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Présidentielle américaine : « Ce scrutin montre et amplifie les clivages »

Des partisans de Donald Trump pendant la soirée électorale du 3 novembre 2020 à New Hudson (Michigan). Seth Herald/AFP

48 heures après le scrutin, l'issue de la présidentielle américaine n'est toujours pas connue. Mobilisation sans précédent de l’électorat, annonce prématurée de sa victoire par Donald Trump, remontée de Joe Biden, probable bras de fer judiciaire à venir… La politologue Marie-Cécile Naves, spécialiste des États-Unis, auteure notamment de Géopolitique des États-Unis (Eyrolles, 2018) et de Trump, la revanche de l’homme blanc (Textuel, 2018), nous aide à tirer un premier bilan, encore provisoire naturellement, d’une élection aussi disputée que la campagne qui l’a précédée aura été âpre.


Quelles fractures de la société américaine ce scrutin révèle-t-il ?

Il faut, à ce stade, se montrer extrêmement prudent sur l’interprétation de la sociologie électorale de ce scrutin ; il est trop tôt pour se prononcer de façon tranchée.

Cette élection montre néanmoins, si besoin était, que « le » vote latino n’existe pas, qu’il est très divers selon l’origine, le statut social, le lieu de vie et le sexe (on l’a constaté en Arizona et en Floride, par exemple).

De plus, au vu des différences territoriales des résultats, le scrutin confirme et semble amplifier un clivage entre les grands centres urbains et les banlieues résidentielles, d’une part, et la ruralité de l’autre. Les premiers semblent avoir massivement voté Biden et les seconds, Trump, au niveau de la nation tout entière comme au niveau de chaque État fédéré.

Le trumpisme devient-il un vrai courant aux États-Unis ?

À ce stade, Trump obtient quatre millions de voix de plus qu’en 2016 (la même augmentation est à observer chez Biden comparativement à Clinton), ce qui signifie que la forte mobilisation (historique) de cette année n’a pas bénéficié qu’au candidat démocrate, et donc qu’il existe une adhésion à Trump.

C’est un vote de soutien. Bien sûr il y a la prime au sortant mais c’est aussi le signe que le trumpisme s’installe solidement aux États-Unis. C’est un projet de société, un style de leadership aussi. Il reste à voir chez qui Trump a progressé et régressé.

Le pays semble profondément divisé, on évoque un danger de guerre civile… L’investiture du vainqueur, le 20 janvier prochain, pourrait-elle être tranquille ?

Si Biden l’emporte de manière serrée dans les quelques États clés dont les résultats n’ont pas encore été officialisés, ce résultat sera très vraisemblablement contesté par Trump devant la justice. Il a déjà annoncé vouloir à le faire avec le Wisconsin.

Plusieurs fois pendant la campagne, ainsi que dans la nuit du 3 novembre, Trump a également pris la parole pour dire que, selon lui, l’élection était truquée à partir du moment où l’on continuait à compter les bulletins après le 3 novembre. Or, on ne peut bien sûr pas faire autrement que de compter les bulletins pendant plusieurs jours, voire semaines ! La spécificité de cette année, c’est la très grande quantité de bulletins envoyés par la poste américaine, sans doute plus favorables à Biden. C’est la raison pour laquelle le président-candidat souhaitait que l’on arrête de compter à partir du moment où la dynamique commençait à s’inverser en sa défaveur dans la Rust Belt (tout en continuant la comptabilisation là où il était derrière comme l’Arizona)…

S’il perd, il refusera de reconnaître sa défaite, il dira que le camp adverse a triché. On n’est pas non plus à l’abri de débordements, parce que Trump lance à ses militants des appels à peine masqués à l’intimidation et à la violence contre le camp démocrate. Bref, d’ici à une investiture tranquille, il y a encore beaucoup de chemin…

La situation actuelle rappelle de plus en plus l’élection de 2000

En 2000, Al Gore avait reconnu sa défaite après que la Cour suprême avait demandé que l’on arrête les recomptages en Floride. Cette fois, dans une Amérique extrêmement polarisée et après une campagne très violente, il est exclu que Biden et son équipe acceptent facilement les contestations du camp Trump qui, vraisemblablement, vont s’exprimer dans les États gagnés de justesse par Biden (si celui-ci est victorieux au final).

« Nous nous battrons pour que chaque voix soit prise en compte », a martelé Biden le 4 novembre. Il est d’autant moins probable que Biden jette l’éponge que Trump accuse sans aucune preuve les Démocrates de confisquer illégalement le scrutin. Ce n’est pas un dysfonctionnement technique comme en 2000 ; c’est une accusation de fraude ne reposant sur rien !

Le processus de contestation pourrait prendre des semaines. On peut s’attendre à une bataille difficile et coûteuse devant les tribunaux ; chaque camp dispose d’un « budget avocat » conséquent en prévision d’un tel scénario. Et les Démocrates peuvent aussi, en retour, attaquer les Républicains car plusieurs interrogations demeurent sur la non-prise en compte, notamment, de dizaines de milliers de votes par correspondance dans certains États.

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