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Un homme anti-vax brandissant une pancarte
Un militant anti-vaccin manifeste devant un hôpital à Montréal, le 13 septembre 2021. THE CANADIAN PRESS/Paul Chiasson

Pourquoi devient-on conspirationniste ?

Un Américain sur trois croit qu’un « Deep State » (un État profond) travaille pour nuire à Donald Trump, tandis que 17 % répondent, dans un sondage récent, qu’il est vrai qu’un groupe satanique dirigeant un réseau de pédophiles tente de contrôler le monde politique et médiatique.

Une partie d’entre eux, formant le mouvement conspirationniste QAnon, ont la ferme conviction que l’ex-président Trump a été recruté par des généraux militaires en 2016, lors de son élection, pour défaire cette cabale composée principalement de démocrates.

Les croyances conspirationnistes comme celle-ci ne datent pas d’hier, et sont plus répandues qu’on ne pourrait le croire. Le Québec n’en est pas à l’abri, surtout depuis l’avènement de la pandémie de la Covid-19. Selon un sondage mené par l’Institut national de santé publique du Québec, plus du tiers des répondants (35 %) estiment que le gouvernement cache des informations importantes à propos de la pandémie.

Selon le psychologue social britannique Daniel Jolley, de l’Université Northumbria, à Newcastle, une sommité dans le domaine des théories conspirationnistes, ces dernières offrent des explications aux évènements significatifs en blâmant les actions secrètes d’acteurs malveillants, puissants et injustes.

Leur point en commun ? La subversion, c’est-à-dire le fait qu’elles contestent les explications officielles des évènements en pointant du doigt l’autorité et en offrant des explications alternatives.

Au départ un phénomène non significatif que l’on pouvait facilement ignorer, QAnon a cumulé, depuis 2017, des millions d’adeptes aux États-Unis et dans le monde, dont au Canada. La particularité de ce mouvement est le fait que ses membres commencent à sortir du monde virtuel en posant des actions concrètes, comme assaillir le Capitole en janvier 2021.

Comment se fait-il qu’autant de personnes adhèrent aux théories conspirationnistes, comme QAnon ?

Étudiante au doctorat en psychologie, je tente de comprendre ce qui pousse des individus à croire aux théories conspirationnistes et à adopter certains comportements extrémistes.


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La (con)quête des conspirationnistes

Selon des chercheurs en psychologie sociale, les théories conspirationnistes combleraient plusieurs de nos besoins psychologiques. Une sommité des théories conspirationnistes, la Britannique Karen M. Douglas, de l’Université de Kent, a recensé avec ses collaborateurs en 2019, dans la revue savante Political Psychology, plusieurs études sur le sujet.

1) Une quête de sens

Les théories conspirationnistes peuvent offrir des explications larges et cohérentes permettant aux individus de préserver certaines croyances face aux incertitudes et aux contradictions en accusant les preuves contraires, notamment la science, de faire partie de la conspiration.

La recherche de la psychologue sociale Karen M. Douglas suggère que l’adhésion aux conspirations est plus forte lorsque le cadre sociopolitique est incertain et lorsque les personnes perçoivent des similitudes ou des tendances dans les évènements n’ayant pas de liens apparents entre eux.

Par ailleurs, les individus ayant une propension à croire aux phénomènes surnaturels ou paranormaux, et à surestimer leur capacité à comprendre des phénomènes complexes, sont davantage susceptibles d’adhérer fortement aux conspirations.

De surcroît, la croyance aux théories conspirationnistes permet d’apporter des explications aux évènements lorsque celles-ci s’avèrent incomplètes. Elles sont attrayantes pour les individus qui cherchent un sens et à qui il manquerait certains outils cognitifs leur permettant de le trouver à travers des explications plus rationnelles. Elles comblent donc ce qu’on appelle des besoins épistémiques.

2) Une quête de contrôle

Les êtres humains, en tant qu’individus autonomes et membres de la collectivité, ont besoin de se sentir en sécurité dans leur environnement et d’exercer un certain contrôle sur celui-ci.

Certaines personnes peuvent se tourner vers les théories conspirationnistes lorsque ces besoins sont menacés. Les individus ayant le sentiment de perdre le contrôle peuvent tenter de le reprendre en rejetant les récits officiels. En effet, la croyance aux théories conspirationnistes est associée aux sentiments d’impuissance et d’anxiété existentielle.

Dans le même ordre d’idées, des chercheurs ont trouvé un lien entre les croyances conspirationnistes, l’aliénation politique et l’anomie. Ce dernier concept réfère à l’absence de sentiment d’appartenance ainsi qu’à une certaine déconnexion de la société.

Ainsi, les théories conspirationnistes pourraient permettre aux individus d’accepter des problèmes sociétaux particuliers en les amenant à retrouver un certain confort psychologique qui était perdu. Elles comblent ainsi ce qu’on nomme des besoins existentiels.

3) Une quête d’une image de soi positive

Tous les individus entretiennent le désir d’appartenir à un groupe social et d’y maintenir une image de soi positive. Les théories conspirationnistes peuvent ainsi servir à valoriser le soi et le groupe social d’appartenance en mettant le blâme des évènements négatifs sur les autres.

Par ailleurs, les théories conspirationnistes peuvent être attirantes chez ceux et celles qui ont une moins bonne image d’eux-mêmes. Une étude a démontré que les membres de groupes qui se sentent dévalorisés, en raison de leur origine ethnique ou de leur revenu, par exemple, sont plus susceptibles d’endosser des théories conspirationnistes.

Il est également possible que ces dernières donnent l’impression aux individus d’être en possession d’informations rares et importantes que les autres n’ont pas, augmentant ainsi leur estime de soi. Les théories conspirationnistes peuvent donc combler des besoins sociaux.

Des théories négatives

Les besoins épistémiques, existentiels et sociaux sont-ils réellement comblés à travers les théories conspirationnistes ? Pas nécessairement.

Des militants anti-vaccin participent à une manifestation contre le vaccin obligatoire à Londres, le 19 septembre 2020. AP Photo/Matt Dunham

Des études préliminaires suggèrent que les théories conspirationnistes engendrent davantage de frustration en ce qui concerne ces besoins psychologiques, puisqu’elles présentent des caractéristiques allant à l’encontre de ces derniers.

Par exemple, elles suscitent généralement des émotions négatives, par leur nature contrariante et spéculative. Elles représentent également le public comme étant ignorant et à la merci de pouvoirs inexplicables, et lui attribuent des traits antisociaux.

En bref, elles sont négatives et incitent à la méfiance. Une étude a démontré qu’être exposé à des théories conspirationnistes mine la confiance envers le gouvernement et engendre par ailleurs un sentiment d’impuissance.

Le rôle des convictions politiques

L’idéologie politique à laquelle nous adhérons semble jouer un rôle dans notre façon de percevoir le monde et d’interpréter les évènements. En effet, des chercheurs ont observé que certaines convictions politiques sont plus fortement associées aux croyances conspirationnistes que d’autres.

Ces croyances sembleraient plus fortes dans les extrêmes politiques (droite et gauche), bien que plus dominantes dans la droite. Ceci peut être expliqué par le fait que les individus de droite semblent prédisposés à entretenir une pensée « noir ou blanc », encourageant une vision conspirationniste. Ainsi, ces personnes semblent vivre un sentiment d’insécurité ainsi qu’un besoin de gérer l’incertitude à travers des croyances simples.

Lors de sa création, le mouvement QAnon regroupait principalement des républicains d’extrême droite et de fervents partisans de Donald Trump, perçu comme leur sauveur. Les convictions politiques sembleraient donc jouer un rôle clé dans l’adhésion à ce mouvement.

Il arrive également que les opposants politiques aient tendance à s’accuser entre eux d’être impliqués dans des conspirations et de poser des actions malveillantes.

Tant dans l’attaque du Capitole que dans la gestion de la pandémie de la Covid-19, les conspirationnistes ont prouvé leur dangerosité. Afin de contrer ce phénomène qui prend de l’ampleur, la société doit répondre aux besoins psychologiques de ces individus en quête de contrôle, de sens et d’une image d’eux-mêmes positive.

Tenter de les persuader de l’irrationalité derrière leur pensée ne sera pas chose aisée. Cependant, l’élection de Joe Biden, en novembre 2020, a ravivé un brin d’espoir pour plusieurs ; après tout, le monde n’appartient pas (encore) aux conspirationnistes.

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