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Pourquoi la mixité scolaire filles/garçons n’est pas obligatoire

La mixité filles/garçons des classes est devenue la norme dans les années 1960. (Ici, classe de maternelle à Angers, avril 2019) Shutterstock

Même dans les établissements publics ou les établissements privés sous contrat, la mixité scolaire n’est pas légalement obligatoire.

On ne parle pas en l’occurrence de la quasi non mixité de fait qui peut exister dans certaines filières de lycées professionnels où le taux de filles peut approcher les 99 % (par exemple 96 % en sciences médico-sociales) ou bien où le taux de garçons approche également les 99 % (par exemple 93 % en sciences et techniques industrielles)

Par non mixité, on entend la possibilité délibérée de séparer les filles et les garçons à l’intérieur de structures scolaires qui ne sont pas statistiquement saturées les unes par des filles, les autres par des garçons, comme c’est le cas en primaire ou au collège.

Bien au contraire, en mai 2008, au nom d’une prétendue directive européenne, le gouvernement français a fait adopter par le Parlement, dans un texte de loi destiné en principe à lutter contre les discriminations, un article qui permet d’organiser « des enseignements par regroupement des élèves en fonction de leur sexe ».

Le contexte parlementaire dans lequel cela s’est fait vaut de s’y arrêter. Alors qu’aucune des directives européennes qui étaient à transposer dans ce texte de loi ne touchait au champ de l’enseignement, qui reste une compétence foncièrement nationale, le gouvernement a prétendu que cet article était une exigence de la Commission européenne et qu’on ne pouvait donc s’y soustraire.

L’artifice ayant été éventé, tous les groupes parlementaires du Sénat ainsi que la délégation aux droits des femmes furent d’accord pour supprimer cette disposition du projet de loi. Mais contre toute attente, lors de la discussion du texte en séance publique, le gouvernement maintint sa position et exigea de sa majorité de s’y plier. Ce qui fut fait, séance tenante… Voilà qui rompait, en principe, et par principe, avec toute une évolution qui a eu lieu dans les années 1960 et 1970.

Loi Haby

C’est par le décret du 3 août 1963 que la mixité devient le régime normal des collèges d’enseignement secondaire (CES) institués par la réforme Capelle-Fouchet la même année. Par la circulaire du 15 juin 1965, la mixité devient ensuite le régime normal des établissements d’enseignement élémentaire nouvellement créés. Puis les décrets d’application du 28 décembre 1976 de la « loi Haby » du 11 juillet 1975, qui instaure le collège unique, assurent l’obligation de mixité de l’enseignement, de la maternelle au bac.

La mixité scolaire remise en question (France 2, archive INA).

On peut par ailleurs mesurer l’évolution doctrinale de l’Eglise catholique en l’occurrence. Si, en 1929, l’encyclique Divini illius Magistri du pape Pie XI avait réaffirmé la position traditionnelle de l’Eglise qui condamnait formellement la coéducation des filles et des garçons, considérée comme nocive parce que fondée sur la négation du péché originel, en 1958, on peut constater un certain assouplissement. Selon le seul document canonique paru à cette époque, à savoir l’Instruction de la S.C. des Religieux sur la coéducation, la coéducation proprement dite ne peut toujours pas être approuvée en soi d’une façon générale, mais des écoles catholiques mixtes peuvent être instituées.

Un pas décisif est franchi lorsque, dans le contexte conciliaire de Vatican II, le Comité national de l’Enseignement catholique français se déclare favorable à la mixité scolaire « dans un monde moderne qui met de plus en plus en relations les garçons et les filles ». La note de juin 1966 du Secrétariat général de l’Enseignement catholique français appelle même à mettre en œuvre une « véritable coéducation » :

là où, pour des raisons purement administratives, on se contente de faire vivre ensemble garçons et filles sans mettre en œuvre ni une coinstruction ni une coéducation, il en résulte pour les jeunes plus d’inconvénients que d’avantages : responsables et éducateurs, qui s’orientent vers la mixité des établissements, ont le devoir grave de mettre en œuvre une véritable coéducation qui réponde aux exigences pédagogiques précises de cette situation nouvelle.

Résistances

On ne sera donc pas autrement étonné que la principale organisation scolaire catholique qui résiste à mettre en œuvre une mixité entre filles et garçons dans les classes soit une organisation anti-conciliaire, comme le souligne l’historien de l’éducation Bruno Poucet, s’interrogeant sur « L’enseignement privé scolaire hors contrat : refuge ou refus d’école » :

La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (catholiques intégristes en dissidence avec l’Eglise catholique conciliaire) estime être porteuse de la « tradition ». Elle est depuis les années 1970 à l’origine de la création d’environ 35 écoles et de 15 collèges, ce qui représente 4000 à 5000 élèves […]. Ces écoles rejettent la mixité dès l’âge de 10 ans […]. Elles refusent le principe de la laïcité et en appellent à la résistance à la sécularisation de la société française.

Puis Bruno Poucet montre que l’on a en quelque sorte le pendant de cela avec les courants juifs ultra-orthodoxes :

Le réseau juif s’est essentiellement développé en région parisienne à partir des années 1980 : les attentats, l’antisémitisme, la volonté d’entre-soi social, de réussite scolaire, la place donnée au religieux ont renforcé le poids des écoles juive. Ce sont les courants juifs ultra-orthodoxes des haredi et des loubavitch qui ont développé ce type d’établissements (15 groupes scolaires regroupant environ 8000 élèves).

Certaines particularités font d’elles des cousines germaines des établissements catholiques de « tradition » : absence de mixité dès le CP, tenue vestimentaire distincte entre garçons (costume noir, port obligatoire de la kippa) et filles (jupes longues)

Mais le développement actuel des écoles hors contrat (en lien partiel avec un certain développement de la non mixité dans certaines classes) ne se limite pas à ces écoles catholiques d’obédience non-conciliaires ou ultra-orthodoxes.

Nouvelles demandes ?

Selon Diane Roy – la responsable de la communication de la Fondation pour l’école qui promeut le développement des établissements privés hors contrat – citée dans Le Monde du 3 mars 2020 : « la demande d’établissements où la mixité est aménagée est, aujourd’hui, plus forte que l’offre ». Il y aurait dans ce secteur du « hors contrat », « 1530 établissements accueillant environ 75000 élèves ; et seulement 39 structures n’accueillant que des filles et 48 que des garçons ».

On doit remarquer que le secteur hors contrat, même s’il reste foncièrement marginal puisqu’il ne rassemble actuellement que 0,8 % des élèves, est cependant en forte croissance relative puisqu’il ne rassemblait que 0,2 % des élèves en 2010, 0,4 % en 2015, et 0,6 % en 2017. Il a quadruplé en une décennie, marque d’une certaine tendance au séparatisme.

Le Président de la République vient de pointer du doigt le séparatisme. Celui-ci peut prendre de multiples formes, plus ou moins légitimées, dont les écoles hors contrat et la non mixité scolaire. Or cette non mixité scolaire – ne l’oublions pas – est désormais parfaitement légale depuis 2008 y compris dans les établissements publics ou sous contrat, même si, dans le secteur public, la non mixité est perçue très généralement comme un choix à contre-courant du « vivre ensemble » défendu par l’école de la République.

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