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Pyongyang en position de force face à Donald Trump

A Séoul, le 9 mars 2018. Jung Yeon-je/AFP

Rarement le terme « historique » n’aura été utilisé, sans être galvaudé, pour décrire les évènements ayant lieu actuellement dans la péninsule coréenne. L’échange de délégations de haut niveau entre le Nord et le Sud, avant et pendant les Jeux olympiques, constituait déjà un bouleversement complet dans l’architecture politique d’une région qu’on pensait figée.

Pour rappel, pas plus tard que le 28 novembre dernier, la Corée du Nord testait sa dernière génération de missiles intercontinentaux (théoriquement capables de raser New York ou Washington) et déclarait que sa quête nucléaire était achevée. Qui aurait pu penser que, quelques mois après, un envoyé spécial sud-coréen, fraîchement revenu de Pyongyang, allait tenir un étrange point de presse en direct de la Maison Blanche pour déclarer que, pour la première fois, un Président américain en exercice allait rencontrer le dirigeant de la Corée du Nord ?

La maîtrise de Pyongyang

Les diplomates sud-coréens ont eu la bonne idée, lors de ce point de presse, de mettre au crédit de Donald Trump l’apaisement actuel des tensions dans la péninsule. Cette politesse diplomatique est parfaitement compréhensible, mais force est de constater que les États-Unis ont, pour l’instant, été réduits à l’état d’observateurs des développements du réchauffement Nord-Sud. L’organigramme de l’administration Trump présente, d’ailleurs, encore un certain nombre de « trous » : plusieurs postes clés sont toujours en attente de nomination, dont celui d’ambassadeur en Corée du Sud ou de représentant spécial pour la République populaire de Corée du Nord (RPDC).

Par ailleurs, Washington avait réagi plus que froidement à l’accueil d’une délégation de très haut niveau nord-coréenne lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Pyongchang, à l’image d’un vice-président américain, Mike Pence, allant jusqu’à refuser d’applaudir au passage de la délégation unifiée d’athlètes du Nord et du Sud.

Or l’idée que la politique de « Maximum Pressure » chère à l’administration Trump puisse être à l’origine d’un éventuel changement d’attitude nord-coréen ne semble pas résister à l’analyse. Bien que les sanctions économiques à l’encontre de la Corée du Nord se soient gravement accumulées ces deux dernières années, elles semblent mises en œuvre de manière extrêmement réticente par les principaux partenaires commerciaux de la RPDC, à savoir la Chine et la Russie.

Ces sanctions économiques ne semblent pas avoir, pour l’instant, causé de véritable effet sur l’économie du pays, qui affiche même, selon les différents observateurs, une amélioration sensible. Ainsi, la limitation sur les importations nord-coréennes de pétrole, décidée en septembre 2017 et renforcée en décembre, souvent considérée comme le nec plus ultra de la « diplomatie coercitive » a, pour l’instant, surtout eu pour paradoxal effet de faire baisser le prix de l’essence à Pyongyang.

Enfin, la maîtrise – impressionnante – de la séquence diplomatico-militaire nord-coréenne depuis l’emballement des programmes nucléaires et balistiques jusqu’à l’ouverture du dialogue avec le Sud et les États-Unis laisse plutôt l’impression d’une stratégie de long terme qu’un revirement en catastrophe sous l’effet de sanctions économiques.

Kim, un stratège hors pair

A l’heure actuelle, les analystes en sont réduits à spéculer tant sur la forme que pourra prendre cette rencontre que sur le contenu des discussions. Évidemment, la question du nucléaire nord-coréen devra occuper le devant des discussions, mais il serait naïf et illusoire de penser que négocier avec Pyongyang sur une question qui relève de la sécurité et de la souveraineté de la RPDC sera rapide et facile.

En effet, contrairement à ce qu’on pu expliquer certains médias, Kim Jong‑un ne s’est nullement engagé à dénucléariser. Il aurait laissé l’option ouverte si, et seulement si, les États-Unis fournissent des garanties de sécurité suffisantes. Il convient, par ailleurs, de noter que ces propos de Kim Jong‑un nous sont rapportés par les diplomates sud-coréens – ce qui rend les intentions réelles de Pyongyang difficiles à lire.

La Corée du Nord prouve, une fois de plus, qu’elle est non seulement un acteur rationnel, mais aussi et surtout un excellent stratège. Pyongyang aborde le futur sommet en position de force : son arsenal nucléaire est prêt, et le « Leader suprême » nord-coréen ne s’est encore engagé à rien. Bien au contraire, la bombe atomique est un héritage du père de Kim Jong‑un, Kim Jong-il, et c’est précisément cette filiation qui donne sa légitimité politique à l’actuel dirigeant. On voit difficilement comment le fils pourrait liquider l’héritage du père sans entamer son propre capital politique.

Dénucléarisarion nord-coréenne contre dénucléarisation américaine

Par ailleurs, le statut nucléaire de la Corée du Nord est désormais inscrit dans la Constitution nord-coréenne, ce qui rend encore moins probable une dénucléarisation sous pression américaine à court ou à moyen terme. En d’autres termes, la RPDC n’a rien à perdre dans ces futurs pourparlers : il est fort probable qu’en échange d’une dénucléarisation progressive soit formulées des demandes acceptables – établissement de relations diplomatiques formelles, aide économiques, retrait des sanctions –, mais aussi d’autres beaucoup plus radicales, dont notamment un retrait des troupes américaines de Corée du Sud ou même une dénucléarisation américaine.

Les États-Unis, qui s’inquiètent plus d’une Chine expansionniste que d’une Corée du Nord dotée d’une capacité de dissuasion nucléaire, n’accepteront véritablement jamais les garanties de sécurité que Pyongyang ne manquera pas de réclamer comme conditions sine qua non. Ainsi, au terme de longues et sans doute pénibles négociations, il est fort probable que les résultats de ces échanges soient minces côté américain.

Côté nord-coréen, par contre, on peut déjà imaginer les images de la télévision centrale nord-coréenne montrant Kim Jong‑un et le Président américain dialoguant d’égal à égal, ou même déambulant dans les nouvelles rues futuristes de Pyongyang. Une fois de plus, le calcul stratégique nord-coréen, qui consiste, depuis les années 1960, à alterner pression sécuritaire et périodes d’accalmie pour rompre son isolement, risque de se révéler payant.

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