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carte de France, bilan carbone 2016
Pour piloter la transition écologique, il est important de connaître précisément et régulièrement les émissions des secteurs et territoires de la France - mais actuellement, ces estimations sont connues avec délai assez long et peuvent avoir de fortes incertitudes. TCF

Pourquoi les bilans carbone sont incertains – et comment les améliorer

Le changement climatique est engendré par les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine. Pour mieux comprendre ces émissions et mieux les réduire, les « bilans carbone », et plus généralement les bilans d’émission de gaz à effet de serre, sont réalisés aux niveaux national, régional et départemental.

En pratique, ces bilans comptabilisent les émissions de toutes les activités humaines à partir de nombreuses données (type d’énergie, consommation, surface habitable, type d’habitation, compteurs trafic…). On estime par exemple, ce qu’un logement individuel chauffé au gaz émet en CO2 par mètre carré en moyenne pendant l’hiver.

Il existe un cadre réglementaire pour les inventaires nationaux, mais pas pour les échelles plus locales, pourtant nécessaires pour les décideurs publics et le suivi des mesures de lutte contre l’émission de gaz à effet de serre. Pour suivre précisément les émissions de gaz à effet de serre et leurs tendances (à la hausse, à la baisse), il est nécessaire d’homogénéiser les protocoles d’inventaire, notamment en identifiant toutes les sources et puits d’émissions, et en incluant tous les différents secteurs d’activité.

Nous proposons une méthode de mesure qui complémente les inventaires actuels. Elle permet d’améliorer la confiance dans les inventaires d’émission de gaz à effet de serre et est déjà mise en œuvre dans la région Grand Est pour faire du suivi en temps réel.

Aerolab, CNRS, Université de Reims Champagne0Ardennes, Fourni par l'auteur

Comment sont fait les bilans carbone ?

Les bilans carbone se font actuellement « par inventaire » : ils recensent les émissions directes de gaz à effet de serre, ainsi que les émissions « indirectes », issues de la consommation d’électricité et de chauffage urbain. La réglementation nationale prévoit également d’inclure les émissions indirectes liées d’une part au cycle de vie des produits en amont de la production, et d’autre part à la distribution des énergies (bois et électricité).

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En théorie, calculer les émissions grâce à des méthodes par inventaire peut conduire à des estimations fiables et précises des émissions de gaz à effet de serre sur une ville ou une région.

En pratique cependant, il n’est pas toujours possible d’accéder aux données, par exemple, les données industrielles ou celles concernant le chauffage domestique ou le trafic routier. Le manque de mises à jour des « facteurs d’émissions », et l’évolution rapide des zones urbaines contribuent aussi à accroître les erreurs et les imprécisions dans les bilans carbones, qui restent peu étudiées.

De plus, l’absence de standards au niveau sub-national est source de divergences dans les manières de comptabiliser les émissions, avec par exemple des définitions variables du périmètre géographique ou politique, l’inclusion d’un ou plusieurs gaz à effet de serre, et des méthodologies variées. Les bilans d’émissions de gaz à effet de serre sont aujourd’hui sujets à de nombreuses incertitudes, difficilement comparables et donc à agréger pour obtenir un bilan à l’échelle nationale.

Une étude américaine a par exemple comparé les 48 inventaires auto-déclarés par les villes américaines, avec un bilan carbone indépendant, basé sur des mesures atmosphériques avec une échelle spatiale finale. Les émissions directes des villes étaient en moyenne sous-estimées (de presque 20 %, avec une fourchette allant de -145,5 % à +63,5 %) et les compensations d’erreurs au niveau de la ville cachaient des différences importantes par secteur. Pour une ville comme Indianapolis, qui veut atteindre une réduction de 20 % dans un secteur donné en 2025, il sera extrêmement difficile de vérifier que l’objectif est atteint avec des incertitudes d’environ 35 %.

Comment faire du suivi en temps réel ?

Le suivi des concentrations de gaz à effet de serre, via des capteurs in situ (sur le terrain) couplés à un modèle météorologique, permet de suivre les émissions en temps réel et d’affiner les inventaires.

Le ballon, suivi de son parachute et capteurs, sort du laboratoire pour aller sur le terrain. AEROLAB, CNRS ? Université Champagne Ardennes, Fourni par l'auteur

Ces nouveaux systèmes de surveillance atmosphérique reposent sur un réseau de mesures des concentrations en gaz à effet de serre. Similaire au réseau de suivi de la qualité de l’air, le réseau de mesures des gaz à effet de serre permet de déduire les émissions naturelles et anthropiques de gaz à effet de serre. Le lien entre un changement dans les concentrations (nombre de molécules dans un volume donné) et les émissions (nombre de molécules émises à la surface) est calculé par un système de modélisation atmosphérique, issu de la météorologie.

Avec un réseau suffisamment dense de capteurs, le système est capable de quantifier en continu les émissions de gaz à effet de serre avec une temporalité et une distribution spatiale à fine échelle. Un tel système améliore la confiance dans l’inventaire en identifiant les sur-/sous-estimations de l’inventaire, et permet une mise à jour régulière – hebdomadaire ou mensuelle – des émissions sur la région.

Un tel système d’information atmosphérique, tel que développé récemment par la communauté scientifique, est un vrai atout pour remédier aux lacunes présentes dans les inventaires. De plus, il fonctionne en continu et n’a pas le problème de latence des inventaires, publiés avec plusieurs années de retard. Grâce à la mise en place de réseaux de suivi des émissions par les mesures atmosphériques, des cartes dynamiques des émissions sont produites chaque mois pour fournir une information rapide et pertinente pour les politiques climatiques.

Les estimations des émissions sont comparées aux estimations officielles, en complétant également la composante naturelle (végétation) peu ou mal prise en compte dans les inventaires officiels.

Distinguer les émissions par secteur d’activité

À terme, la densité du réseau devrait permettre de distinguer les émissions par secteur d’activité en combinant les différents gaz mesurés en parallèle, par exemple les oxydes d’azote (ou « NOx</sub »), le monoxyde de carbone, les particules fines.

Dans la région Grand Est, l’Observatoire régional des gaz à effet de serre a reçu en 2022 le label « Space Climate Observatory », initiative mondiale qui vise à étudier et surveiller les impacts du changement climatique et à s’y adapter. En effet, nous sommes capables de collecter des observations calibrées et rapidement disponibles au public pour mieux suivre l’évolution des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire. L’observatoire s’appuie également sur des développements d’instruments innovants au sol par exemple, ou encore sous ballon stratosphérique ou sous drone.

Ceci permet un suivi rapide des émissions de gaz à effet de serre et une évaluation des estimations par inventaire sur l’ensemble des activités humaines, urbaines et agricoles, mais aussi sur les échanges naturels de gaz à effet de serre au niveau des forêts et des prairies par exemple.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 7 au 17 octobre 2022 en métropole et du 10 au 27 novembre 2022 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Le changement climatique ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

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