stamelou, Eric Murillo-Rodríguez, Manuel Menéndez-González, Ernst Pöppel, Oscar Arias-Carrión, Maria Stamelou, Eric Murillo-Rodríguez, Manuel Menéndez-González, Ernst Pöppel., CC BY-SA

Un grand nombre d’études, mais pas toutes, ont montré que les personnes possédant un certain récepteur à dopamine sont davantage susceptibles de rechercher le grand frisson. Ce variant génétique est également associé, dans le cerveau, à des réactions plus intenses lors de récompenses imprévues, ce qui rend le frisson que l’on n’attendait pas encore plus fort. Le câblage génétique pourrait donc expliquer la tendance à aimer la chute libre extrême, associant la préférence à la nouveauté et, probablement aussi, au risque et à la récompense. Mais la façon dont nous sommes élevés a également un impact. Les adolescents sont connus pour prendre davantage de risques, en partie parce que leurs cerveaux sont encore en cours de développement et qu’ils sont plus sensibles à la pression de leurs pairs.

Bien sûr, il existe d’autres raisons que l’attrait du risque et la nouveauté, à cause desquelles nous aimons mieux le saut à l’élastique ou l’alcool à hautes doses. Par exemple, cela peut arriver dans des situations sociales où une pression de l’entourage nous pousse au suivisme ou bien dans le cas où nous souffrons de dépression ou de stress.

Pourquoi sommes-nous inconséquents ?

Avez-vous pris une assurance ? Greyerbaby/Pixabay

Mais si ce sont nos gènes qui décident de nous faire braves ou peureux, comment se fait-il que nous soyons aussi illogiques dans notre comportement ? Par exemple, nous pouvons, en vacances, risquer un saut en parachute tout en ayant payé une assurance couvrant le voyage.

Nous agissons différemment selon que le risque est envisagé comme la promesse d’une récompense ou comme celle d’une perte. Cet effet se nomme « framing » – ou « cadre cognitif ». La plupart d’entre nous tendent à éviter les récompenses à risque – nous préférerions plutôt ne pas sauter en parachute – mais dans le cas d’un événement imprévu assorti d’un important bénéfice (par exemple un ticket de loterie), nous sommes heureux de prendre un risque. De même, nous recherchons normalement le risque afin d’éviter d’énormes pertes. Cela est influencé par le niveau de probabilité de l’issue à venir. Dans le cas d’une conséquence peu probable mais possiblement catastrophique, par exemple le fait de contracter une énorme dette pendant une hospitalisation à l’étranger, nous devenons hostiles au risque et prenons une assurance voyage.

Les personnes qui aiment le danger ou qui souffrent d’une addiction adoptent des tendances différentes face au risque. Les usagers pathologiques de drogues interdites, d’alcool ou de nourriture recherchent tous le risque pour en être récompensés, en s’efforçant d’obtenir le maximum. Mais les utilisateurs de drogues illicites sont appâtés par des récompenses à plus haut risque que les consommateurs d’alcool ou de nourriture. Ces derniers cherchent, eux, une récompense moins forte, à moindre risque.

La probabilité que nous prenions des risques peut aussi être l’objet de manipulations. Une étude pratiquée sur des rats a montré que la prise de risque peut être réduite en imitant le signal de la dopamine qui les informe des issues négatives causées par des choix à risque précédents, par exemple un choc sur la patte ou une privation de nourriture. La prise de risque chez les buveurs qui se défoncent à l’alcool peut se réduire également lorsqu’on leur explique clairement qu’ils s’exposent à une issue défavorable, par exemple une perte d’argent bien réelle et pas seulement son éventualité. Une nuit aux urgences peut suffire à changer leur conduite.

Un contexte nouveau et inattendu amène aussi à augmenter les comportements à risque, ce qui peut expliquer pourquoi nous sommes davantage susceptibles de prendre des risques en vacances. Dans une étude récente), mes collègues et moi-même avons soumis à des participants une série de visages, familiers ou inconnus, et nous leur avons demandé de choisir entre un pari risqué ou un choix sécurisé. Quand on leur montrait un nouveau visage, les sujets de ces expérimentations se montraient davantage enclins à se prononcer en faveur d’un pari à risque.

L’étude a démontré que ceux qui faisaient les choix les plus risqués devant un visage nouveau étaient les participants avec une activité accrue dans le striatum, région du cerveau impliquée dans la délivrance de la dopamine. Ces découvertes suggèrent que la nouveauté augmente la délivrance de dopamine dans cette zone cérébrale, ce qui probablement accroît l’espérance d’une récompense.

Mais être attiré par le danger n’est pas forcément une mauvaise chose. Notre société a besoin à la fois de gens qui prennent des risques et d’autres qui n’en prennent pas. Nous avons besoin de ceux qui dépassent les limites, pour s’installer sur Mars ou venir au secours de victimes d’incendies. Mais aussi de ceux qui rédigent les lois et s’assurent de leur respect pour que la société continue à bien fonctionner.

This article was originally published in English

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