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L’économie du développement tente de comprendre les causes profondes du développement, sans affirmer néanmoins un quelconque déterminisme. Shutterstock

Pourquoi certains pays ont-ils plus rapidement que d’autres atteint un haut niveau de développement ?

Une large part des inégalités de revenus entre les individus resteraient liées à l’endroit où l’on nait. Certes, les inégalités à l’intérieur des pays prennent une importance nouvelle, mais il demeure que les pays pauvres ne rattrapent pas de façon inconditionnelle les pays riches. Il semble toujours exister une forme de prime à la citoyenneté.

Un article que nous avons récemment publié dans un numéro spécial de la revue Mondes en Développement, qui fête son demi-siècle, revient ainsi sur les causes profondes du décollage économique. Celles-ci ne doivent pas être confondues avec les causes immédiates que sont les accumulations de capitaux matériels et humains.

Pour analyser « la nature et les causes de la richesse des nations », projet initial d’Adam Smith, pionnier de la science économique, les chercheurs d’aujourd’hui mobilisent quatre paradigmes : les institutions, la culture, l’histoire et la géographie.

Nourrir la confiance entre anonymes

Depuis les travaux de Douglass North (« Nobel » d’Économie en 1993), expliquer le niveau de développement par la qualité des institutions a pris une importance nouvelle. Elles signalent la qualité du jeu social : leur rôle, et en particulier celui des droits de propriété, est de faciliter les échanges économiques en réduisant l’incertitude qui les entoure. Peut-on par exemple développer une affaire sans crainte de s’en voir confisquer les fruits ?

Douglass North (1920-2015) a reçu le Nobel d’Économie en 1993 pour ses travaux liants niveau de développement et qualité des institutions. UNU-WIDER/Wikimedia, CC BY-SA

Les institutions présentent une grande variabilité, difficilement compatible avec l’hypothèse naïve selon laquelle elles seraient partout efficaces et différeraient selon les circonstances. Des auteurs, comme Daron Acemoglu, professeur au MIT, ont ainsi expliqué comment de mauvaises institutions pouvaient perdurer. Supposons une réforme sociétale globalement profitable : les gagnants à la réforme peuvent compenser les perdants et, malgré ce transfert, continuer à en tirer un bénéfice. S’il s’avère néanmoins que les perdants constituent l’entourage d’un dictateur, le groupe gagnant ne peut pas de façon crédible s’engager à compenser les pertes subies par le dictateur une fois que celui-ci aurait quitté le pouvoir. Il s’agit d’un problème connu en économie sous le nom d’incohérence temporelle.

À la question des institutions est liée celle de la confiance dont la composante la plus importante est celle qui caractérise les relations entre des inconnus. Son absence s’avère une entrave au développement d’une économie fondée sur l’échange. La confiance est un phénomène culturel, transmis entre les générations. Elle est aussi invoquée pour expliquer les différences de trajectoires entre les pays.

Avner Grief et Guido Tabellini, respectivement chercheurs à Stanford et à l’Université Bocconi de Milan, avancent par exemple l’idée que la divergence entre l’Europe et la Chine durant le dernier millénaire pourrait s’expliquer par des faits culturels liés à l’organisation des familles. En Chine prédomineraient les structures familiales élargies et hiérarchiques avec un poids important donné à la morale et à la réputation. La coopération se ferait alors de façon préférentielle à l’intérieur du groupe. Au contraire en Europe, le cadre historique de la coopération serait la Cité. Il existerait ainsi un effet de substitution entre d’une part la confiance entre des anonymes, source de développement des marchés et d’autre part la force des structures familiales.

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D’autres auteurs, dans le cas africain, montrent que des individus appartenant à des sociétés organisées sous la forme de ce que les anthropologues nomment « lignages segmentaires » expriment un degré de confiance faible envers les individus n’appartenant pas à leur groupe. Si les relations entre les groupes sont conflictuelles, le développement des marchés en sera freiné. La confiance peut aussi avoir été affectée par des chocs historiques. Les descendants des groupes victimes de l’esclavage semblent par exemple parmi ceux accordant un niveau de confiance médiocre envers autrui ou les autorités politiques.

Passer les montagnes

L’histoire est ainsi un autre élément mis en exergue. Une lecture du développement insiste par exemple sur l’importance du hasard des expéditions coloniales dans l’adoption des traditions légales. Elles auraient des conséquences directes sur les destinées du pays. Dans la tradition du philosophe libéral Friedrich Hayek, des économistes défendent en effet la thèse d’une supériorité intrinsèque de la tradition légale britannique (« Common law ») sur le droit européen continental (« Statute law »). La première permettrait une meilleure protection des droits de propriété et donc favoriserait l’émergence de systèmes financiers favorables à l’accumulation productive.

De la colonisation ont aussi été héritées des frontières politiques. Le partage de l’Afrique a été décidé à la conférence de Berlin en 1884 et a perduré dans les frontières des pays accédant à l’indépendance. Le caractère « artificiel » des frontières interétatiques, ayant entrainé en particulier le partitionnement des territoires ancestraux des groupes ethnolinguistiques, a pu favoriser certains conflits de la période contemporaine.

Le retard de développement de l’Afrique pourrait enfin s’expliquer par ses caractéristiques géoclimatiques. En économie, ce facteur a en particulier été proposé par le géographe et biologiste américain Jared Diamond. Si l’Eurasie a décollé en avance sur les autres coins du globe, c’est selon lui en partie parce que son orientation se fait selon l’axe est-ouest et sans barrières montagneuses importantes orientées nord-sud. Cela permet aux territoires de partager des climats proches et favorise le développement des échanges.

D’autres ont pu arguer que l’Amérique latine contrairement à l’Amérique du Nord serait une région naturellement favorable à des activités caractérisées par de fortes économies d’échelle comme la culture de la canne à sucre ou du tabac ou les activités minières. Il en résulterait d’importantes inégalités sociales à l’origine d’institutions peu inclusives et peu efficaces.

Une autre illustration de l’influence de la géographie est relative aux origines de la fragmentation ethnolinguistique qui peut augmenter les coûts de transaction et dans les situations extrêmes, générer des guerres civiles. Elle peut trouver son origine dans les variations de l’altitude et de la qualité des sols ou dans la présence d’obstacles naturels comme les fleuves ou les chaînes de montagnes.

Les climats tempérés favoriseraient en outre la coopération sociale avec les variations imposées chaque année par les saisons. Ils seraient ainsi générateurs d’institutions inclusives. La variabilité interannuelle se manifestant par l’occurrence de sécheresses pourrait, au contraire, alimenter les conflits d’usage des terres.

Revers de fortune et accidents

Cette littérature pourrait laisser penser qu’il existe une forme de déterminisme. Une telle vision semble néanmoins erronée. Le cas chinois le montre bien. De plus, le caractère accidenté de la topographie qui représente aujourd’hui un obstacle aux échanges a, par exemple, pu constituer dans le passé une protection des populations contre des agressions extérieures.

Les pays peuvent également subir un revers de fortune qui amoindrit le rôle de la géographie. Les Européens ont introduit des institutions performantes de préférence dans des pays pauvres (Amérique du Nord, Australie par exemple). Il en résulte que les pays colonisés qui étaient relativement riches au début du XVIe siècle (Amérique du Sud, Inde, Asie du Sud-Est) sont aujourd’hui relativement pauvres. Le caractère extractif de la colonisation a été avancé comme explication. Avoir été colonie de peuplement ou colonie tournée vers une exploitation économique influe encore sur les destinées actuelles.

Les divergences peuvent, enfin être accidentelles. Les deux Corée partagent la même géographie, la même culture, possèdent une longue histoire commune. Les hasards de l’histoire les ont fait diverger de façon radicale.

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