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usine de masques avec des ouvriers
La production des EPI se concentre en Asie, surtout en Chine, qui répondait à 50% de la demande au moment où la pandémie s’est amorcée en 2020. (Shutterstock)

Production locale d’équipements de protection : la solution pour éviter les pénuries futures ?

Pendant les premiers mois de la pandémie de Covid-19, l’approvisionnement en équipements de protection (masques, gants, visières, blouses) a été une tâche ardue pour presque tous les réseaux de la santé des pays industrialisés. Les pénuries se sont multipliées partout sur la planète. Dans cette course contre la montre, tous se sont arrachés les produits provenant des mêmes fournisseurs, surtout localisés en Asie. Ces produits n’étaient, par ailleurs, pas toujours de grande qualité, quand ils ne sont pas carrément défectueux.

Dans la foulée, des manufacturiers locaux, œuvrant dans d’autres secteurs d’activités comme le textile, pour la fabrication de blouses, ou le pharmaceutique, pour le gel désinfectant, ont investi dans la production des équipements de protection individuelle (EPI). Cependant, plusieurs de ces manufacturiers n’ont pas pu soutenir cette production, faute de contrats d’achat, d’accès aux matières premières ou encore en raison d’une capacité limitée à répondre à la demande de différents clients

Et si la solution pour éviter une telle situation lors d’une prochaine crise était justement de développer dès maintenant une production locale ?

Nous nous intéressons depuis plusieurs années à la gestion des achats et de l’approvisionnement dans le secteur de la santé. Les immenses défis vécus au début de la pandémie pour l’achat des EPI nous ont motivés a étudier en profondeur la résilience de la chaîne logistique de ces équipements. L’une des solutions que nous explorons dans nos travaux de recherche est justement l’approvisionnement local.

Les avantages de la production locale

Les EPI sont achetés par multiples organisations, notamment dans le secteur de la santé (hôpitaux, cliniques). Ces équipements sont achetés auprès des fournisseurs, qui les produisent ou qui distribuent des produits d’autres manufacturiers.

Lorsqu’on parle d’approvisionnement local, on peut faire référence à des distributeurs locaux, qui achètent à des usines situées à l’étranger, ou encore à des manufacturiers locaux. Dans nos recherches, nous nous intéressons surtout à la production locale, bien que les distributeurs locaux contribuent également à l’économie locale et à la résilience de la chaîne logistique. Une fois achetés, les EPI sont distribués à l’intérieur des organisations à tous les utilisateurs qui ont en besoin.

schéma illustrant les fournisseurs, producteurs, acheteurs
Différents joueurs sont impliqués dans la chaîne logistique des EPI. (Martin Beaulieu), Fourni par l'auteur

La production locale contribue principalement à sécuriser l’approvisionnement. Elle permet également de diminuer les risques et les coûts logistiques associés à l’approvisionnement à l’international, qui ont été exacerbés par la pandémie. La congestion dans les ports, la pénurie des conteneurs et de main-d’œuvre et les prix élevés du carburant sont en effet parmi les écueils que l’on doit contourner afin de faire parvenir des biens provenant de régions éloignées.

L’approvisionnement local permet également de réduire les effets néfastes du transport de marchandises pour l’environnement et facilite la gestion des fournisseurs par les organisations acheteuses. Ainsi, la proximité géographique permet un contrôle plus strict, de la part des acheteurs, des conditions des travailleurs afin d’éviter, par exemple, les manufacturiers qui sont soupçonnés d’avoir recours au travail forcé. La proximité des organisations acheteuses avec les manufacturiers favorise également le développement conjoint de produits qui correspondent mieux aux besoins des utilisateurs et aux critères de développement durable.

Une production locale ? Oui, mais…

Mais l’approvisionnement local des EPI n’est pas une mince tâche. Avant la pandémie, il y avait très peu de producteurs locaux. La production des EPI se concentre en Asie, surtout en Chine, qui répondait à la moitié de la demande au moment où la pandémie s’est amorcée en 2020. La raison de cette domination asiatique ? La prépondérance du plus bas prix comme critère d’achat dans les appels d’offres, et ce, depuis de très nombreuses années.

En 2020, face à une pénurie, la France a dû se tourner vers la Chine pour lui fournir des masques.

Pour que la production locale soit viable, il est nécessaire que le critère de localisation puisse être tenu en compte lors de la sélection des fournisseurs par les acheteurs. Une autre option est de réserver une partie des contrats à des fournisseurs locaux. On devrait cependant s’assurer que la production locale reste compétitive.

En effet, des prix trop élevés en comparaison à des producteurs étrangers seraient difficilement durables à long terme, dans l’optique où des options nettement plus économiques seraient disponibles. Des investissements en technologies de production et en automatisation peuvent aider à ce que la production locale dépende moins de la main-d’œuvre bon marché pour être compétitive.

De plus, dans le cas du Québec, où le marché local est relativement modeste, le défi demeure de maintenir une industrie locale forte, avec un nombre de joueurs suffisant pour garantir une saine concurrence. Les entretiens que nous avons réalisés avec des producteurs locaux révèlent qu’ils ne souhaitent pas des subventions pour maintenir la production des EPI, mais une demande prévisible par des contrats d’approvisionnement.

En effet, l’aide ponctuelle du gouvernement à travers de subventions ne garantit pas que les manufacturiers puissent trouver des clients pour leurs produits et ainsi survivre après que la subvention s’épuise. En revanche, la possibilité d’obtenir des contrats d’achat à long terme permettrait aux producteurs de soutenir leurs activités dans le temps.

Une production locale, mais surtout verte et équitable

Lorsqu’on parle de production locale, il faut aussi se poser la question de l’origine des intrants (matières premières, emballages). Si les intrants clés viennent tous de l’étranger, la production locale sera trop vulnérable aux effets d’une pandémie ou d’une autre crise mondiale.

Les tissus utilisés pour la fabrication des masques, par exemple, ont été très convoités pendant le début de la pandémie. Naturellement, un manufacturier local devrait arrêter sa production, faute des stocks de tissus. L’origine des intrants devrait ainsi faire partie des critères de sélection des fournisseurs.

En août 2020, le gouvernement canadien annonçait la fabrication de masques N95 en Ontario.

La décision d’achat des organisations devrait aussi tenir compte de l’impact environnemental des EPI. Par exemple, les EPI biodégradables et réutilisables, bien que plus dispendieux, pourraient devenir intéressants lors d’appels d’offres, dans l’optique où l’on considère des critères environnementaux. Les gouvernements commencent déjà à modifier leur critères d’achat pour favoriser les achats locaux responsables.

Une partie de la solution

Il serait cependant naïf de croire que seule la production locale pourrait assurer l’approvisionnement des EPI lors de la prochaine pandémie. Depuis le début de l’actuelle pandémie, la prévision de la demande en EPI est un défi constant. Bien malin est celui qui peut prévoir l’ampleur et l’impact de la prochaine crise sanitaire sur les besoins en EPI.

Les fournisseurs locaux ne pourront jamais répondre à une augmentation subite de la demande, telle que celle qui a été observée au début de l’année 2020, ni aux variations successives et abruptes de la demande associées aux changements dans les consignes sanitaires.

Il faudra donc (1) conserver des réserves à différents niveaux (national, local, institutionnel) de produits finis et de matières premières, (2) maintenir de bonnes relations avec des fournisseurs étrangers capables de supporter des variations significatives de la demande et (3) compter sur un système logistique assez performant pour pouvoir anticiper et répondre rapidement aux besoins en EPI de la prochaine pandémie.

Mais une production locale, plus verte et équitable, fait sans doute partie de la solution.

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