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Pourquoi l’opinion publique malienne a une vision négative de l’opération Barkhane

Des soldats de l'armée française patrouillent dans le village de Gorom Gorom à bord de véhicules blindés dans le cadre de l'opération Barkhane dans le nord du Burkina Faso, le 14 novembre 2019. Michele Cattani/Afp

L’approche choisie par le président français Emmanuel Macron pour tenter de peser sur les oppositions populaires à la présence militaire française dans les pays du G5 Sahel risque d’aboutir à un résultat contraire à celui recherché. Comme un pied de nez à ceux qui exigent le retrait des forces françaises du Sahel – n’oublions pas que c’est le phénomène à l’origine du sommet de Pau du 13 janvier –, il répond par l’annonce d’un déploiement supplémentaire de 220 soldats.

Cette décision ne devrait pourtant pas surprendre. Dès l’enclenchement de l’opération Serval au Mali, en 2013, certains indices laissaient supposer que la présence militaire française dans ce pays était partie pour durer, voire se perpétuer), bien que le contraire ait été affirmé au moment des faits.

La solution militaire semble n’avoir aucune chance d’aboutir. Cependant, elle apparaît toujours comme la seule option envisagée par la France. Le cap militaire maintenu mériterait à l’évidence d’être infléchi, mais le sommet de Pau n’apporte aucune autre éventualité.

De gauche à droite : le président du Niger Mahamadou Issoufou, le président du Mali Ibrahim Boubacar Keita, le président du Tchad Idriss Deby, le président français Emmanuel Macron, le président de la Mauritanie Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani et le président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kabore, lors du sommet de Pau le 13 janvier 2020. Régis Duvignau/AFP

Critiques de plus en plus vives contre la France

Lorsqu’il demande aux chefs d’État du G5 Sahel de « clarifier leur position » sur la présence de la force Barkhane dans leurs pays respectifs, Emmanuel Macron semble leur laisser la pleine possibilité de choisir en toute indépendance. La demande de clarification qu’il a formulée auprès de ses pairs du G5 Sahel – parfois vue comme une invitation à réduire au silence les voix dissonantes – pourrait se justifier eu égard au contexte. Mais la forme s’apparente plutôt à une convocation qui ne leur laisse guère le choix. Elle conforte davantage ceux qui estiment que la présence militaire française obéit à un agenda caché voire néocolonial. Selon un collectif de personnalités du Sahel, Emmanuel Macron donne l’impression que « l’émotion patriotique qui a entouré l’accident d’hélicoptères du 25 novembre au Mali, dans lequel sont morts 13 soldats français, devrait empêcher toute critique de l’opération Barkhane en France comme en Afrique ».

Ce constat est aussi celui de responsables politiques de premier plan, notamment au Mali. Au lendemain du sommet de Pau, le député malien Oumar Mariko, président du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi), tenait une réunion devant ses partisans où il dénonçait les conclusions du sommet, et surtout l’attitude du président Macron :

« Monsieur Macron fait croire que les soldats français sont en train de mourir pour la liberté et la démocratie […]. Les soldats français sont des gens manipulés, envoyés à la boucherie pour les intérêts du capital financier français. »

De son côté, Ibrahim Boubacar Kéita, le président du Mali, épicentre de la crise sahélienne, a assez nettement clarifié sa position avant même de se rendre à Pau le 13 janvier 2020. Selon lui, « Ceux qui demandent le départ des forces étrangères sont les ennemis des Forces armées maliennes » (FAMa).

Il demande également aux associations de la société civile et aux partis politiques qui ont manifesté le 10 janvier 2020 à Bamako pour réclamer le départ des Français s’ils vont aller rejoindre les Forces armées maliennes au front en cas de retrait des troupes françaises.

La posture des présidents africains francophones dans leurs rapports avec la France est souvent loin de refléter leurs opinions publiques. C’est particulièrement le cas dans un pays comme le Mali, où la société civile se montre de plus en plus véhémente dans ses rapports avec l’État. Une bonne partie de cette société civile s’estime trahie par une classe politique trop compromise avec l’Occident.

Le succès de certains leaders religieux parmi les plus radicaux, sur le terrain politique, s’est justement construit sur une opposition à ce qu’ils considèrent comme des formes d’ingérence occidentale. Plutôt que de rechercher le seul appui des présidents sahéliens – certains paraissent dépourvus de tout poids politique et décisionnel face à la France et souffrent d’un déficit de légitimité qui les rend totalement inaudibles au sein de leurs opinions publiques –, il aurait été opportun que la France substitue à l’opacité du fonctionnement de Barkhane une communication efficace auprès des populations sahéliennes pour les convaincre de la nécessité du maintien de l’opération.

Les choix opérés, les succès, et les impacts concrets engendrés par Barkhane devraient, en effet, faire l’objet d’une meilleure communication. Car ce dont il est question avant tout – et qui est improprement désigné sous le terme de « sentiment anti-français » –, c’est la critique (largement justifiée) de l’inefficacité des forces armées dans leur globalité dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.

Plusieurs centaines de Maliens ont manifesté à Bamako pour exiger le départ des troupes étrangères, en particulier des soldats de Barkhane, le 10 janvier 2020, trois jours avant le sommet de Pau. Annie Risemberg/AFP

L’inefficacité des forces étrangères

Que reproche t-on concrètement aux forces armées étrangères ?

Incontestablement, l’opération Serval, qui a précédé Barkhane dans le nord du Mali, fut une réponse extrêmement efficace face à une situation d’urgence qui menaçait l’existence même de l’État malien. Cette opération avait d’abord été perçue positivement par la grande majorité des Maliens. En témoigne l’accueil triomphal qui fut réservé à François Hollande lors de sa visite au Mali, après la libération des villes septentrionales occupées par les groupes armés djihadistes.

Mais face à la gestion du cas de Kidal par l’armée française (qui a semble-t-il interdit aux FAMa l’accès à la ville), les Maliens commencèrent à se poser des questions. Beaucoup parmi eux se sont finalement laissé convaincre que la France n’intervient dans leur pays que pour ses propres intérêts politiques, économiques et stratégiques inavoués. Ils estiment qu’elle participe à la déstabilisation du Mali pour légitimer sa présence, mais surtout qu’elle a pris le parti des ex-rebelles touaregs dans le conflit qui les oppose à l’État malien. Ce dernier point a particulièrement contribué à installer un sentiment de méfiance à l’égard de la France en général et des soldats de la force Barkhane en particulier.

Des soldats de la force Barkhane en patrouille dans le marché de Menaka (nord-est du Mali), le 27 juin 2019. Marie Wolfrom/AFP

D’autres actions sont venues conforter cette idée. Il s’agit, notamment de l’annonce par Emmanuel Macron de la visite prochaine du premier ministre malien à Kidal, lors de sa rencontre du 12 novembre 2019 avec les présidents du Mali, du Niger et du Tchad. On connaît très bien les difficultés qu’ont les autorités maliennes à s’y rendre, y compris les personnalités au premier plan de l’État. En quelque sorte, le fait que le président français fasse cette annonce en premier prouverait à certains Maliens qu’il détient la clé du problème de Kidal.

De nombreuses personnalités politiques et de la société civile ont alors pointé du doigt le rôle de la France dans la gestion du cas de Kidal. Récemment c’est Salif Keita, chanteur très populaire au Mali, qui s’est lancé dans une violente diatribe contre la France et son président. Ses propos, tenus en France, sont très clairs :

« C’est la France qui poste des mercenaires pour tuer les Maliens, pour ensuite faire courir des rumeurs qu’il s’agit de djihadistes. Il n’y a pas de djihadistes au nord du Mali. »

À son arrivée à Bamako quelques jours après son intervention, il fut accueilli par une foule immense.

Une opinion publique hostile

En outre, sur les réseaux sociaux, en particulier sur l’application de messagerie WhatsApp, sont régulièrement véhiculées des rumeurs, images et vidéos tentant de démontrer le rôle de la France dans la déstabilisation du Mali. Les dernières images en date, largement partagées par les Maliens, montraient des soldats français en train d’embarquer des motos dans un avion militaire. Sur d’autres photos juxtaposées, on pouvait également voir des cohortes de djihadistes sur des motos semblables. Une manière de dire que c’est l’armée française qui les a fournies aux groupes djihadistes…

Il a fallu un communiqué de l’armée malienne pour expliquer que c’était à elle, en réalité, que les motos étaient offertes par la France. Un communiqué appuyé par l’ambassade de France au Mali.

Au-delà de la France, la méfiance concerne l’ensemble des forces d’intervention extérieures, y compris la Minusma, la force de maintien de la paix de l’ONU. En dépit de leur présence, la situation sécuritaire ne s’est jamais autant dégradée, avec les répercussions que l’on sait sur les populations civiles, notamment dans le centre du Mali.

Une bonne partie de l’opinion ne tient pas forcément compte de la grande complexité du problème sécuritaire malien et des contraintes qui pèsent sur tous ceux qui cherchent à le résoudre.

Les premières critiques visant la Minusma sont apparues en 2015, à un moment où les violences opposaient principalement les groupes armés pro-rebelles et pro-gouvernementaux. Face à ces critiques, les représentants de la force onusienne s’efforçaient d’expliquer que la mission de celle-ci se limitait à protéger les civils et faciliter le dialogue entre les protagonistes (l’État malien et les divers groupes armés).

C’est justement la concrétisation de ce rôle de protection des civils qui apparaît très difficilement perceptible auprès des populations. D’autant plus que les violences se sont nettement dirigées vers ces dernières, avec des nombres records de victimes, dont des enfants.

Il est clair pour chacun que le nord du Mali n’est aujourd’hui ni plus sécurisé, ni plus stable qu’au moment du déploiement de Barkhane et de la Minusma. La quantité de victimes civiles et militaires du terrorisme est en constante croissance, et la zone d’action des groupes armés s’est considérablement élargie. La réalité est qu’il semble difficile pour de nombreuses populations de croire que Barkhane et la Minusma – eu égard aux moyens considérables dont elles disposent – soient réellement incapables de réduire le pouvoir de nuisance des groupes armés terroristes, ou du moins de les protéger contre ces groupes. En clair, les manifestations d’hostilité ne sont rien d’autre qu’un appel demandant à Barkhane et à la Minusma de justifier leur présence sur le terrain.

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