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Pourquoi la reprise d’ITA par un fonds américain serait un fait d’armes majeur pour Air France-KLM

Fin août, l'État italien est entré en négociation exclusive avec un consortium en vue de la cession d'ITA Airways, qu'il détient à 100%. Patrick T. Fallon / AFP

On pouvait imaginer que le géant italo-suisse MSC et son alliée allemande Lufthansa resteraient favoris dans la course à la reprise d’ITA Airways, créée fin 2020 pour sauver Alitalia de la faillite. Son propriétaire à 100 %, l’État italien, a pourtant choisi à la fin du mois d’août d’entamer des négociations exclusives avec un consortium pour une entrée au capital du fonds d’investissement américain Certarès. On parle d’une cession de 56 % des parts pour environ 600 millions d’euros.

Certarès s’est présenté avec pour partenaires Delta Airlines et Air-France-KLM. Le groupe franco-néerlandais possédait, en 2013, 25 % du capital d’Alitalia avant de s’en dégager progressivement. Désormais, il n’exclut pas de reprendre à terme une « participation minoritaire » dans ITA. Une telle entrée au capital ne pourrait d’ailleurs pas dépasser 10 %, car elle reste contrainte par la Commission européenne en contrepartie de l’aide publique reçue pour surmonter la crise du Covid-19.

En attendant, même comme simples « partenaires commerciaux et opérationnels », la présence de ces compagnies aériennes dans le dossier reste hautement stratégique et dépasse le simple jeu des acquisitions dans le secteur du transport aérien. Comme nous l’expliquions lors du colloque des 4èmes Rencontres Francophones Transport Mobilité, ce qui se cache derrière cette reprise, c’est une bataille à laquelle se livrent les trois méga-alliances internationales. Bataille dans laquelle ITA s’avère un pion important.

Peu importe la couleur du métal

Aujourd’hui, parmi les nombreux transporteurs qui existent dans le monde, 57 font partie de l’une des trois méga-alliances internationales. Skyteam en regroupe 18, Oneworld 13 et StarAlliance 26. Elles représentent plus de 60 % du trafic international mondial, transportant en 2019 plus de deux milliards de passagers.

En recrutant des compagnies majeures aux États-Unis, en Europe, en Asie et en Amérique du Sud ainsi que plusieurs compagnies « secondaires » partout dans le monde, une alliance globale peut offrir au passager la possibilité de se déplacer jusqu’à n’importe quel point du globe. En optimisant les correspondances, elle est à même d’offrir un vol « sans discontinuité » mais aussi d’harmoniser les programmes de fidélisation. Skyteam, c’est ainsi 15 500 vols par jour à travers 170 pays.

Reste que, depuis quelques années, la forte concurrence à laquelle se livrent les trois rivales s’exerce moins par le biais de nouvelles adhésions, qui renforceraient la puissance de leurs réseaux, que par la création de partenariats d’un nouveau type.

Trois Metal Neutral Joint-Ventures se partagent les deux côtés de l'Atlantique. Fourni par l'auteur

Au sein d’une même méga-alliance, certaines compagnies ont en effet décidé d’aller encore plus loin dans leur coopération et de créer ce que l’on appelle dans le jargon de l’aérien des « Metal Neutral Joint-Venture » (MNJV) ou « quasi-fusion ».

Dans un périmètre donné de destinations (un « bundle ») sur lesquelles ils étaient rivaux, les partenaires vont désormais se comporter comme s’ils ne formaient qu’une seule et même compagnie. Selon des règles très clairement établies dans le contrat, ils vont partager leurs revenus, leurs profits et/ou leurs coûts, de sorte que l’identité du métal, c’est-à-dire de l’avion qui va effectuer le vol, importe peu.

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Au sein des trois méga-alliances, il existe désormais plus d’une vingtaine de MNJV à la puissance colossale, en particulier sur le juteux marché aérien transatlantique, entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Il s’agit alors d’être stratèges et ne pas laisser un des siens passer dans l’équipe adverse.

La stratégie qu’il fallait jouer

Avant de faire faillite en 2021, Alitalia était une partenaire privilégiée du tandem Air France-KLM-Delta : non seulement elle était, elle aussi, membre de Skyteam depuis 2001, mais elle avait rejoint en 2010 sa joint-venture transatlantique. Dès la création de sa remplaçante ITA, Skyteam se devait de la récupérer. ITA avait, à ce moment, hésité (pas longtemps certes) à aller voir du côté de StarAlliance. Lufthansa, une des compagnies leaders de cette dernière, la voulait absolument et avait pesé de tout son poids pour la convaincre de les rejoindre. ITA était finalement allée renforcer les rangs de sa rivale Skyteam.

Aussi, lorsque l’État italien a annoncé la privatisation d’ITA, StarAlliance a rapidement vu l’opportunité de prendre sa revanche. Une compagnie aérienne ne peut faire partie que d’une seule alliance et une fois qu’elle en est un membre, il lui est difficile d’en changer. Les rares fois où cela est arrivé, c’était plutôt à la suite d’une fusion, d’acquisition ou de rachat entre compagnies d’alliances rivales.

ITA entre les mains de Lufthansa n’aurait plus eu d’autre choix que de plier bagage et de rejoindre l’équipe de StarAlliance. Cela aurait représenté une énorme perte pour Skyteam et surtout pour sa MNJV transatlantique. En 2020, celle-ci s’était renforcée en « fusionnant » les deux MNJV transatlantiques qu’elle avait (Air France-KLM-Delta et Delta-Virgin, Virgin ne fait pas partie de Skyteam mais est détenue par Delta à 49 %) et reste aujourd’hui très ouverte à y intégrer de nouveaux partenaires. ITA pourrait très bien prendre la place vacante de l’ex-Alitalia.

Voici pourquoi prendre le pas sur Lufthansa dans la reprise d’ITA est un brillant fait d’armes pour le tandem formé par Air France-KLM et Delta. Bien sûr, les négociations ne sont pas terminées et la situation financière d’ITA est loin d’être bonne. Mais à ce stade, c’était, semble-t-il, à coup sûr la stratégie qu’il fallait jouer pour empêcher leurs concurrentes de les amputer d’un atout important. C’était mettre toutes les chances de leur côté pour maintenir leur force sur le marché transatlantique.

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