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Quand l’école modèle le déterminisme social

Le documentaire _Comme un loup revient sur les différents aspects que revêt le déterminisme social et interroge les « choix » des jeunes dans le système scolaire et ce que ce dernier projette. Comme un loup

Un groupe d’enfants se partagent à tour de rôle un vélo. On ne leur a jamais demandé de le faire, ni quand le faire, comment ou avec qui. Ils savent simplement que le moment est venu et ils se sentent bien. Contemplez ces enfants et l’organisation du groupe, essayez de ressentir les lois implicites de leur univers social. Ils apprennent en groupe. La scène est extraite du film Comme un loup, qui offre une nouvelle perspective quant au rôle de l’école dans le monde de la jeunesse et au rôle de la jeunesse dans le monde de l’école.

Extrait de Comme un loup.

Lorsque l’esprit se comporte en groupe, un univers social émerge. Ces formes complexes et auto-organisées sont uniques et parfaitement adaptées au contexte qui les voit naître. Il existe un sentiment particulier lié au fait de faire partie d’un univers social, tout comme il existe un sentiment particulier lié au fait d’en être exclu. Comme un loup est un documentaire qui porte sur les conséquences psychologiques et comportementales de notre système scolaire.

Le film pose plusieurs questions importantes, auxquelles il est difficile de répondre à travers nos méthodes d’évaluations traditionnelles, telles que les statistiques PISA ou la notation chiffrée. Dans quelle mesure peut-on dire que l’école occupe le monde vécu des jeunes générations ? L’enfant existe-t-il au sein du programme scolaire autrement que sous la forme d’un échantillon statistique, d’un nombre ou d’un nom ? Existe-t-il en tant qu’individu complet ? Autrement dit, dans quelle mesure les élèves se sentent-il appartenir à l’école ?

Le documentaire Comme un loup (2017) explore le déterminisme social à l’école.

L’élève serait le premier à convenir qu’il n’est pas le centre du système scolaire actuel. De fait, l’effort administratif vers un « meilleur niveau » et la course à la performance rejette graduellement à l’arrière-plan les besoins et les espoirs des élèves. Cet effort révèle un schéma narratif incontestable et une morale sans équivoque : réussir à l’école est la clé de la prospérité dans la vie. Quelles sont les conséquences logiques de cet état de fait ? Quels en sont les coûts pour les élèves et, en dernière analyse, pour nos sociétés ?

L’école comme un champ de possibilités

La fonction de l’école est de créer les ressources humaines nécessaires pour maintenir la société dans le futur – et, indirectement, de financer la retraite de ceux qui décident actuellement de la destinée des jeunes générations. Mais si l’on considère l’école du point de vue des enfants, comme des êtres humains en évolution, construisant les forces nécessaires pour impulser leur trajectoire de vie, se créant une identité et apprenant à partager des sphères d’appartenance, alors l’école devient quelque chose de très différent.

L’école cesse d’être une usine produisant le personnel salarié du futur pour devenir une période de temps, une skholè, un champ de possibilité, un terrain de jeu, une scène de vie, un terreau fertile où les idées et les talents peuvent naître et évoluer. Mohamed, un autre personnage du film, a quitté l’école très jeune, pour trouver sa scène de vie ailleurs : sur le ring de boxe. Peut-être car c’est dans la nature du jeune homme de gagner et qu’il savait très bien que l’école ne lui permettrait aucune victoire satisfaisante.

Extrait de Comme un loup.

Les enfants ne vont pas à l’école pour être transformés en une sorte de ressource financière, ils vont à l’école pour grandir, pour savourer, pour interagir, pour expérimenter et pour enrichir leurs connaissances quant aux mystères de la vie. Ils vont à l’école pour découvrir ce qu’ils ne connaissent pas encore, l’immensité du monde et de l’esprit. Nous avons donc refusé de montrer une école dans notre film. En ce qui concerne les jeunes, l’école comme temple de la connaissance semblait un monde à part – une sphère à laquelle seul un petit nombre appartient.

L’école nous apprend à être fiers ou honteux, que nous sommes un succès ou un échec. Cette connaissance ne nous quitte jamais. Savoir que l’on est un échec signifie que l’on n’appartient pas à la société qui nous définit comme tel. Lorsque nos écoles envoient des échecs dans le monde, elles ne créent pas des ressources mais des problèmes pour le futur. Les trois personnages du film ont tous fréquenté le même collège avant que leurs trajectoires ne divergent. À travers la politique ou la boxe, chacun à trouvé sa sphère d’appartenance hors du système scolaire ; tous excepté le personnage principal, Yaya, qui se trouve être un succès à l’école.

Yaya est l’un des rares de son quartier à suivre un cursus général et un des seuls de son lycée à venir de cité. Arrivé en France à l’âge de 11 ans et habitant de la Cité Cambrai dans le XIXᵉ arrondissement de Paris, il se prépare à passer l’examen qu’il redoute tant. _Comme un loup_.

Yaya est déchiré entre les mondes, entre l’école et sa famille, entre sa famille et ses amis, entre ses amis du quartier et ses amis à l’école. Yaya est le héros tragique de la méritocratie, le succès individuel qui cache un échec collectif. Il est le seul à croire à la morale de l’histoire scolaire, seulement voilà : réussir à l’école n’est pas la clé de la prospérité dans la vie. Ses amis du quartier eux en sont déjà conscients, peut-être pour s’épargner la dissonance cognitive. Et quand Yaya dit vouloir devenir président après ses études, le rire tonitruant du groupe rappelle la réalité profonde derrière l’illusion scolaire.

Les sphères d’appartenances du jeune homme s’excluent mutuellement sous l’autorité d’évaluations toujours plus précises imprégnant chacun des aspects de la vie vécue. Lorsqu’ils parlent de filles, la première chose que font Yaya et ses amis, c’est de les noter. Leurs vies sont fondées et déterminées par les valeurs et les processus de pensée qu’ils ont appris au travers de l’école.

Dans un monde de plus en plus globalisé, transitoire et désorientant, beaucoup d’enfants – en particulier ceux qui ont été déplacés – cherchent à construire leur identité dans une sphère d’appartenance, dans les cercles de la famille, de l’amitié, du quartier et de l’école. Comment l’harmonie peut-elle s’accomplir entre les sphères de l’appartenance ? Entre les milliers de relations virtuelles et leurs affiliations fluides et fragiles, peut-on encore espérer à une culture unifiée ? L’école peut-elle offrir un centre à ces cercles, un lieu d’apprentissage collectif – ou rejette-t-elle la vie à la périphérie de la société ?

This article was originally published in English

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