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Pourquoi les Européens ont tant de mal à se faire indemniser après l’affaire Volkswagen

Le siège de Volkswagen à Wolfsburg, en Allemagne. Elena Savelyeva, CC BY-SA

Plus d’un an après le début de l’affaire Volkswagen, un scandale industriel qui touche aujourd’hui plusieurs acteurs du secteur automobile, accusés d’avoir falsifié les résultats des mesures d’émissions polluantes de certains de leurs moteurs, les consommateurs européens attendent toujours des mesures concrètes.

La plupart se savent pas quand – ou même si – ils seront indemnisés. Le maire de Londres, Sadiq Khan, a écrit à Volkswagen pour demander le remboursement d’équivalent de 2,9 millions d’euros) dus à la régie des transports en commun londoniens (TfL), en compensation des émissions de gaz à effet de serre qui affectent les habitants de la capitale britannique.

Le groupe, qui a annoncé la suppression de 30 000 emplois le 18 novembre, n’a pas encore donné suite.

Le dispositif d’indemnisation est radicalement différent aux États-Unis, où Volkswagen va apparemment débourser quelque 16,5 milliards de dollars pour racheter les véhicules concernés. Ce phénomène s’explique notamment par l’influence du lobby du diesel dans les différents États de l’Union européenne, et l’absence de système de recours collectif au niveau européen.

La puissance du lobby du diesel

Les constructeurs automobiles des différents pays font du lobbying systématique au niveau national et européen pour dissimuler le fait que la plupart des voitures dépassent le seuil d’émissions autorisées en situation de conduite réelle. Le secteur a dépensé plus de 18 millions d’euros pour faire pression sur l’Union européenne en 2014. Il importe donc de ne pas sous-estimer son influence.

Les lobbyistes de Volkswagen, Daimler et BMW – ainsi que ceux de la VDA, l’union de l’industrie automobile allemande, et de l’ACEA, l’association des constructeurs européens d’automobiles – se sont arrangés pour empêcher l’utilisation de tests plus récents et la mise en place de mesures plus contraignantes que celles qui avaient été prises par l’Union européenne en 2007.

La Commission européenne promet depuis quatre ans de nouveaux essais sur route, mais ceux-ci sont bloqués par l’industrie automobile. Même après la révélation de l’affaire Volkswagen, en octobre 2015, les constructeurs ont fait assouplir les textes en matière d’émissions au niveau européen et retardé de plusieurs mois la mise en place de nouveaux tests, qui devraient néanmoins débuter en 2017.

La Commission européenne était au courant de l’existence de dispositifs d’invalidation des années avant que le scandale éclate. Mais aucune enquête n’a été diligentée parce que, dans le système de réglementation de l’Union européenne, seuls les États peuvent procéder à des tests d’émissions automobiles.

Protection des intérêts nationaux

En Allemagne, le ministère des Transports a eu connaissance de la fraude près de cinq ans avant les révélations de 2015. Malgré une enquête démontrant que la plupart des constructeurs utilisaient des dispositifs d’invalidation, le gouvernement a décidé, en juin 2016, de n’imposer aucune amende, du moment qu’ils organisaient un rappel volontaire de leurs véhicules.

Les autorités allemandes ont toutefois demandé des explications à Fiat-Chrysler sur ses dispositifs d’invalidation. Le gouvernement italien a répondu que leurs propres tests n’avaient pas permis d’établir la preuve de la duplicité de Fiat, et rappelé à l’Allemagne que les agissements des constructeurs automobiles de la péninsule étaient du ressort de l’Italie. Dans le même temps, l’autorité de la concurrence italienne a été la première instance européenne à imposer une amende de 5 millions d'euros à Volkswagen pour publicité mensongère, au mois d’août.

En septembre, l’Allemagne a porté cette affaire devant l’Union européenne, qui en a de nouveau référé aux autorités italiennes. Le conflit n’est toujours pas résolu, mais il démontre que la transparence est un vain mot quand les autorités – et les informations qu’elles fournissent – sont influencées par les constructeurs automobiles du pays.

Une militante de Greenpeace manifeste devant le siège de Volkswagen à Wolfsburg en 2015. Fabian Bimmer/Reuters

L’imbroglio européen en matière de recours collectif

Mais les lobbies nationaux ne sont pas seuls responsables de la différence de traitement entre consommateurs européens et américains. Tout repose en fait sur l’absence de cohérence européenne en matière de recours collectif.

En 2013, la Commission européenne a recommandé l’instauration de systèmes de recours collectif étendus pour protéger les consommateurs dans chacun des États membres. Or seuls 16 des 28 pays de l’Union européenne proposent aujourd’hui de telles mesures. Étant donné que ces textes varient considérablement d’un pays à l’autre, il est très compliqué d’intenter des recours collectifs au niveau européen.

L’échec des précédentes tentatives d’établir un système européen est lié aux traditions juridiques nationales, et à la crainte d’un déluge de litiges à l’américaine. Les consommateurs sont pourtant en position de faiblesse face à des multinationales aux ressources financières quasi illimitées, et l’absence de recours supranationaux réduit encore davantage leurs options.

Aux États-Unis, où les litiges portés devant les tribunaux sont légion, le recours collectif a été privilégié dans cette affaire. La cour fédérale de San Francisco a validé les premiers accords d’indemnisation le mois dernier. Les consommateurs américains peuvent revendre leur voiture, ou la faire réparer et obtenir une indemnité comprise entre 5 000 et 10 000 dollars (4 700 et 9 400 euros). Ceci s’ajoute au cadeau d’une valeur de 1 000 dollars (940 euros) offert par Volkswagen à tous ses clients américains.

À l’inverse, l’association italienne de consommateurs Altroconsumo a introduit des recours collectifs contre Volkswagen et Fiat en septembre 2014, bien avant les révélations. Ceux-ci ont été confirmés en appel en 2015 et 2016, et sont en cours. Mais ils demandent seulement 500 euros d’indemnisation par véhicule, et Volkswagen a fait savoir qu’il n’avait aucune intention d’offrir quoi que ce soit aux consommateurs européens.

D’autres actions de ce type, coordonnées par le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), sont en cours dans plusieurs autres pays de l’Union. Mais en l’absence de réglementation au niveau européen ne permet pas de garantir que les consommateurs de chaque pays membre seront indemnisés.

Ces failles privent les consommateurs de moyens efficaces pour empêcher les constructeurs de se contenter du strict minimum, ce qui est d’autant plus déplorable que les États rechignent à pénaliser les entreprises concernées.

Perspectives

Que peuvent donc espérer les consommateurs européens en matière d’indemnisation ? Le dossier progresse lentement, en dépit des pressions exercées par la Commission européenne et les ONG.

Volkswagen a fait un premier pas aussi tardif que bienvenu en s’engageant récemment à créer un plan d’action pour mieux informer ses clients européens et accélérer la procédure de rappel des véhicules. Son site Internet ne donnera pourtant que les informations auxquelles les Américains ont toujours eu accès, et aucune indemnité n’est prévue pour le moment.

Le point le plus positif de toute cette affaire est peut-être l’élan suscité pour obtenir davantage de transparence et sensibiliser l’opinion à l’importance des recours collectifs au niveau européen.

Dans un système opaque dominé par le lobbying industriel, de multiples réglementations et des responsabilités diffuses, c’est assurément une bonne chose.


Traduit de l’anglais par Bamiyan Shiff pour Fast for Word.

This article was originally published in English

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