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PSG–Manchester City : si loin du Golfe, si proche du Golfe

Ecussons-logos du PSG et de Manchester city sur les maillots des deux clubs.
Avant tout outils de promotion de leurs propriétaires respectifs, le PSG et Manchester City ne sont pas censés être le réceptacle de l’opposition Qatar/E.A.U. charnsitr/Shutterstock

Dans l’arène du football européen, les affrontements entre le Paris Saint-Germain et Manchester City, comme ce mardi soir dans le cadre de la phase de poules de Ligue des Champions ou la saison dernière en demi-finales de cette même compétition, apparaissent désormais comme une sorte de marronnier.

Les rencontres opposant ces deux clubs, détenus respectivement par des fonds souverains du Qatar et d’Abu Dhabi, émirat moteur de la fédération des Émirats arabes unis, donnent systématiquement lieu à des rappels de la confrontation géopolitique de leurs puissants propriétaires. Cette mise en scène de l’événement mérite toutefois d’être questionnée.

Le théâtre sportif, une mise en scène de la conflictualité

« Le Qatar est arrivé, puis ils ont fui tête baissée » (« ils » sous-entendant ici les Émiriens) – ḥaḍara al-qaṭary farḥāw waṭy : en ce 30 janvier 2019, ces mots trônent en une de l’édition sportive d’un des principaux quotidiens qatariens, Al-Waṭan. Une photo où les joueurs d’Al-’Annābi – la bordeaux, surnom donné à la sélection du Qatar – laissent éclater leur joie illustre ce propos aux accents nationalistes.

Sur fond de crise diplomatique entre les Émirats arabes unis et le Qatar, à Abu Dhabi, l’équipe qatarienne vient de battre 4-0 le pays hôte de la Coupe d’Asie des nations. Disputée dans une ambiance électrique, que l’on peut même qualifier de délétère, marquée notamment par des jets de chaussures subis par les joueurs qatariens lors des célébrations de leurs buts, cette rencontre a marqué les esprits au-delà du Golfe. L’image est d’autant plus forte que le Qatar gagne dans une enceinte qui porte le nom de Mohammed bin Zayed Al-Nahyan, prince héritier d’Abu Dhabi, l’un des principaux artisans de l’embargo subi par Doha à partir de juin 2017.

Au mois d’avril 2021, loin du stade Mohammed bin Zayed, le PSG et Manchester City doivent se rencontrer lors d’une demi-finale de Ligue des champions. À travers cette rencontre, c’est en quelque sorte encore une demi-finale entre le Qatar et son rival historique Abu Dhabi qui se profile. Du moins, c’est le récit qu’en livrent une grande partie des médias européens, et c’est sous cette forme que ce match au sommet est présenté.

Sur le papier, cette mise en récit de l’événement n’a rien de choquant : les deux structures participent pleinement de la politique d’influence des deux émirats. Cependant, lorsque l’on regarde la construction de cette politique au vu de la géopolitique du Golfe à l’échelle mondiale, une déclinaison du système s’opère autour des différentes échelles tant locale que régional ou mondiale.

L’analyse géographique permet de différencier les niveaux sportifs au service de la puissance ; cette focale aide à décrypter les temporalités de leur formation ainsi que leurs objectifs.

Un mouvement sportif local, rouage du pouvoir

Au cours des années 1970, dans le cadre de la consolidation des structures étatiques des monarchies du Golfe, dont la plupart ont accédé à leur indépendance entre 1961 et 1971, une période marquant la fin des protectorats britanniques, le domaine sportif local connaît une phase d’institutionnalisation.

Émanation des canaux de puissance économiques du pouvoir, des fédérations sportives et un réseau de clubs se forment sous la conduite de puissantes personnalités. Au Qatar, la réorganisation de cet espace se déroule sous la direction de l’influent ministre de l’Éducation et de la Jeunesse, cheikh Jassim bin Hamad bin Abdallah Al-Thani. À cette même période, dans l’ensemble de la région, les sélections nationales de football voient le jour. Les monarchies du Golfe perçoivent dans le sport un facteur de modernité qui favorise le sentiment d’unité autour de la figure du souverain.

C’est dans ce contexte que la sélection espoirs du Qatar atteint la finale de la Coupe du monde de football des moins de 20 ans, à Sydney, en 1981. Un an plus tard, c’est au tour du Koweït de participer à sa première Coupe du monde, en Espagne. En 1990, en Italie, les Iyāl Zāyed – les enfants de Zayed, surnom de la sélection émirienne en référence au « père fondateur » des EAU, Zayed Bin Sultan Al-Nahyan – prennent part pour la première, et à ce jour, unique fois de leur histoire à la Coupe du monde.

Les Iyāl Zāyed avant leur premier match en Coupe du monde au stade Giuseppe Meazza de San Siro, en Italie le 15 juin 1990. Nader Del Rio/AFP

Héritage de cette période, les sélections et clubs restent des organes de l’appareil étatique. Ils apparaissent comme des manifestations du système d’État-providence vouées à donner de la visibilité au pouvoir. Ils sont rattachés de ce fait à des enjeux de pouvoir locaux, et ancrés dans le tissu social régional.

Cette contextualisation explique la place que revêt le sport sur la scène golfienne tout au long de la récente crise diplomatique. D’ailleurs, le 8 décembre 2020, à Doha, en signe d’un début d’apaisement avec les différents pays en conflit avec le Qatar, l’émir Tamim Bin Hamad Al-Thani remet personnellement au capitaine de la sélection bahreïnienne le trophée de champion du Golfe arabe de football.

PSG et Manchester City : des clubs satellites fabriques d’une image apolitique, aux dessous politiques

Loin de Doha et d’Abu Dhabi, le PSG et Manchester City, qui font depuis des années appel à de grands noms du football international pour donner vie à leur projet sportif, s’érigent comme des satellites vitrines de ces deux capitales et comme des rouages de leur politique étrangère. Ils sont présidés par des personnalités appartenant aux premiers cercles du pouvoir, respectivement Nasser Al-Khelaïfi et Khaldoon Al-Mubarak, en charge du développement du versant mondial de la stratégie sportive de leurs émirats respectifs. Pensés comme des leviers d’action, ils témoignent de la volonté de ces deux protagonistes d’accroître leur stature internationale. Outils d’influence, ils offrent au Qatar et à Abu Dhabi l’opportunité d’être maîtres de leur communication et participent de la fabrique marketing associée à leur nom.

Les joueurs du PSG sont fréquemment mis en scène au Qatar mais l’accent est surtout mis sur le tourisme.

Pour autant, ces objets de branding, bien qu’ils soient le résultat d’une équation géopolitique au sein de laquelle s’agrègent deux émirats de petite superficie, faibles démographiquement mais puissants grâce à leur production d’hydrocarbures, ancrés dans une région conflictuelle – quatre facteurs qui les conduisent à mener une politique d’influence ambitieuse –, sont déconnectés des dynamiques géopolitiques internes à cet espace régional. Derrière le flot d’images, ces institutions apparaissent avant tout centrées sur la diversification de leurs partenariats. Cependant, en arrière-plan des traits socio-culturels rattachés au Golfe émergent dans la gestion de ces deux entités telle une compétition entre cheikhs qui s’inscrit dans le système originel tribal.

Au travers de ces clubs, c’est une image apolitique qui est déclinée, comme si ces émirats se délestaient d’une partie de leur réalité socio-politique. Comme en témoignent la taille modeste de la boutique du PSG au Villagio, mall de la périphérie de Doha, ou le faible intérêt des presses qatarie et émiratie envers la demi-finale de Ligue des Champions entre Manchester City et le PSG, se limitant à de simples résumés de la rencontre, ces clubs ne sont pas investis par les palais comme des objets ayant trait au développement d’une quelconque fierté nationale.

De plus, les passionnés de football du Golfe possèdent souvent une équipe de cœur, parfois un joueur, qu’ils supportent sur la scène européenne en fonction de leur prestige. Leur appétence pour le football anglais ou espagnol les amène généralement à se tourner vers les grandes écuries de ces championnats qui possèdent un palmarès fourni.

Loin des divergences régionales décuplées par leurs postures adoptées lors de la récente séquence ouverte, en 2011, par les soulèvements arabes, le football européen ne représente pas un espace dans lequel les pouvoirs en présence expriment leurs oppositions.

Le Qatar cherche à être puissant au sein du sport mondial pour conforter la place de son hub sportif à l’échelle internationale, l’objectif étant pour lui de gagner en influence au-delà du sport. L’émirat d’Abu Dhabi aspire quant à lui, derrière l’image sportive, à accroître ses réseaux économiques. Le PSG ainsi que le City Football Group font pleinement partie de ces stratégies.

À partir de l’objet global qu’ils conçoivent à travers leur propriété européenne (PSG) et mondiale (City Football Group), le Qatar et Abu Dhabi s’adressent à un public international déconnecté des réalités géopolitiques ayant trait au Golfe. Il serait surtout bien trop risqué de porter atteinte à leurs outils de branding.

Une lutte d’influence cantonnée aux coulisses

Seul un épisode a eu le don d’exposer les divisions régionales au grand jour, au cœur de l’enceinte sportive européenne : les velléités de l’Arabie saoudite d’investir dans le football anglais. L’annonce de ce projet, puis l’approche de l’acquisition du Newcastle United Football Club par l’un de ses fonds souverains, le Public Investment Fund (PIF), se sont entrechoquées avec l’affaire BeOutQ, du nom d’un bouquet de dix chaînes sportives retransmises dans le monde entier grâce au piratage de la chaîne sportive qatarienne Bein sport.

À la suite de cette manœuvre, les soupçons du Qatar se sont très vite dirigés vers Riyad. Plusieurs enquêtes conduites par Doha avec le concours de sociétés américaines menaient à Riyad et remontaient même jusqu’à des proches du prince héritier, Mohammed bin Salman Al-Saoud.

S’attaquer à Bein Sport, rouage financier majeur de la politique d’influence du Qatar, n’était pas anodin : cela représentait une offensive déstabilisatrice d’ampleur à l’encontre de Doha. Le royaume saoudien avait beau nier son implication, l’annonce de son arrivée éminente à la tête d’un club de Premier League, compétition dont Bein Sport possède une partie des droits télévisés, représentait pour Doha un levier d’action pour faire pression sur les décideurs de cette même Premier League qui devaient donner leur aval avant la reprise de Newcastle United FC par ces nouveaux actionnaires.

Un levier qui s’est avéré fructueux puisque les multiples tentatives de reprise menées par la femme d’affaires britannique Amanda Staveley, missionnée par le PIF, ont été rejetées, contraignant l’Arabie saoudite à revoir ses plans. Cette confrontation est ainsi restée cantonnée aux coulisses du football anglais et demeure, jusqu’à présent, la seule passe d’armes de ce type recensée au sein du football européen, centre du football mondial.

Du Golfe à l’arène européenne, le sport laisse apparaître une superposition des typologies de puissances. À la puissance horizontale qui structure les sociétés des pétromonarchies du Golfe, à partir des années 1970, comme une émanation de leurs systèmes d’État-providence, s’ajoute, dans les années 2000, l’édification d’une puissance verticale par l’intégration de circuits du sport mondial à leurs agendas politiques, dans le but d’étendre leur influence aux réseaux de la mondialisation. Au centre du jeu, les pouvoirs orchestrent cette partition ; ces deux niveaux n’influent toutefois pas l’un sur l’autre.

Cependant, plus les rouages composant la strate verticale de la puissance prennent corps au sein de l’espace golfien, plus la frontière entre ces deux niveaux est ténue. Les crispations suscitées par l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar en ont été un exemple au niveau régional. Loin du Golfe, au cœur de la vitrine européenne, la confrontation Manchester City-PSG demeure quant à elle épargnée par les rivalités opposant leurs propriétaires.

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