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Une main jeune est posée sur une main plus âgée, reposant sur un drap blanc
L’euthanasie est un acte ayant pour intention d’interrompre volontairement et médicalement une vie. Oleh Slepchenko/Shutterstock

Pourquoi se dirige-t-on vers une légalisation de l’euthanasie en France ?

Le président de la République a lancé une concertation nationale sur la fin de vie, à l’occasion de la publication le 13 septembre 2022 de l’avis que le Comité consultatif national d’éthique consacre notamment à l’évolution possible de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.

Dans cet avis n° 139, le CCNE revient sur sa position de 2013. Le Comité considère en effet « qu’il existe une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir, mais qu’il ne serait pas éthique d’envisager une évolution de la législation si les mesures de santé publique recommandées dans le domaine des soins palliatifs ne sont pas prises en compte. »

Politisation de la fin de vie

Après s’être sécularisée, individualisée puis médicalisée, notre approche de la mort s’est politisée, suscitant des débats de société. À défaut de recours moraux ou religieux incontestés, des législations tentent de « l’encadrer ».

Depuis les années 1980 se discute un art de mourir qui suscite des tensions profondes et des positionnements idéologiques controversés. Ce parcours complexe, dans un domaine intime qui concerne les valeurs profondes des sociétés humaines, est jalonné d’événements et d’étapes, dont témoigne l’évolution de notre législation entre 1999 et 2016, que nous détaillerons plus loin.

Chacun aspire à vivre jusqu’au terme de son existence, chez soi, de manière digne, en société. La vision d’une mort instrumentalisée et anonyme dans le contexte technique d’un service hospitalier est une source d’effroi que l’on refuse, quitte à solliciter de la médecine le dénouement anticipé, faute d’autres solidarités espérées.

Est-il désormais l’heure d’envisager en France, de manière responsable, une conception de la fin de vie médicalisée qui autoriserait, avec un encadrement strict, une pratique de l’euthanasie ?

Évoquer les conditions de la mort lorsque l’on n’y est pas confronté, pour soi ou un proche, laisse la liberté d’y penser sans autre enjeu que de s’y préparer. Mais face à la réalité, les circonstances sont toujours inattendues, spécifiques, délicates, douloureuses, pour ne pas dire exceptionnelles.

Un événement « exceptionnel » face à la routine et l’idéalisation

Il n’y aurait rien de plus redoutable que de systématiser des procédures et des protocoles selon des critères inspirés par une idéalisation compassionnelle de la mort dans la dignité, voire dans la liberté.

L’histoire doit nous rendre vigilants à l’égard de représentations, de discours, de normes et d’un esprit de système donnant prétexte à justifier l’injustifiable, y compris en respectant les formes de la légalité.

L’expérience pervertie et criminelle d’une euthanasie politisée et institutionnalisée, au nom de considérations légitimant la transgression, nous force à un devoir de rigueur, de retenue et à une exigence éthique insoumise aux tentations des renoncements.

« La notion de mort dans la dignité me paraît respectable comme une existence qui l’aurait été. L’idée même d’euthanasie me révulse car je sais, d’expérience, qu’elle peut être appliquée de manière dogmatique, mécanique, inhumaine. » (Bernard Kouchner, « La mort douce », France-Soir, 18 janvier 1999)

L’euthanasie est un acte ayant pour intention d’interrompre volontairement et médicalement une vie. Elle se distingue du suicide, voire du suicide médicalement assisté, en ce que l’intervention directe du médecin provoque la mort. « Celle-ci consiste en l’acte d’un tiers qui met délibérément fin à la vie d’une personne dans l’intention de mettre un terme à une situation jugée insupportable ».

Une législation octroyant au médecin le droit de donner la mort est-elle la réponse civilisée aux défis d’une souffrance existentielle dans notre exposition à la finitude, aux détresses des maladies ou des handicaps, voire aux altérations du grand âge qui parfois entament la force et l’envie de les surmonter ?

Penser la fin de vie

Autrefois valorisée, la souffrance était spiritualisée et rédemptrice. Aujourd’hui, la personne malade veut qu’on lui épargne l’insupportable et n’admet plus les consolations de l’au-delà. Elle revendique comme un droit fondamental l’apaisement de souffrances indues. La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé indique dans l’article L. 1110-5 que :

« Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. »

La loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie reconnaît ce droit, au point même d’admettre que son « double effet » pourrait abréger l’existence de la personne (sans intention pour autant de provoquer directement sa mort) :

« Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade […] »

« Le droit de ne pas souffrir » justifierait-il, en certaines circonstances, l’exercice d’une « aide active à mourir » ?

Assister la fin de vie

Au moment où le président de la République souhaite engager une concertation nationale sur la fin de vie, rappelons l’article 1 de la proposition de loi donnant et garantissant le droit à une fin de vie libre et choisie adoptée par la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale le 1er avril 2021, ayant fait l’objet d’un vote favorable en séance plénière le 8 avril 2021.

Il est assez évident que cet article constituera le point déterminant de la future législation relative à la fin de vie :

« Toute personne capable et majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, provoquant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable, peut demander à disposer, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée active à mourir. »

« L’assistance médicalisée active à mourir est définie comme la prescription à une personne par un médecin, à la demande expresse de celle‑ci, d’un produit létal et l’assistance à l’administration de ce produit par un médecin […] »

Cette « assistance médicalisée active à mourir » vise donc à répondre par l’euthanasie à la sollicitation d’une personne malade ou en fin de vie éprouvant une « souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable ».

Témoigner par un acte d’euthanasie notre respect à la personne qui n’en peut plus de l’existence qu’elle subit, est-ce la réponse humaine que notre société doit lui apporter, est-ce celle qui est attendue de notre part ?

La question mérite d’être posée, car plus complexe que l’injection létale déléguée à un médecin, assumer nos devoirs de non-abandon à l’égard de celui qui va mourir est un engagement éthique et politique au fondement même de la responsabilité humaine. Et c’est à cette valeur inconditionnelle qu’il nous faut être attentifs, d’une tout autre portée qu’une position favorable ou non à l’euthanasie, favorable ou non aux soins palliatifs.

Le devoir d’humanité envers celui qui part

Oui, être présent à ce que vit la personne dans la maladie et à l’approche de sa mort, lui témoigner la persistance de ce qui nous est commun en humanité, c’est avoir le souci d’apaiser et de consoler ses souffrances mais sans postuler que cette tâche est impossible ou inutile au point d’y renoncer en déterminant les règles de son euthanasie.

Trop de personnes vivent leurs dernières heures dans l’exiguïté et l’inconfort d’un box aux urgences de l’hôpital, faute de bénéficier de l’hospitalité et de la bienveillance que nous leur devons. D’autres meurent dans des établissements sanitaires ou médico-sociaux encore peu préparés à leur prodiguer l’attention et le réconfort d’une assistance humaine digne.

Le « mal mourir » interroge les lieux de soin et d’accompagnement, y compris le domicile, là où, pour toutes sortes de raisons, la préoccupation du « bien vivre » a été reléguée au regard d’autres contingences, notamment d’ordre gestionnaire, organisationnel, voire économique.

Notre impréparation aux circonstances humaines de la maladie chronique, aux situations de handicap et de dépendance induit des maltraitances que certains ne supportent plus. Doit-on se résigner à admettre ce que le constat de carences institutionnalisées semble révéler de notre détachement social aux plus vulnérables ? Doit-on se résoudre aux normes et aux protocoles médicalisés d’une mort par compassion ?

Les techniques de la réanimation médicale, l’évolution sur un long temps de maladies dont le pronostic annonçait par le passé une échéance de mort rapprochée, ainsi que la longévité de l’existence, rendent parfois indistincte la frontière entre vie et « survie artificielle ». Solliciter de la part du médecin une « aide active à mourir » peut alors sembler préférable à la continuation d’une existence ramenée au sentiment d’une souffrance dont il faudrait se délivrer.

Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les services hospitaliers de longs séjours au même titre que des établissements accueillant des personnes en situation de handicap sont apparus ces dernières années comme les symboles du « mal mourir ».

Si les scandales de fins de vie indignes doivent être dénoncés, il ne faudrait pas pour autant renoncer à évoquer ces morts intimes qui se vivent dans la sollicitude et la pudeur d’un accompagnement respectueux, au domicile ou en établissement. Nous y découvrons les valeurs d’une présence humaine jusqu’au bout, fort éloignées de toute « obstination déraisonnable », attentive à l’histoire d’une personne reconnue dans le droit de vivre sa vie jusqu’à son terme.

Nos visions péjoratives de la mort médicalisée, en réanimation ou dans l’isolement et l’anonymat d’une institution, ne sauraient nous inciter à conclure qu’une mort choisie et anticipée est la seule réponse adaptée.

N’a-t-on pas à repenser les conditions d’une fin de vie préservée dans son intégrité et son intimité, vécue dans un environnement humain et social à la hauteur d’attentes et de considérations vraies ?

Une difficile législation

Dès le 6 avril 1978, une législation favorable à l’euthanasie a été envisagée pour reconnaître le « droit de vivre sa mort » :

« Ce texte donne le moyen de s’épargner les douleurs, et d’épargner aux autres le tragique spectacle d’un corps convulsé ou celui triste, d’un corps étale et inerte. Il prétend non pas désarmer l’homme face à la mort, mais l’armer devant la douleur. Ne renversons pas la proposition. La vie reste le sursis. Le glissement vers la mort, le répit. Et non l’inverse. Les temps primitifs sont révolus. L’homme est avant tout un être doué d’intelligence et non un être de chair. Prétendre le contraire réduirait l’homme à peu de choses. » (Proposition de loi n° 301 relative au droit de vivre sa mort, Assemblée nationale, 6 avril 1978)

Pour autant, quatre textes législatifs successifs ne sont pas encore parvenus à instituer l’euthanasie dans notre pays :

La législation française actuelle est opposée à l’euthanasie, lui préférant la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès. À la demande de la personne malade ou en fin de vie, une injection est pratiquée en vue de la plonger dans un coma jusqu’à sa mort.

Une controverse porte cependant sur l’assimilation de cette sédation profonde et continue à une forme d’euthanasie ou d’agonie lente, l’exécutif n’ayant pas estimé politiquement opportun de soutenir explicitement le droit à l’euthanasie.

La loi ne concerne d’ailleurs pas seulement « des personnes en fin de vie » mais également, indistinctement, « des malades […] atteints d’une affection grave et incurable », qui, décidant « d’arrêter un traitement [qui] engage [leur] pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable », peuvent solliciter « une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience main – tenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie. »

Sommes-nous, en 2022, dans un contexte sociopolitique favorable à considérer que la réflexion développée depuis près de 40 ans aboutisse à l’ultime étape du parcours législatif : celle de la légalisation ou de la dépénalisation de l’euthanasie ?

Maîtriser ou subir ?

La prise en compte de l’autonomie d’une personne et de sa volonté de maîtriser son existence, en restant préoccupé jusque dans les conditions de la mort de sa dignité et de sa qualité de vie, est-elle l’argument justifiant de relativiser ou d’abolir des principes d’humanité qui ne se discutaient pas ?

Sénèque, dans un contexte culturel bien différent de notre modernité, affirmait déjà :

« Je choisis moi-même mon bateau quand je m’embarque et la maison où je veux habiter ; j’ai le même droit de choisir le genre de mort, par où je vais sortir de la vie. » (Sénèque, Lettres à Lucilius, 26.)

La société française s’est sécularisée et, dans un domaine aussi sensible que celui qui concerne la fin de vie, les convictions traditionnelles ont évolué. Être soucieux de la dignité de la vie en certaines circonstances extrêmes peut inciter à discuter les justifications d’une vie encore digne d’être vécue. Il ne s’agit donc pas tant d’affirmer le « droit de mourir dans la dignité » que de revendiquer celui de ne pas poursuivre une existence qui s’avérerait incompatible avec des valeurs personnelles.

Le 24 février 1987, le sénateur Henri Caillavet, président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), affirmait dans Le Monde :

« Il y a deux façons d’aborder la mort. La maîtriser ou la subir. En cela, le suicide conscient est l’acte authentique de la liberté de l’homme. Pour tous ceux qui considèrent que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, que d’un bien elle est devenue une malédiction, nul pouvoir, serait-il religieux, médical, législatif, moral, ne saurait se dresser contre leur décision de mourir, parce qu’ils sont seuls juges de la qualité de leur vie. » (Henri Caillavet, « L’euthanasie : un mot qui ne doit pas faire peur », Le Monde, 24 février 1987.)

Le contexte social de la mort a changé

La médicalisation de la fin de vie est venue remplacer les rites du trépas. À l’exception d’événements exceptionnels, la perte d’un membre de notre communauté n’est plus inscrite dans le paysage social. Les endeuillés sollicitent des psychologues là où, auparavant, les solidarités et les accompagnements spirituels conféraient un sens aux moments du départ.

Les derniers témoins de notre vie seront plus souvent des professionnels de santé que les personnes auxquelles nous étions attachés. On meurt en anonyme dans un lieu qui n’est pas familier, avec comme ultime demande à faire reconnaître celle d’une « assistance médicalisée active à mourir ».

La société est sollicitée aujourd’hui non plus pour témoigner sa sollicitude à celui qui meurt mais pour lui reconnaître le droit d’abréger une existence qui semble ne plus être digne d’une considération sociale. Un tel constat est révélateur de nos conceptions du vivre ensemble et de notre souci du bien commun.

Il ne s’agirait donc pas tant d’instituer les conditions recevables d’une pratique de l’euthanasie que d’estimer, dans certaines circonstances exceptionnelles, que pouvoir solliciter l’aide active d’un médecin pour mettre un terme à l’évolution inexorable des souffrances d’une maladie relève d’une conception de nos obligations politiques.

Les évolutions des avis du Comité consultatif national d’Éthique

Le 27 janvier 2000, dans son avis n° 63 « Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie », le CCNE proposait le concept « d’exception d’euthanasie » et en développait certaines justifications :

« Le Comité renonce à considérer comme un droit dont on pourrait se prévaloir la possibilité d’exiger d’un tiers qu’il mette fin à une vie. La valeur de l’interdit du meurtre demeure fondatrice, de même que l’appel à tout mettre en œuvre pour améliorer la qualité de la vie des individus. Par ailleurs, la perspective qui ne verrait dans la société qu’une addition de contrats individuels se révèle trop courte, notamment en matière de soins, là où le soignant ne serait plus considéré que comme un prestataire de services. Mais, ce qui ne saurait être accepté sur le plan des principes et de la raison discursive, la solidarité humaine et la compassion peuvent le faire leur. Face à certaines détresses, lorsque tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable, on peut se trouver conduit à prendre en considération le fait que l’être humain surpasse la règle et que la simple sollicitude se révèle parfois comme le dernier moyen de faire face ensemble à l’inéluctable. Cette position peut être alors qualifiée d’engagement solidaire. »

Dans son avis n° 121 du 13 juin 2013 « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir », le CCNE revient sur cette option :

« Certains membres du CCNE considèrent que le suicide assisté et l’euthanasie doivent – au moins dans certaines circonstances – être légalisés. Ils estiment que le respect de la liberté des individus doit aller jusqu’à ce point et permettre d’autoriser des tiers qui accepteraient de leur prêter assistance à le faire, sans risque majeur pour les liens de solidarité au sein de la société. Le Comité estime cependant majoritairement que cette légalisation n’est pas souhaitable : outre que toute évolution en ce sens lui paraît, à la lumière notamment des expériences étrangères, très difficile à stabiliser, il souligne les risques qui en découlent au regard de l’exigence de solidarité et de fraternité qui est garante du vivre ensemble dans une société marquée par de nombreuses fragilités individuelles et collectives et des carences importantes dans le champ de la politique relative à la fin de vie. »

Dans son avis n° 139 du 13 septembre 2022 « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité » le CCNE revient sur sa position de 2013 pour retenir cette fois « l’hypothèse d’une dépénalisation de l’euthanasie » : « Certaines « situations limites » qui avaient déjà été évoquées par le CCNE dans son avis n° 129 conduisent à nous interroger à nouveau sur l’hypothèse d’une dépénalisation de l’euthanasie. Il s’agit de la situation des personnes atteintes d’une maladie grave et incurable, évolutive, mais conservant leurs capacités de discernement, et dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme mais à moyen terme, n’étant pas en capacité physique de se suicider, mais qui en expriment le désir de façon constante ; comment justifier que le soulagement des souffrances – s’il était permis à d’autres, physiquement valides, via l’assistance au suicide – leur soit refusé du fait de leur handicap ? La discrimination que générerait un tel refus pour les personnes non valides mais mentalement autonomes serait éthiquement critiquable. »

Il ne m’appartient pas ici de me prononcer sur ce qui est « éthiquement critiquable »

L’euthanasie est parfois assimilée à un meurtre :

« Plus qu’un meurtre, l’euthanasie est considérée comme un assassinat en raison de la préméditation qu’elle implique et de la faiblesse de la personne concernée, qui constituent des circonstances aggravantes. La volonté de la victime, même expressément démontrée, ne modifie en rien la qualification pénale du geste, et l’auteur d’une euthanasie ne peut s’en prévaloir. » (Robert Holcman, Inégaux devant la mort. « Droit à mourir, l’ultime injustice sociale », Paris, Dunod, 2015)

La question des limites

De ce fait, autoriser l’euthanasie, considérer cet acte comme l’ultime expression de nos solidarités suscite des controverses à la hauteur de ce qui apparaît comme une transgression. D’autant plus que dans les quelques pays européens qui ont dépénalisé l’euthanasie, les stricts critères encadrant au départ les pratiques ont évolué au point de donner droit à des demandes qui ne relèvent plus des principes édictés pour éviter les risques d’extensions incontrôlables des pratiques.

À terme, des limites tiendront-elles, dès lors que toutes sortes de bonnes raisons sont avancées pour les dépasser ? Défend-on les droits de la personne affectée de souffrances psychiques ou atteinte d’une maladie d’Alzheimer, voire seulement trop âgée pour avoir envie de poursuivre son existence, en convenant possible de lui permettre de bénéficier de cette libération d’une mort donnée par un médecin ?

Dans son avis n° 139, le CCNE pose encore quelques limitations « éthiques » au recours à l’euthanasie : « Si le législateur décide de légiférer sur l’aide active à mourir, la possibilité d’un accès légal à une assistance au suicide devrait être ouverte aux personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme. La demande d’aide active à mourir devrait être exprimée par une personne disposant d’une autonomie de décision au moment de la demande, de façon libre, éclairée et réitérée, analysée dans le cadre d’une procédure collégiale. »

On a observé l’inconsistance de cette résolution formelle à l’usage extensif des législations qui ont précédé la France dans la dépénalisation ou la légalisation de l’euthanasie.

Il nous faudrait être plus attentifs à cette tentation de recourir à des instances éthiques pour cautionner, « au nom de l’éthique », des choix politiques qui justifiaient une intelligence du réel soucieuse de valeurs qui ne se bradent pas.

La concertation nationale débute en ce mois de septembre 2022, alors que la société française est confrontée à d’autres urgences qui auraient pu justifier, plus que l’euthanasie, un débat public.

Le président de la République estime le temps venu de cette conquête prioritaire du « droit de mourir dans la dignité » en bénéficiant « d’une assistance médicalisée active à mourir ». Anticiper les conditions de sa mort, les limites que l’on pose au temps de son mourir relève d’une démarche respectable et nécessaire à la fois philosophique et politique.

Les conditions sont-elles pour autant favorables à une délibération collective sur la fin de vie, dans un contexte sanitaire marqué par les tragédies de la pandémie, l’effondrement du système hospitalier, les difficultés d’exercice au quotidien auprès des personnes en situation de dépendance ou de handicap, et tant de précarité qui affectent le vivre ensemble ?


Emmanuel Hirsch est notamment auteur de : « Faut-il autoriser l’euthanasie ? » (First, 2019), « Vincent Lambert. Une mort exemplaire ? » (Le Cerf, 2020) et « Apprendre à mourir » (Grasset, 2008)

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