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Publicité : une tolérance de plus en plus grande au greenwashing en France ?

Employer l’argument écologique à tort et à travers met à mal la confiance entre consommateurs et entreprises. Shutterstock

L’année 2020 a été marquée par la publication de plusieurs rapports et études qui soulignent l’impact négatif des marques sur l’environnement ; ils prônent des changements profonds dans l’offre des entreprises, dans l’information des consommateurs et dans la régulation de la communication et la publicité.

Au centre du dispositif d’autorégulation français se trouve l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) et des instances qui y sont rattachées, comme le Jury de déontologie publicitaire (JDP).

Leur rôle est de définir les règles déontologiques et de veiller à leur bonne application par l’ensemble des acteurs de la filière publicité (annonceurs privés et publics, agences conseils, diffuseurs, free-lance…), avant et après diffusion, que ce soit à la télévision, dans la presse, en affichage, sur les réseaux sociaux ou encore en vitrine d’un magasin.

Tous les arguments publicitaires écologiques ou les allégations qui font référence aux enjeux de transition écologique doivent, en théorie, respecter ces règles, rassemblées dans la « Recommandation développement durable » de l’ARPP.

Dans les faits, plus de 11 % des publicités environnementales ne sont pas conformes, comme le montre le dernier bilan « Publicité et environnement », réalisé conjointement par l’Ademe et l’ARPP et publié en septembre 2020.

C’est le taux le plus élevé depuis 10 ans et significativement supérieur aux autres thématiques (0,2 % de non-conformité pour les comportements alimentaires ou l’image et le respect de la personne, par exemple).

Un assouplissement inquiétant

En cas de suspicion de greenwashing pour une publicité, n’importe quel individu, association ou institution peut saisir le Jury de déontologie publicitaire. C’est ce que je m’efforce de faire régulièrement : 32 plaintes déposées depuis 2019, 22 jugées fondées, 4 infondées, 1 irrecevable, 5 en cours de traitement. Cela me permet de pointer du doigt certaines pratiques irresponsables et de nourrir mes travaux de recherche sur la régulation publicitaire en France.

Je constate que plusieurs décisions prises par le Jury ces dernières semaines traduisent un assouplissement dans l’interprétation des règles déontologiques.

Cette bascule de la jurisprudence est inquiétante parce qu’elle laisse une plus grande marge de manœuvre aux marques pour exploiter l’argument écologique de manière disproportionnée, au détriment de l’information du consommateur et de la lutte contre les grands enjeux comme le dérèglement climatique.

Revenons sur ces avis récents en trois cas emblématiques.

Cas n°1 : un véhicule roulant à l’hydrogène

L’annonceur est un équipementier automobile qui a investi massivement dans la filière hydrogène. Le visuel publicitaire présente un verre d’eau sur fond bleu avec le message « Voilà tout ce qu’on rejette en roulant à l’hydrogène ».

De mon point de vue, cette allégation induit le public en erreur sur la réalité des impacts de la technologie hydrogène et contrevient au point 3 de la recommandation développement durable de l’ARPP :

« Le message publicitaire doit être proportionné […] aux propriétés du produit dont il fait la promotion. […] Le message publicitaire ne saurait suggérer indûment une absence totale d’impact négatif. »

J’ai donc signalé cette publicité au JDP. Le président a jugé la plainte infondée, au motif que « la formulation choisie indique bien que c’est précisément en phase de roulage que les rejets se limitent à de l’eau. »

Pourtant, la mention « en roulant » n’est pas synonyme de « en phase de roulage », elle a une acception beaucoup plus large. D’ailleurs, dans la publicité, l’annonceur promeut sa « solution hydrogène globale », qui concerne les différentes phases de fabrication, de stockage et d’usage de l’hydrogène, qui ont des impacts environnementaux non négligeables.

Publicité de l’équipementier automobile français Plastic Omnium. Plastic Omnium

De surcroît, si on adopte la logique du JDP, des slogans publicitaires comme « Manger de la viande ne contribue pas au changement climatique » et « En buvant cette eau en bouteille, je ne produis pas de déchets plastiques » seraient conformes aux règles déontologiques ! C’est absurde évidemment, une grande partie des impacts liés aux produits que nous consommons proviennent des phases d’extraction des matières premières, de fabrication, de transport, de fin de vie…

J’ai contesté la décision et le président du JDP a décidé de soumettre cette publicité en séance plénière, le 7 mai prochain. L’avis sera publié début juin. Nous verrons s’il confirme ou non la première lecture qui en avait été faite.

Cas n°2 : un produit « écoresponsable »

Une société française fabrique et commercialise des caches pour webcam, nommés « cache-cams ». La publicité, diffusée sur Internet, présente plusieurs modèles de caches disposés sur un décor de feuillage stylisé avec l’accroche « Le cadeau d’entreprise utile, original et écoresponsable ».

L’argument écologique « écoresponsable » est repris sur le site web de la marque avec un pictogramme d’une Terre entourée d’une tige et de deux feuilles vertes et la précision que les produits sont fabriqués « à partir d’amidon de maïs ».

J’ai à nouveau saisi le JDP au motif que l’allégation globalisante « écoresponsable », renforcée par le visuel, est disproportionnée et peut induire en erreur les acheteurs sur le réel impact et les qualités environnementales de ces produits.

Le Jury a rejeté ma plainte. Il considère que ni l’allégation critiquée, ni le visuel en cause ne présentent un caractère disproportionné au regard des qualités revendiquées du produit et de l’impact environnemental de l’activité de l’annonceur, et qu’ils ne sont pas susceptibles d’induire en erreur le public.

Sans entrer dans l’analyse technique de la performance environnementale de l’amidon de maïs, il apparaît que cet avis du JDP se positionne en opposition avec la jurisprudence en vigueur.

En effet, dans le bilan 2019 « Publicité et environnement » ADEME-ARPP, les visuels publicitaires utilisant un argument globalisant tel que « écologique », « responsable », « écoresponsable », « durable » sont systématiquement classés comme non conformes à la Recommandation DD, même lorsque le produit présente de réelles qualités environnementales, attestées par un écolabel.

Pourquoi en serait-il autrement des caches pour webcam ?

J’ai saisi le réviseur de la déontologie publicitaire. Ma demande a été jugée recevable et une nouvelle procédure a été lancée. Nous saurons dans quelques semaines si le premier jugement est confirmé en appel.

Cas n°3 : un produit « 100 % naturel »

Ce troisième cas porte sur l’affirmation de naturalité d’un produit, en l’occurrence un sirop contre la toux. J’avais saisi le JDP pour dénoncer l’utilisation d’un logo vert représentant une feuille et accompagné du terme « naturel », positionné sur le visuel publicitaire, à côté d’une photo du produit et de son emballage.

Cette plainte a également été jugée infondée, le Jury estimant que cette présentation « est justifiée par les ingrédients naturels composant le produit […] par une mention en bas de la publicité “à l’extrait sec de guimauve et au miel naturels” [et] par la reproduction du conditionnement qui fait apparaître des fleurs de guimauve et du miel ».

Il ajoute qu’« eu égard à la taille du logo, rapportée à celle de l’affiche, cet élément visuel n’apparaît pas disproportionné au regard de l’argument écologique » et qu’il « n’apparaît pas susceptible d’introduire une confusion avec d’autres logos officiels ».

Cet avis est contraire à la jurisprudence en vigueur. Dans le même bilan 2019 « Publicité et environnement » ADEME-ARPP, plusieurs publicités utilisant des logos similaires ont été classées comme non conformes aux règles déontologiques.

J’ajoute que dans un précédent bilan « Publicité et environnement » (celui de 2015), l’Ademe alertait sur la multiplication des pictogrammes et logos autodéclarés et sur leur double impact négatif (difficulté pour le consommateur de s’y retrouver ; difficulté pour les entreprises véritablement engagées dans une démarche durable de se démarquer).

Cette question des logos et pictogrammes ne devrait donc pas être prise à la légère par le JDP. Je n’ai malheureusement pas eu le temps de saisir le réviseur dans les délais impartis et cet avis est donc définitif.

À gauche, le logo de la publicité jugée conforme en 2021 ; à droite celui jugé non-conforme en 2019. Mathieu Jahnich, CC BY-NC-ND

L’argument écologique à tort et à travers

L’analyse de ces trois cas dessine une tendance : une bascule de la jurisprudence dans le sens d’une interprétation plus lâche de la recommandation Développement durable de l’ARPP. C’est un signal envoyé aux annonceurs et à leurs agences qui vont se sentir plus libres d’utiliser l’argument écologique à tort et à travers.

Rappelons que le greenwashing contribue à la perte de confiance entre les consommateurs et les entreprises, qu’il est un frein au déploiement de véritables éco-innovations et qu’il sème la confusion dans l’esprit du public sur la réalité des efforts à entreprendre et bloque la transition écologique.

Alors que la sensibilité des Français sur les questions environnementales est toujours aussi élevée (au 2e rang des préoccupations fin 2020), que le projet de loi issu des propositions de la Convention citoyenne pour le climat – qui vise notamment à durcir l’encadrement et la régulation de la publicité – entre en discussion au Parlement, que la pression n’a jamais été aussi forte sur la filière publicité-communication quant à son engagement pour la transition écologique, cet assouplissement dans l’interprétation des règles déontologiques est regrettable.

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