Les cessations de territoires entre le gouvernement canadien et les différentes communautés autochtones ont une longue histoire. Un traité majeur, ayant marqué l’histoire canadienne en la matière, a souligné ses 150 ans le 15 septembre.
Le Traité 4, a en effet été signé en 1874 entre les Premières Nations des Plaines (Cris, Assiniboines, Saulteaux) et la Couronne britannique. Pourtant, loin d’appartenir au passé, cet accord reste au cœur des revendications actuelles des Premières Nations, qui cherchent à redéfinir leur place au sein du Canada.
Directeur du centre d’études canadiennes de l’Université de Stockholm, je travaille sur les études autochtones depuis plusieurs années. J’ai récemment eu le prix du meilleur article de la revue British Journal of Canadian Studies pour mes recherches menées sur l’écrivaine innue Natasha Kanapé Fontaine.
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La place des traités numérotés au Canada
Les traités sont des ententes réalisées entre la Couronne britannique et les Premières Nations. On retient trois catégories de traités.
Il y a d’abord les ententes anciennes entre les nations et les gouvernements actuels au Canada. Parmi celles-ci, on compte des ententes avec la Couronne britannique, mais également avec la France (lesquels ont été valables jusqu’en 1760). Ces ententes ont eu lieu jusqu’à la création de la Confédération canadienne de 1867.
Il y a ensuite la série des traités numérotés, laquelle comprend 11 traités ratifiés entre 1871 et 1921.
Enfin, il y a les traités modernes signés après l’arrêt de la Cour suprême du Canada de 1973, qui reconnaît pour la première fois la notion de « droits ancestraux ».
Les traités numérotés consistent en des partages territoriaux avec un système de compensations économiques instauré par le gouvernement fédéral. Au total, le Canada reconnaît l’existence de 70 traités historiques passés entre 1701 et 1923.
Le droit sur les terres de réserve
Les ententes anciennes ont souvent été marquées par des alliances entre les Premières Nations et la Couronne britannique ou la France et la volonté d’instaurer une paix durable avec les Premières Nations.
Le point sensible des traités numérotés concerne le droit sur les terres de réserve. Pour les Premières Nations, ces traités ont symbolisé, d’une certaine manière, une étape supplémentaire dans le processus de colonisation : d’une part, parce qu’ils définissaient des frontières territoriales, et d’autre part, parce qu’ils ont souvent été bafoués. Ces traités ont par exemple eu pour conséquence l’accaparement par le gouvernement canadien de leurs terres ancestrales réservées aux activités traditionnelles de la pêche et de la chasse.
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Les documentaristes québécois Richard Desjardins et Richard Monderie, dans leur film Le Peuple invisible paru en 2007, avaient déjà mis en évidence ce système de dépossession en rappelant les conditions de la signature du traité 9 entre les Algonquins et le gouvernement de la province d’Ontario.
Les enjeux spécifiques du traité 4
Le traité 4, dit le traité de Qu’Appelle, a été signé entre 13 chefs autochtones et les commissaires canadiens. Il permet la cession de territoires autochtones au gouvernement fédéral sur le territoire de la Saskatchewan, des petites parties du Manitoba et du sud de l’Alberta.
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Ce traité a été important par rapport aux trois premiers traités numérotés, car il a impliqué de véritables négociations entre les Premières Nations et les commissaires de la Couronne britannique. C’est la première fois que la question des terres s’est posée, selon les aveux du commissaire Alexander Morris qui était habitué aux négociations avec les Premières Nations.
Les Premières Nations impliquées dans ce traité 4 avaient également remis en question les privilèges de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Le chef des Saulteaux, surnommé « The Gambler » en raison de son opposition à la Compagnie de la Baie d’Hudson, avait demandé à ce que les commissaires campent avec les Premières Nations avant qu’un compromis ne puisse être trouvé. Cela montre à quel point les Premières Nations ont perçu ces traités comme étant de véritables accords de paix.
Héritage des traités et impacts sur les Premières Nations
Les Premières Nations concernées se sont souvent émues des interprétations que le gouvernement fédéral a faites des clauses du traité 4 et de la non-application de certaines dispositions. Le chef Cri Piapot, qui disposait d’une aura particulière dans les communautés Cris, avait dénoncé dès la fin du XIXe siècle ce double langage du gouvernement.
Selon lui, le traité 4 devait pouvoir aboutir à la consécration d’un territoire Cri plutôt qu’au morcellement de réserves. Piapot a toujours oeuvré pour la défense du mode traditionnel de cette nation autour de la chasse. Par la suite, les Premières Nations impliquées dans la signature de ce traité ont régulièrement dénoncé l’absence de versement des indemnités.
Ce n’est qu’en 2023 que le gouvernement canadien a annoncé une indemnisation à hauteur de 37 millions de dollars versée à 14 Premières Nations concernées par le traité 4 en vertu des manquements observés pour la période 1885-1951.
L’évolution des traités dans la reconnaissance des droits autochtones
Les événements de commémoration ne sont pas seulement l’occasion pour les Premières Nations d’affirmer leurs droits culturels, elles deviennent des espaces de visibilité politique où les manquements historiques sont dénoncés.
Il s’agit également de rappeler au Canada que les territoires ne peuvent pas uniquement être le fruit de négociations au profit des intérêts des deux nations coloniales. De nombreux artistes autochtones se sont engagés pour dénoncer la manière dont les traités ont participé à l’effacement des cultures autochtones.
On peut à cet égard citer les œuvres de Matthew James Weigel qui a joué dans son esthétique avec les archives de ces traités numérotés en dénonçant un vol territorial. Il a notamment pointé la colonisation des terres autochtones sur la terre dite de Rupert par la Compagnie de la Baie d’Hudson.
En retravaillant la structure esthétique de ces textes, Weigel cherche à mettre en lumière l’invisibilisation des nations autochtones, confinées dans des réserves sans perspectives d’avenir. Ainsi, certains de ses poèmes ont des morceaux enlevés. Cet effacement du texte est volontaire pour dénoncer la non-reconnaissance des cultures autochtones. Des références directes aux traités numérotés sont également inclues dans ses textes. L’écrivaine Naomi Fontaine a également montré dans son roman Kuessipan comment ces espaces étaient constamment ignorés.
Si on reproche régulièrement au gouvernement canadien d’être dans une posture apologétique qui se contente de poser des actes symboliques, les mesures de compensation semblent inévitables pour mettre en œuvre une véritable culture de la réparation.
Assurer une véritable réconciliation
Les 150 ans du Traité 4 offrent une occasion de réévaluer les relations entre le Canada et les Premières Nations. Loin d’être un simple souvenir historique, ce traité demeure un symbole des luttes pour la reconnaissance des droits ancestraux et la justice.
Les revendications actuelles montrent que les promesses initiales du traité ont été inégalement respectées, particulièrement en ce qui concerne la gestion des terres et les compensations financières.
Avec l’arrêt de la Cour Suprême de 1973, ces traités prennent une autre teneur, puisque la reconnaissance des droits ancestraux ouvre le chemin de leur réinterprétation. Les récentes décisions de compensation de 2023 en faveur des Premières Nations montrent des avancées, mais des efforts supplémentaires sont nécessaires pour assurer une véritable réconciliation.
Les artistes et écrivains autochtones jouent un rôle essentiel dans la réappropriation des récits et la visibilité de ces enjeux. En célébrant cet anniversaire, il est crucial de reconnaître les défis persistants et d’œuvrer pour une relation plus équitable et respectueuse entre le gouvernement canadien et les nations autochtones.