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Un homme seul marche dans les gradins d'un stade de Doha au Qatar
Le 4 décembre 2022 à Doha (Qatar), un supporter marche dans les gradins avant un match de la Coupe du monde 2022. Pablo Porciuncula/AFP

Pourquoi cette Coupe du monde ne sera pas neutre en carbone

En réponse à l’inquiétude grandissante autour des changements climatiques, pays, autorités locales et entreprises sont de plus en plus nombreux à s’engager vers la neutralité carbone.

Mais cette prolifération des allégations de « carboneutralité » questionne l’ambition réelle des engagements, d’où plusieurs tentatives d’encadrer ces déclarations.

Dernière controverse en date ? La Coupe du monde de football 2022 au Qatar : ses organisateurs ont promis la première Coupe « neutre en carbone » – comprendre qui ne générera pas plus d’émissions de gaz à effet de serre (GES ou « CO2e ») que ce qu’elle sera capable de retirer de l’atmosphère par d’autres biais.

L’estimation des émissions de l’événement est le premier point qui fâche : évaluées à 3,6 millions de tonnes de CO₂e dans l’étude commandée par le Quatar, l’ONG Carbon Market Watch et la start-up Greenly estiment que ce chiffre est sous-estimé… de moitié !

Les organisateurs ont ensuite promis d’absorber les émissions dont ils se considèrent directement responsables – soit seulement la moitié des 3,6 millions de tonnes – via des crédits de compensation certifiés.

Un projet de compensation controversé

En dehors de la question discutable de « responsabilité des émissions », le projet de compensation pose deux problèmes.

D’abord, un conflit d’intérêts dans le programme de certification en charge d’assurer la qualité des crédits, car le standard de certification a été développé en partenariat avec les organisateurs de la Coupe. Ainsi, l’effet réel d’absorption des émissions liées à ces crédits est mis en doute.

Deuxièmement, les projets financés jusqu’alors sont loin d’atteindre la compensation annoncée. Toutes ces raisons ont poussé Carbon Market Watch a porter plainte pour publicité de carboneutralité fallacieuse.

Alors, neutre en carbone cette Coupe ?

« Carboneutre », une définition et des règles à géométrie multiple

La multiplicité des définitions de « neutralité carbone » affecte sa compréhension et sa mise en œuvre.

Le GIEC comme l’ISO convergent globalement vers un même concept : neutre en carbone, ou « net zéro », signifie que les émissions sont équilibrées – ou « neutralisées » – par des absorptions générées par l’homme. Ces émissions couvrent uniquement le CO2 pour le GIEC, et tous les GES pour l’ISO, sur un certain périmètre et une certaine durée de temps.

Cette flexibilité dans la définition du périmètre de comptabilisation pose problème, car plus le périmètre est petit, moins l’ambition et donc l’effet de l’engagement de carboneutralité est élevé. Une réflexion qui peut amener à considérer qu’il n’y a ni événement ni entreprise, ni produit carboneutre.

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Ensuite, les règles qui permettent de se déclarer carboneutre ne sont pas très claires, malgré la norme dédiée PAS 2060.

Nombreux se réfèrent à la séquence « éviter, réduire, compenser » : on évite d’émettre, à défaut on réduit ses émissions, et enfin, on compense les « émissions résiduelles », c’est-à-dire celles que l’on n’a pas réussi à abattre.

Mais alors, quels objectifs de réductions à échelle restreinte sont compatibles avec une neutralité carbone planétaire, qui vise à assurer la sécurité de l’humanité, mais réclame des efforts colossaux ?


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Selon l’Accord de Paris, il faut réduire les émissions d’environ 5 % par an, soit l’effet du Covid en 2020… chaque année !

Ainsi, l’initiative Science-Based Target (SBTi), référentiel majeur d’engagement vers la carboneutralité, préconise aux entreprises un objectif de réduction minimum de 90 % des émissions actuelles. Se posent ensuite les règles de bonnes pratiques de neutralisation des 10 % d’émissions résiduelles maximum.

Les difficultés pour comptabiliser les émissions

La première étape pour planifier la carboneutralité est de savoir combien on émet. Pour quantifier cela, plusieurs approches coexistent : celle du GHG Protocol, de l’analyse de cycle de vie, ou encore, celle des inventaires nationaux.

Chaque méthode, adossée à des données spécifiques, mène à des bilans différents, dont la robustesse est mal appréhendée. En particulier, les données d’émission utilisées dans les calculs varient en qualité, ce qui génère des incertitudes sur les résultats des modèles.

Au final, signification et fiabilité de l’évaluation sont mal comprises.

Neutraliser les émissions : les limites de la compensation

Pour neutraliser les émissions résiduelles, on peut capturer et stocker ou utiliser le carbone, par des voies naturelles (photosynthèse) ou technologiques. Une neutralisation financée en dehors de sa chaîne de production est appelée compensation : on achète des crédits relatifs à des émissions évitées ou capturées.

Des processus de certification des crédits visent à en assurer l’effet réel sur la réduction des émissions selon 4 critères normalisés : additionnalité, permanence, fuites et double-comptage.

Souvent dans le passé, l’effet escompté n’a pas été atteint.

De plus, les crédits posent problème à l’échelle planétaire : aujourd’hui, l’essentiel des crédits non issus des marchés carbone vient de projets de reforestation/afforestation. Ils impliquent de restaurer ou créer des puits de carbone, donc de sanctuariser des espaces naturels, au risque de relâcher plus tard les émissions stockées, donc d’annuler l’effet des crédits.

Dans le futur, ces espaces naturels ne peuvent donc pas être utilisés pour d’autres activités (agriculture, production d’énergie). Le recours illimité à la compensation est donc incompatible avec la finitude de la surface terrestre, et il est urgent de planifier un usage des sols qui permettra un futur net zéro juste et durable.

La déclaration de neutralité carbone de la Coupe est-elle frauduleuse ?

Dans le cas de la Coupe du monde, la description du modèle de quantification publiée dans le rapport d’émissions ne permet pas d’estimer la fiabilité de l’évaluation. Ce manque de transparence n’est d’ailleurs pas conforme à la norme d’ACV ISO 14044.

Au-delà du niveau des émissions du projet, la démarche d’engagement de carboneutralité n’est pas frauduleuse si l’on considère le droit de compenser les émissions décrit dans la PAS 2060, la véracité des engagements de compensation, et leur pleine efficacité. Mais elle manque clairement d’ambition.


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D’abord, elle ne présente pas un bilan d’émissions réduit par rapport aux anciennes Coupes du monde, bien au contraire.

Ensuite, la compensation annoncée est douteuse, notamment la qualité de la certification, et porte seulement sur 50 % des émissions d’un bilan carbone déjà « optimisé ».

Enfin, les organisateurs ne s’attribuent pas la responsabilité des conséquences futures de la construction des infrastructures nécessaires à la Coupe du monde. Les infrastructures serviront-elles la transition climatique ? Peu probable. Par exemple, les métros vont-ils être utilisés pour réduire les émissions des transports dans la région ? C’est douteux. Les stades fixes, s’ils sont réutilisés pour de futurs événements, ne vont-ils pas générer du trafic aérien ? Si, et ce sera probablement la plus grande source d’émissions, puisque les vols représentent 40 % des émissions de l’événement actuel.

Rendre les données vraiment fiables

L’échelle de réduction des émissions pour sécuriser la vie sur Terre est si grande qu’il n’est pas raisonnable de continuer à financer des projets d’investissement non essentiels, ne participant pas à la réduction future des émissions, et consommant une ressource bientôt rare : des crédits de compensation authentiques.

La carboneutralité doit passer par des réductions d’émission majeures et une neutralisation carbone renouvelable, c’est-à-dire qui n’épuise pas de ressources finies comme le sont nos espaces naturels.

De plus, planifier la carboneutralité nécessite en premier lieu des données de qualité pour évaluer avec justesse les émissions des activités humaines et les meilleures solutions de décarbonation. La recherche valorise peu les travaux de développement et fiabilisation de données. Pourtant, il faut l’impartialité de la science pour améliorer et compléter ces bases de données.

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