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Emmanuel Macron salue la foule lors de son arrivée à la cérémonie d'ouverture des jeux paralympiques à Paris le 28 août 2024 tandis qu'il poursuivait en parallèle les consultations politiques pour former un gouvernement. Dimitar Dilkoff/AFP

Président cherche Premier ministre : et si la solution venait du Parti socialiste ?

La séparation des majorités présidentielle et parlementaire ouvre logiquement la voie à une nouvelle cohabitation qui permettrait à l’Assemblée nationale de retrouver son plein rôle dans la direction politique du pays. Pour la quatrième fois depuis 1958, le 7 juillet 2024 les Français n’élisent pas au Parlement une majorité décalquée de celle qui a élu le président.

Ce retour au schéma parlementaire voulu par la Constitution de 1958, fût-il rationalisé, permet de rétablir une part de l’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif surdominé par le président et le Parlement. En tant qu’arbitre et garant de la continuité de l’État, le chef de l’État nomme le premier ministre et sur proposition de celui-ci les différents ministres. Il choisit le nom, mais cette personne doit refléter la composition majoritaire du Parlement à qui il reviendra de valider le programme du gouvernement.


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L’archipel des désaccords

L’affaire fut rondement menée lors des trois cohabitations précédentes. Les choses diffèrent radicalement aujourd’hui : six semaines après le tour définitif des élections législatives, il n’y a toujours ni premier ministre ni gouvernement désigné par le Président. Délai exceptionnellement long dans l’histoire de notre République.

L’une des causes de la chute de la IVème république n’était-elle pas précisément cette longue durée des intervalles de crises ministérielles ? La dernière entre avril et mai 1958 qui emporta le régime avait duré 28 jours !

Certes, le contexte était profondément différent : la guerre d’Algérie pesait d’une manière menaçante sur les institutions, coincés qu’étaient les gouvernants entre une armée de plus en plus indisciplinée, des colons farouchement opposés à l’indépendance, des partis divisés. Mais, mutatis mutandis, les causes profondes du malaise se ressemblent : dans ce cas comme dans l’autre, il y a à l’origine du problème l’absence de majorité significative.

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Et contrairement à l’interprétation que certains tentent d’ancrer, notamment du côté du Nouveau Front Populaire, ce n’est pas un problème juridique, tenant au non-respect des principes constitutionnels : la Constitution ne fixe aucun délai au chef de l’État pour désigner le premier ministre, pourvu qu’il s’emploie à résoudre la question. Il s’agit d’un problème politique, relevant d’abord des partis auxquels il appartient en priorité de définir les contours et le programme de la majorité qu’ils souhaitent promouvoir.

Ce premier ministre introuvable est donc d’abord l’enfant d’une majorité introuvable. Faute d’une volonté commune de dépasser les clivages partisans, voici le Parlement qui erre dans un archipel de désaccords et se voit menacé d’une crise de régime. Le choix inattendu d'une dissolution surprise consistait pour Emmanuel Macron en une tentative d'obtenir l'arbitrage populaire face à la contestation permanente dont son action faisait l'objet. Devenu l'otage de la bruyante démocratie directe que font régner les réseaux sociaux, il en attendait au moins une clarification : le scrutin ne livrera qu'un message crypté.

À la différence des autres cohabitations qui s’appuyaient sur des franches majorités tantôt de droite, tantôt de gauche, l’Assemblée élue le 7 juillet est paradoxale : majoritairement à droite, elle place en tête des groupes élus la coalition de gauche. Étrange tableau où ceux qui prétendent à incarner la majorité représentent 193 députés, alors que les minoritaires décidés à les contrer sont plus de 350.

Improbable majorité pour premier ministre introuvable

Comment en est-on arrivé à cela ? D’abord parce que le vote a été biaisé par la montée en puissance de l’extrême-droite que le premier tour avait placée aux portes du pouvoir : cela a conduit les autres formations à se constituer, bon an mal an, en Front républicain.

Le réflexe de barrage a joué pleinement, car dans plus de 210 cas, les désistements ont contribué à écarter ou au moins affaiblir le RN, qui a perdu dans ces cas de figure plus de 100 de ses élus potentiels. Si, au jeu des désistements, le groupe présidentiel Ensemble a gagné ou sauvé 78 sièges, la gauche, dans 52 cas, l’a emporté grâce au retrait de ses concurrents. De telle sorte que sans Front républicain, le résultat final du NFP par rapport au RN aurait pu être purement et simplement inversé.

Dans cette opération, la réflexion programmatique a donc largement laissé la place au réflexe de défense républicaine, diminuant d’autant la possibilité d’une lecture idéologique et partisane du résultat.

La seconde raison tient au climat politique entretenu à l’encontre du Président Macron. Malgré le résultat des élections législatives de 2022 qui résonnaient d’un appel à l’union des forces politiques, l'opposition au camp présidentiel a refusé tout rapprochement. À droite, mais encore plus à gauche qui n'a cessé de faire plein-feu contre le gouvernement, l'obligeant à passer ses réformes aux forceps.

Or, après le 7 juillet, aucun groupe ne dispose d’une majorité suffisante pour gouverner durablement : 193 élus pour le NFP, 166 pour Ensemble, 142 pour l’ED, 47 LR et 22 pour le groupe LIOT dessinent une assemblée en forme de monades étanches, alors que seule une coalition appuyée sur un programme de compromis permettrait l’émergence majoritaire.

Arrivé en tête du scrutin, sans s’arrêter un instant sur les conditions d'une élection marquée pourtant par l'ambivalence d'un vote dominé d'abord par le refus de l'extrême-droite, le NFP réclame non seulement la tête du gouvernement mais la maîtrise totale du programme.

Manuel Bompart, LFI, sur LCI le 10 juillet 2024.

Cette position maximaliste est perçue comme inacceptable pour les autres groupes. D’autant que le NFP peine à se mettre d'accord sur un nom de premier ministre (encore moins de ministres). Il aura fallu 15 jours pour qu'émerge une personnalité censée sortir des clivages internes. Surprenant choix que celui d'une haute-fonctionnaire sans aucune expérience élective, à un moment où la crise exige une connaissance des règles écrites et non écrites de l'arbitrage politique.

Tout est donc en place pour une situation de blocage dans laquelle le président de la République, conformément à ses responsabilités, tente de susciter une union nationale pour laquelle ses opposants refusent de reconnaître sa capacité.


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À la guise des socialistes

Voici donc la France condamnée encore un temps à être administrée faute d’être gouvernée. Comment sortir de l’impasse ? Si l’on écarte celle qui a les faveurs de Jean-Luc Mélenchon et du RN (la démission d’Emmanuel Macron), reste celle de la rupture du glacis dont on entoure l’Elysée.

La clef du problème est-elle entre les mains du Parti socialiste, avec lequel le Président entretient depuis deux mois un rude bras de fer ? Le parti à la rose est-il conscient du lourd danger institutionnel et politique qu’il y aurait à refuser toute tentative d’union nationale ? Ses responsables iraient-ils jusqu’à voter contre quelqu'un issu de leurs rangs pour favoriser par exemple un membre d'une autre formation de la NFP ? Mais si les socialistes se scindent ou inversent leur point de vue collectif, alors l'horizon de sortie de crise se dégagera.

Tel est très exactement l'enjeu de l'université d'été du Parti socialiste qui se tient à Blois ce week-end. Les membres du parti et leurs militants se donneront-ils la possibilité de reprendre les négociations en vue de nommer à Matignon une personnalité - éventuellement de la société civile - compatible avec la gauche et le centre ? Cette dernière pourrait permettre à une coalition nouvelle de se former, non pas tant « autour » d'Emmanuel Macron, que « malgré » Emmanuel Macron.

Le PS se prépare à son Université d'été, M6, 29 aout 2024.

En choisissant de tenir depuis 2020 sa réunion dans la ville de Blois, célèbre pour ses États Généraux de 1588, le PS fait peut-être un clin d'oeil métaphorique montrant qu’il ne craint pas un renversement de situation au détour d’une antichambre…

Ensuite, le Président devra accepter les termes modestes d’une véritable cohabitation, en laissant les mains libres à l’équipe qui se mettra en place. Il lui restera ses responsabilités internationales. Et surtout du temps pour réparer cette déchirure entre les élus et le peuple qu’ont fabriquée des années de mobilisations négatives tant au Palais-Bourbon que sur les réseaux sociaux, et tenter de remplacer cette affliction entretenue par l’affection populaire si nécessaire à l’autorité.

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