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Retransmission du débat dans un bar de Washington, 10 septembre 2024. Allison Bailey/AFP

Présidentielle américaine : le débat Trump-Harris a-t-il changé la donne ?

Les observateurs s’attendaient à un débat marqué par l’agressivité de Donald Trump, habitué de l’exercice, face à une Kamala Harris sur la défensive. Dans les faits, la vice-présidente s’est montrée très pugnace et n’a pas cédé de terrain face aux attaques de son adversaire. Pour autant, ce duel télévisé féroce restera-t-il dans l’histoire comme la soirée où la campagne a basculé ?


Lorsque les deux candidats à la présidence sont entrés dans le studio de télévision où allait se dérouler leur duel, Kamala Harris a immédiatement traversé la scène et tendu la main à Donald Trump pour la lui serrer, exprimant ainsi une confiance en elle qui n’a pas faibli tout au long du débat.

Trump, qui a semblé s’énerver de plus en plus au cours de la soirée, est resté fidèle à ses thèmes habituels, dénonçant le « déclin » des États-Unis et rappelant régulièrement que son adversaire était une responsable de premier plan de l’administration Biden, qu’il tenait pour comptable de ce déclin.

Les deux candidats ont sans doute gagné des points auprès de leurs partisans respectifs, mais il faudra attendre le dépouillement des bulletins de vote pour savoir s’ils ont réussi à convaincre les électeurs indécis. The Conversation U.S. a demandé à deux universitaires, le sociologue de l’université de Miami Rodney Coates et Lee Banville, qui a été pendant 13 ans journaliste à l’émission PBS NewsHour et est aujourd’hui directeur de l’école de journalisme de l’université du Montana, auteur d’un livre sur les débats présidentiels, d’analyser cette confrontation qui a duré une heure et demie.


« Le peuple américain aspire à mieux »

Rodney Coates, spécialiste des questions raciales à l’université de Miami

Dès le début du débat, Kamala Harris a clairement exprimé sa vision d’une société plus juste, tout en s’opposant clairement aux opinions de Donald Trump sur l’avortement, l’immigration et le système juridique américain.

« Je souhaite élever les gens et non les écraser », a-t-elle déclaré.

Ancienne procureure, Harris a plusieurs fois repris les propres mots de Trump pour critiquer le mandat de celui-ci. En réponse, Trump a eu recours à des attaques personnelles, qualifiant Harris de « pire vice-présidente de l’histoire de notre pays » et affirmant qu’elle n’avait pas d’autres idées que celles de son patron, le président Joe Biden.

Après avoir laissé passer plusieurs attaques de Trump contre Biden, Harris a fini par répliquer : « Vous ne vous présentez pas contre Joe Biden. Vous vous présentez contre moi. »

Lors de ce duel télévisé, l’ancien président s’est gardé de toute attaque à caractère raciste à l’encontre de sa concurrente, alors même qu’il ne s’était pas gêné au cours des semaines précédentes après l’intronisation de Kamala Harris en tant que candidate démocrate. Certains observateurs ont accusé Trump de placer les attaques racistes au centre de sa stratégie de campagne. Trump a affirmé que Harris avait « un faible QI », qu’elle était « bête comme ses pieds », « faible » et « paresseuse ».

Si cette fois Trump a évité cette stratégie d’attaque, il n’a pas pu s’empêcher de répéter une rumeur dont le caractère mensonger a pourtant été établi, affirmant que dans l’Ohio des immigrés haïtiens tuaient et mangeaient des animaux domestiques. Mais quand il a été interrogé sur l’identité raciale de Kamala Harris, il a affirmé ne pas s’en soucier.

« J’ai lu qu’elle n’était pas noire… puis j’ai lu qu’elle était noire, a-t-il déclaré. C’est à elle de décider. »

De son côté, Harris a martelé son rejet de toute stratégie consistant à diviser les individus selon leur appartenance raciale réelle ou supposée.

« C’est une tragédie », a-t-elle asséné, expliquant que Trump « a toujours tenté, au cours de sa carrière, d’utiliser la race pour diviser le peuple américain. […] Je pense que le peuple américain aspire à mieux. »

« Ce que les gens voulaient »

Lee Banville, professeur et directeur de l’école de journalisme de l’université du Montana.

Souvent, ces débats se résument à une séquence mémorable – une tournure rhétorique qui porte un rude coup à l’adversaire, ou une erreur involontaire qui mine une campagne pendant des semaines. Les 30 premières minutes de la prestation de Joe Biden lors de son débat du 28 juin contre Trump ne sont que le dernier épisode en date d’une longue série de moments cruciaux ayant eu un impact majeur sur des campagnes électorales.

Mais que faut-il pour qu’une phrase maladroite provoque une crise politique ou pour qu’une erreur factuelle se traduise en perte de voix ? Quels passages de ce direct historique auront des conséquences plus notables que quelques vidéos TikTok se moquant des deux politiciens ?

Il est encore trop tôt pour se prononcer avec certitude sur cette question, mais une tirade de Trump pourrait avoir un effet négatif sur la suite de sa campagne : il s’est félicité de la suppression de la protection constitutionnelle de l’avortement prévue par l’arrêt Roe v. Wade, assurant que c’est ce que « les gens voulaient » :

« Tous les juristes, tous les Démocrates, tous les Républicains, les libéraux, les conservateurs… les gens voulaient tous que cette question soit renvoyée aux États. Et c’est ce qui s’est passé. »

Harris a alors repris l’expression « les gens voulaient » pour la retourner contre l’ancien président.

« Vous voulez parler de ce que les gens veulent ? Vous croyez que les femmes enceintes veulent mener leur grossesse à leur terme quand elles risquent de faire une fausse couche et elles savent qu’on refusera de les soigner aux urgences parce que le personnel soignant a peur d’aller en prison, et qu’elles devront se vider de leur sang dans une voiture sur le parking ? Ce n’est pas ce qu’elles veulent. Ce n’est pas non plus ce que veulent leurs maris. Et qu’une jeune fille de 12 ou 13 ans victime d’inceste soit forcée de mener sa grossesse à son terme ? Ce n’est pas non plus ce que les gens veulent », a-t-elle rétorqué.

Ce fut une déclaration politique, mais aussi une déclaration profondément personnelle, concernant un sujet majeur de la campagne électorale. Cette séquence fut comparable à plusieurs autres moments clés des débats présidentiels précédents : le président Gerald Ford affirmant à tort que l’Europe de l’Est était libérée de la domination soviétique en 1976 ; le président Ronald Reagan dissipant habilement les inquiétudes concernant son âge par une boutade bien placée sur la jeunesse et l’inexpérience de son rival Walter Mondale, 56 ans, en 1984 ; ou encore le président George H. W. Bush regardant sa montre à plusieurs reprises lors d’un débat public en 1992 face à son adversaire Bill Clinton.

J’ai eu la chance de travailler en 2008 sur un documentaire intitulé « Debating our Destiny », dans lequel le regretté Jim Lehrer, qui a modéré 12 débats présidentiels et qui avait par ailleurs été mon patron, a interviewé de nombreux anciens candidats à propos de ces moments si particuliers. Le premier président Bush a été particulièrement sincère sur sa conduite durant son débat de 1992 contre Bill Clinton :

« Vous jetez un coup d’œil à votre montre, et tout de suite, on dit de vous : “Il ne devrait pas se représenter. Ça l’ennuie. Il n’est plus dans le coup, tout cela ne l’intéresse plus, et nous avons besoin de changement.” À vrai dire, j’étais content que ce débat prenne fin. Oui. C’est peut-être pour cela que je regardais ma montre, je me disais qu’il ne me restait plus que dix minutes à subir ces conneries. »

De son côté, Bill Clinton nous a également donné son avis sur la raison pour laquelle ce moment est resté gravé dans les mémoires : « Si l’affaire de la montre a fait si mal à Bush, c’est parce qu’elle a eu tendance à renforcer le problème qu’il avait rencontré lors de la campagne. »

En d’autres termes, les épisodes des débats qui mettent en évidence un thème de la campagne déjà présent dans l’esprit des électeurs sont particulièrement susceptibles d’avoir un impact profond sur l’issue de l’élection.

Quelles seront les conséquences d’un échange comme celui que Trump et Harris ont eu sur la question de l’avortement ? Cette passe d’armes incitera-t-elle davantage d’électrices à soutenir Harris ? Ou bien sera-t-elle rapidement reléguée au second plan par d’autres thématiques comme les questions économiques ou encore la politique à conduire en matière d’immigration ?

This article was originally published in English

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