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Pourquoi les jeunes femmes n’entreprennent-elles pas autant que les jeunes hommes ?

Plus que l’argent ou le prestige social, c’est une recherche de liberté et d’indépendance qui motive des entrepreneures encore étudiantes. magnetme / Pixabay, CC BY-SA

En 2021, environ 41 % des entreprises créées en France l’ont été par des femmes et seules 14 % d’entre elles sont cheffes d’entreprise. La tendance va croissante, mais la progression reste assez lente.

Pourtant, aujourd’hui, les jeunes, femmes comme hommes, ont la possibilité de se former à l’entrepreneuriat pendant leurs études. La proportion d’entreprises étudiantes créées par des entrepreneures atteint 39 % aujourd’hui selon Pépite France. Bien décidées à réussir, elles interpellent les communautés éducatives de l’enseignement supérieur sur la nécessité de mieux les accompagner.

Pour observer et analyser l’entrepreneuriat féminin, l’Observatoire des représentations de l’entrepreneuriat liées au genre (Orelig) a été lancé le 8 mars 2020 par la Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises et Pépite France. Il s’agit de répondre à deux objectifs principaux : mieux comprendre les motivations et les freins des jeunes femmes pour créer ou reprendre leur organisation et favoriser le déploiement d’actions susceptible de développer cet entrepreneuriat.

L’Observatoire rassemble une équipe de 8 chercheurs, issus de divers horizons (universités publique et catholique, écoles de commerce). Il constitue la première initiative nationale française. La thématique du genre n’est en effet pas systématiquement traitée en sciences de gestion en France.

Retard français

On recense dans le monde plus d’une cinquantaine de journaux de fort bonne réputation sur le genre en contexte économique. Ils sont alimentés par des collectifs solides, à l’instar du Women Business Council créé au Royaume-Uni en 2013 et qui publie chaque année un rapport sur les entreprises dirigées et possédées par des femmes.

Les classements académiques français n’en font, eux, apparaître que deux, dont la doyenne des revues Feminist Economics qui bénéficie d’une appréciation peu favorable pour ses approches alternatives aux théories économiques orthodoxes. Orelig se propose donc de porter un regard genré sur l’entrepreneuriat des jeunes femmes en France. Ces enquêtes et analyses seront réalisées annuellement, à partir d’une thématique ou d’un éclairage particulier, d’intérêt général et exprimé par les répondantes.

Une première étude a été réalisée au premier trimestre 2021 au sein de 29 Pôles étudiants pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat (les « Pépites », lancées par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation en 2014 (il en existe 33 au niveau national), auprès de sa population d’étudiantes-entrepreneures. L’analyse a été réalisée en croisant des données de nature quantitative et qualitative.

Sur les 245 réponses valides, la Génération Z (les jeunes femmes ayant moins de 26 ans) est principalement représentée (78,8 %). Trois quarts de ces étudiantes entrepreneures ont déjà eu une expérience professionnelle à travers des stages en entreprise ou une expérience associative conséquente.

Indépendance et liberté

93,1 % des étudiantes interrogées affirment s’être inscrites au sein du Pépite afin de créer leur entreprise, leur association ou leur organisation. L’engagement dans un projet entrepreneurial n’est cependant pas l’unique raison invoquée pour toutes les répondantes. Pour 27,8 % d’entre elles, le dispositif d’aide à la création d’entreprise a un but de développement professionnel. Il leur permet d’acquérir des compétences qui leur seront utiles, même si elles n’entreprennent pas.

Pour plus de 80 % des répondantes, l’entrepreneuriat permet un accomplissement personnel et professionnel. Cette quête prend forme à travers trois dimensions majeures : s’accomplir en étant « auteure » de sa vie, au-delà du simple fait de l’agir ; s’accomplir en créant une entreprise qui répond à un besoin pour autrui ; s’accomplir en apportant des innovations ou une contribution, susceptibles de changer la société.

L’une d’entre elles exprime cette recherche d’accomplissement de la manière suivante :

« Ce qui me motive c’est de pouvoir faire quelque chose qui m’épanouit, me rend fière et me permet d’être pleinement indépendante. »

Ce n’est pas là un moyen pour contourner les difficultés rencontrées sur le marché du travail. Elles ne visent pas non plus la richesse ou une forme d’élitisme. Seules 20 % des étudiantes relient l’entrepreneuriat au prestige social et, pour 30 % d’entre elles, cela permet de se créer son propre travail et gagner de l’argent. En réalité, ces étudiantes-entrepreneures conçoivent l’entrepreneuriat comme le moyen d’accéder à une indépendance et à un réel espace de liberté. C’est à la fois un moyen et une fin, puisqu’elles n’envisagent pas de retour vers le salariat.

Plus de la moitié des répondantes associent l’entrepreneuriat au fait de travailler sans supérieur hiérarchique et la grande majorité d’entre elles le relient à la possibilité d’organiser son emploi du temps. C’est bien leur vision du travail, à la fois un engagement en termes de valeur mais également un accomplissement de soi par la création et grâce à leur créativité. Une entrepreneuse énumère les facettes de sa vision entrepreneuriale :

« Créer mon entreprise : répondre à un besoin, enchanter, choisir mon métier, mettre mes compétences au service de l’écologie, être indépendante, heureuse de me lever le matin, choisir mes horaires, choisir mes partenaires, travailler en accord avec ma vision, mon éthique et mes envies. »

Dans un « monde de requins »

Reste que, lorsqu’elles évoquent le parcours entrepreneurial, les jeunes entrepreneures rendent compte des difficultés qui les attendent avec une lucidité nouvelle. Elles énumèrent les problèmes de légitimité, de levée de fonds, de crédibilité propre à leur genre. Pour 57,1 % des répondantes, la plupart des interlocuteurs institutionnels (financeurs, banques, fournisseurs, partenaires) sont méfiants lorsqu’une femme présente un projet de création d’entreprise. L’une d’entre elles explique :

« J’aimerais un jour que la société puisse considérer de manière consciente et inconsciente le fait qu’une femme est aussi crédible qu’un homme… Malheureusement, nous sommes encore loin de cette situation. »

La conscience forte de ces obstacles ne les arrête cependant pas. Elles sont bien décidées à entreprendre. Une étudiante entrepreneure avance :

« Il faut croire en ce que l’on fait et se lancer ! Ne pas se soucier des autres, la vie est un monde de requins, elle ne nous fera pas de cadeau ; alors, c’est à nous de basculer les choses et d’œuvrer pour notre avenir. »

Pour s’assurer de la réussite de leur projet, elles se forment, cherchent des mentors, des conseils et, à l’instar de leurs aînées, souhaitent se rassurer dans leur capacité à entreprendre. Une enquêtée synthétise ainsi sa perception de la situation :

« Homme ou femme, même si certaines portes sont parfois plus fermées, il suffit de s’entourer de bonnes personnes bienveillantes et tout ira bien ; chaque personne apprendra les compétences nécessaires au moment venu ou pourra s’appuyer sur une équipe. »

En se fondant sur ces premiers résultats, Orelig propose des axes de réflexion mais aussi d’actions pour favoriser l’entrepreneuriat des jeunes femmes en France. Il s’agit d’analyser les effets de genre ou de génération sur la perception de l’entrepreneuriat et également de mieux comprendre le rôle des “Pépites” dans l’accompagnement et la définition de la perception de l’entrepreneuriat par les étudiants-entrepreneurs.

La pérennité de l’Observatoire et le dialogue qu’il aura avec d’autres recherches en France constituent deux éléments de préoccupations de ses membres. D’autres initiatives ont vu le jour durant ces 20 dernières années et force est de constater que l’inscription dans la durée n’est pas aisée, tant les défis posés par leur maintien sont nombreux.

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