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Le terroir, une notion protéiforme. Pexels

Pourquoi le « terroir » viticole est à la fois invisible et omniprésent

Bien que le terme de « terroir » soit employé fréquemment pour qualifier un vin, grand ou modeste, nous sommes encore bien loin d’avoir percé tous les mystères qui entourent ce terme. Les vins pour la plupart aspirent à être identifiés à un terroir. Celui-ci obtient sa reconnaissance réglementaire avec la création des Appellations d’origine contrôlée (AOC) dans les années trente. Chacun dans son rôle, le géographe, le sociologue, l’ethnologue, le géologue, l’agronome, le sémiologue, l’économiste, l’historien, le linguiste, mais également le professionnel – vigneron, viticulteur, caviste ou sommelier – parle du terroir. Il est considéré par les géographes comme « une étendue de terrain présentant certains caractères qui l’individualisent au point de vue agronomique ». Mais sa portée symbolique et marchande va bien au-delà de cette définition.

Un imaginaire qualitatif

Le terroir est profondément ancré dans le paysage viticole. Ce paysage est avant tout culturel, c’est-à-dire qu’il est né, non seulement d’une occupation du sol marquée par l’omniprésence de la vigne, mais aussi et surtout par les hommes qui font le vin, par leur savoir-faire et par leur histoire. En effet, le terroir est aujourd’hui l’un des vecteurs qui permettent d’étudier et de transmettre la représentation qualitative d’un vin, à travers les caractéristiques techniques de la vigne, du sol et du sous-sol, les éléments indépendants de l’aspect physique tel que le climat et les fondements patrimoniaux, naturels et culturels,

Tous ces indicateurs liés à la présence du terroir forment un imaginaire qualitatif du vin. Ils influencent les attentes des consommateurs car ils correspondent à une promesse marketing. Ils guident également la perception du consommateur par la marque, l’information, le signe de qualité officiel ou officieux, ou par le discours scientifique ou technique qui apporte une légitimité au lien « vin de terroir – vin de qualité ».

D’autres éléments permettent d’influencer le consommateur par exemple le type de culture et ses impacts environnementaux, le climat, la qualité des paysages, etc. Le terroir, qui croise toutes ces préoccupations, est donc au centre de la représentation qualitative du vin et des enjeux vitivinicoles et ce à toutes les échelles, du local au global. Le terroir et la culture œnologique associés forment un objet multifacette sur lequel se sont penchées de nombreuses recherches.

Parmi les plus récentes, en 2011, Serge Wolikow et Olivier Jacquet proposent un regard croisé sur l’histoire des territoires vitivinicoles, en se fondant sur plus de dix de travaux menés au sein de la Maison des Sciences de l’Homme de Dijon, du Centre Georges Chevrier (Unité Mixte de Recherche CNRS et Université de Bourgogne) et de la chaire Unesco de l’Université de Bourgogne. Deux ans plus tard, Sandrine Lavaud, Jean‑Michel Chevet et Jean‑Claude Hinnewinkel décryptent les itinéraires de la qualité en coordonnant les actes d’un colloque. Ces travaux menés aussi bien en France qu’à l’étranger, sont autant de références scientifiques qui dessinent la recherche sur le terroir et la qualité en milieu viticole.

La valeur marchande du terroir

Le terroir n’est pas seulement une question de représentations, il revêt surtout, aujourd’hui, une valeur marchande. Les critères de qualité d’une vigne sont définis par un cahier des charges d’AOC, comme par une délimitation territoriale. Le vigneron marque ainsi un espace et en défend l’identité par des techniques viticoles et des typicités vinicoles, autant d’apports révélateurs pour introduire l’esprit du terroir.

Le viticulteur, depuis ses rangs de vignes, le maître de chai face à ses cuves, l’œnologue lors de l’assemblage des cuvées, le sommelier effectuant l’accord avec le mets, se trouvent tous disposés, d’une façon quelquefois provisoire, à proposer des argumentaires valorisant le terroir, en y associant la qualité du vin. Le terroir viticole est appréhendé comme une scène sur laquelle se construit une manière de vivre – un savoir-vivre à la française – traduite par des discours autour du vin, de la région viticole, des crus parcellaires, de la profondeur historique et de l’hédonisme. Le terroir véhicule, dans ce cas de figure, un rapport affectif au vin.

Incontestablement, le terroir revêt aujourd’hui une connotation positive. C’est un synonyme subjectif de qualité, aussi bien pour les agriculteurs qui y voient entre autres, une reconnaissance dans leurs pratiques des valeurs environnementales et paysagères, pour les consommateurs qui y trouvent une authenticité et une proximité avec les lieux de production, dans un monde ou les déconnexions avec la ruralité sont nombreuses et profondes, mais aussi pour les territoires pour lesquels le terroir devient facteur de développement.

Mais on peut toutefois se demander d’où provient ce goût du terroir, cette attirance pour un sujet conceptuel et une saveur virtuelle ? Il est bien difficile de lui assigner une origine : ce goût est le fruit d’une longue stratification culturelle. Le terroir n’est pas qu’une réalité physique et mesurable. Il est aussi et surtout le produit d’une alchimie en perpétuelle évolution.

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