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Qualité de vie au travail et incertitude : pourquoi ne rechercher que des solutions individuelles ?

Et si, au lieu de s'attacher à chaque individu séparément, on s'intéressait à la qualité de vie au travail de manière collective ?

À côté, en complément ou en compensation (c’est selon) de la réforme des retraites, le gouvernement a voulu lancer une réflexion générale sur le travail. Le président de la République a notamment annoncé la mise en place d’un « pacte de la vie au travail » qui sera dessiné « d’ici la fin de l’année » avec les partenaires sociaux. En parallèle, et pour le nourrir, les Assises du travail ont été lancées. Le rapport sur lequel elles ont débouché le 24 avril invite notamment à « gagner la bataille de la confiance par une révolution des pratiques managériales et en associant davantage les travailleurs » ou encore à « préserver la santé physique et mentale des travailleurs, un enjeu de performance et de responsabilité pour les organisations ».

Ce que montrent nos recherches récentes, menées avec un regard de psychologue, est que ces deux notions sont bien liées : des modes de gestions participatifs permettent bien d’améliorer la qualité de vie au travail. Nous le montrons notamment en ce qui concerne la manière dont on peut aborder des contextes incertains, parfois source de stress et d’anxiété.

Incertitude, stress et anxiété

Cela relève d’un truisme : le monde est de plus en plus incertain : tensions sociales, guerre en Ukraine, augmentation générale des prix, crise énergétique scénarios alarmants sur les potentielles sècheresses… Le monde bouge et véhicule avec lui un lot de changements sans véritablement savoir ce qu’ils changeront.

Par-delà le monde politique, c’est aussi dans les organisations de travail que cette incertitude est bien souvent perçue. Trop souvent, le jargonnage d’initié confinant parfois à la pure novlangue orwellienne dissimule à peine cette réalité. À l’heure où l’on parle de « flexibilisation », ou de « mutualisation », un chapeau général nommé « incertitude » pourrait tout aussi être utilisé. Du reste, la recherche croissante de sens au travail, les difficultés de recrutement de la génération Z, ou le (prétendu ?) phénomène de la grande démission sont peut-être dus (ou au moins liés) à cette profonde incertitude.

Commençons par définir les termes. L’incertitude c’est tout d’abord le fait de ne pas pouvoir mettre en relation un élément avec un ou plusieurs autre(s). Cette « perception d’inconsistance » (tel est le terme que l’on reprend pour poser les bases de notre définition) entraîne un état émotionnel aversif qui déclenche enfin le besoin de résoudre ce conflit.

Un salarié peut, par exemple, constater qu’il ne dispose pas des informations nécessaires pour satisfaire les demandes de son manager. Cela entraîne chez lui un état émotionnel négatif, se traduisant généralement par une augmentation du stress et une anxiété accrue. Il lui semble alors impératif de réguler la situation, un peu comme une alarme qui continue à sonner tant que personne ne la coupe.

Il existe bien sûr des différences psychologiques entre les individus. Pour filer la métaphore de l’alarme, certains sont psychologiquement plus disposés à subir cette alarme que d’autres qui préféreront la faire taire au plus vite.

Il existe par ailleurs trois grandes sources d’incertitude. Il y a ce qui relève de la probabilité, c’est-à-dire le caractère aléatoire ou non déterminé d’une information, ce qui relève de l’ambiguïté, c’est-à-dire d’un manque de fiabilité de l’information, et enfin de la complexité, c’est-à-dire de difficulté à comprendre l’information.

L’incertitude, un nouveau risque psychosocial ?

L’incertitude n’implique donc pas directement stress ou anxiété : c’est tout un processus qui y peut y conduire. Certaines différences psychologiques (ou certains états d’esprit) peuvent rendre l’expérience de l’incertitude peu anxiogène, voire carrément stimulante.

Néanmoins, considérer l’incertitude comme un risque psychosocial (RPS) aurait l’avantage de rendre plus tangible le potentiel délétère qu’elle représente. Et par là même, sensibiliser davantage les organisations à ce risque que courent leurs salariés. De fait, comme le précise le ministère du Travail :

« la prévention des risques psychosociaux s’inscrit dans l’obligation générale de protection de la santé physique et mentale des travailleurs. »


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La question de la régulation de l’incertitude reste de plus un angle mort des politiques de qualité de vie au travail déployées un peu partout. Certains outils diagnostics ont, certes, parfois intégré cette dimension mais cela ne signifie pas pour autant que cette question bénéficie du traitement qu’elle devrait recevoir, eu égard à sa prévalence dans nos vies quotidiennes.

Face à l’incertitude, des pratiques participatives

Comment donc réguler l’incertitude ? Ou dit autrement, comment la ramener à un niveau psychologiquement tolérable pour les individus ? Différentes solutions ont été proposées.

Beaucoup actionnent des leviers individuels. Il s’agirait, par exemple, de développer un état d’esprit plus favorable à l’accueil de l’incertitude, de se reposer sur la planification, ou bien sur le développement de puissantes ressources psychosociales. Bien que souvent pratiques car « clés en main », ces propositions laissent tout de même perplexe : proposer des solutions individuelles revient à faire porter la responsabilité à l’individu de phénomènes qu’il ne contrôle pas initialement. C’est alors bien souvent oublier qu’il existe aussi des solutions managériales.

Spoiler, la mise en place d’une grande « happycratie » inclusive ne sera pas suffisante. Dans une étude récente, nous avons néanmoins testé les perspectives offertes par une solution collective.

Nous avons tenté de mesurer l’impact des pratiques participatives véhiculées au sein d’une organisation sur l’incertitude (plus précisément quand elle prend la forme de l’ambiguïté) et la qualité de vie au travail perçues. Il s’agissait d’un public de conseillers en évolution professionnelle. La présence d’émotions (positives/négatives) et la satisfaction/frustration des besoins psychologiques ont servi d’indicateurs de la qualité de vie au travail.

Nos résultats indiquent un impact positif de ces pratiques participatives. Il semble s’expliquer en partie par la capacité de celles-ci à réguler l’incertitude. Dit autrement : c’est parce que ces pratiques participatives contribuent à réduire l’incertitude qu’elles permettent d’améliorer (en partie) la qualité de vie au travail. Les pratiques directives, elles, ne fonctionnent tout simplement pas pour réguler l’incertitude. Pire, elles présentent un impact négatif sur la qualité de vie au travail.

En pratique : partager, faciliter et impliquer

« Oui mais ça marche pas partout. Chez les pompiers par exemple… » « Donc on gère les crises en prenant juste le temps d’impliquer tout le monde ? » « Et dans une situation où des vies sont en jeu ? A l’armée ou en temps de guerre… » : les objections peuvent être nombreuses et, bien évidemment, il ne s’agit pas de dire que les situations de crise peuvent et doivent être gérées de manière participative.

Néanmoins, dans le cadre du travail tertiaire, 75 % des emplois en France tout de même, cela peut fonctionner de cette manière. En pratique, trois mots d’ordre peuvent nous aiguiller : partager, faciliter et impliquer.

Partager un maximum l’information plutôt que de la concentrer reste fondamental et permet de limiter le développement des rumeurs en temps d’incertitude (rumeurs qui sont bien souvent des explications naïves d’évènements ou processus complexes, augmentant l’illusion de contrôle personnel de leurs auteurs).

Faciliter le développement des compétences de ses salariés permet de les faire gagner en maturité professionnelle, de se sentir mieux armé face à l’incertitude, et donc de moins percevoir un contexte comme incertain. Enfin, les impliquer le plus possible dans le processus de prise de décision, même si ce n’est pas toujours évident, reste le levier principal de régulation de l’incertitude. Des solutions simples peuvent être mobilisées : ouvrir à la discussion, inviter plutôt qu’imposer, déléguer plutôt que centraliser.

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