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Quand les anchois confondent le plastique avec un bon repas

Sculpture réalisée à base d'éléments en plastique, à Helsingør, Hovedstaden au Danemark. Malene Møh. erik forsberg/flickr, CC BY-SA

Au moment de savourer un délicieux poisson vous pensez rarement à ce que lui a pu manger. Mais peut-être devriez-vous… La recherche a montré que plus de cinquante espèces de poissons consomment du plastique dans la mer. Ce n’est pas seulement une mauvaise nouvelle pour eux, mais également pour les populations qui comptent sur le poisson pour subvenir à leurs besoins alimentaires.

En général, les poissons ne meurent pas de l’ingestion d’un fragment de l’énorme quantité de plastique flottant dans les océans. Cela dit, ce n’est pas sans danger pour eux : leur activité est modifiée et leur comportement social change. Au niveau physiologique, leur fonction hépatique est en berne.

Ce qui pourrait être plus problématique pour nous, c’est que certains composés toxiques comme les PBDEs (Polybromodiphényléther), associés aux plastiques traversent les tissus des poissons et s’y accumulent. Cette découverte signifie que ces mêmes substances pourraient également être stockées à l’intérieur de nos corps. L’estomac de plusieurs espèces de consommation courante comme le maquereau, le bar rayé et les huîtres du Pacifique contiennent du plastique.

Il est bien connu que nos déchets plastiques font peser une lourde menace sur les animaux marins mais nous essayons toujours de comprendre pourquoi ils en mangent. Des recherches ont conclu que les animaux confondent, visuellement, plastique et nourriture.

Les tortues de mer peuvent se laisser mourir de faim parce qu’elles ont l’impression d’être rassasiées après avoir ingéré des sacs plastiques ou d’autres débris.

Cela pourrait être vrai mais une telle information ne serait qu’une partie d’un tableau plus large. Dans une étude récente réalisée avec nos collègues de l’université de Californie, nous avons montré que les débris de plastique auraient également une odeur attractive pour les organismes marins. Cette étude se focalise sur les oiseaux de mer, mais mes co-auteurs et moi-même avons trouvé que les déchets plastiques avaient des effets similaires sur les anchois, une espèce majeure dans les chaînes alimentaires des océans.

Flairer le rôle des odeurs

Le sens de l’olfaction est extrêmement important pour la faune marine et donc pour les poissons. Les requins peuvent sentir des quantités infinitésimales de sang à de très grandes distances, ce qui leur permet de chasser. Les scientifiques pensent que l’odorat du saumon les aide à remonter les rivières vers les affluents spécifiques qui les ont vus naître pour y pondre à leur tour. Les poissons peuvent utiliser ce sens dans des contextes comportementaux comme l’accouplement, le choix de leur lieu de vie, leur migration et leur recherche de nourriture.

Nous avons testé l’hypothèse suivante : est-ce que les débris plastiques sentent bon pour les anchois du pacifique (Engraulis mordax) ? Cette espèce vit en bancs proche de la côte ouest d’Amérique du Nord. Les anchois sont une espèce d’une importance écologique et économique majeure. Malheureusement, ils se nourrissent également de plastique dans la nature.

Travailler avec des anchois n’est pas chose aisée dans la mesure où ils ont besoin de conditions hydrologiques mais aussi de taille de bancs spécifiques pour se comporter naturellement. Ils doivent être dans de l’eau froide avec un courant fort et dans des bancs d’au moins cent individus. Quand toutes ces conditions sont réunies, ils montrent leur satisfaction en nageant lentement et dans le sens du flux de l’eau – ce comportement s’appelle la rhéotaxie positive. Par chance, nous collaborons avec l’Aquarium de San Francisco, expert dans l’art de maintenir leurs poissons heureux et en bonne santé.

Bancs d’anchois du Pacifique. Matthew Savoca, CC BY-ND

Expérience olfactive

Au moment de démarrer l’expérience, nous ne savions pas si les anchois adultes utilisaient leur odorat pour trouver de la nourriture et donc encore moins si une odeur allait les pousser à manger du plastique. Afin de tester notre hypothèse, nous avons fait tremper du krill (de petits crustacés ressemblant à des crevettes dont se nourrissent les anchois) ou des débris de plastique ou du plastique propre dans de l’eau de mer pendant plusieurs heures. Ceci a permis à l’eau de se charger en odeurs. Nous avons ensuite filtré le krill ou le plastique puis avons versé cette eau aux bancs d’anchois pour observer leur comportement.

Quand les anchois recherchent de la nourriture en groupe, leur comportement est relativement prédictible : ils se groupent et se précipitent vers le stimulus intéressant, changeant la position de leur corps par rapport au courant de l’eau. Pour comparer comment les anchois allaient répondre aux senteurs de krill ou de plastique, nous avons fait pendre au-dessus de l’aquarium un appareil spécialement conçu pour cette expérience, attaché à une caméra GoPro pour filmer le comportement du banc vu d’au-dessus.

De plus, pour analyser ce que les anchois faisaient lorsqu’ils détectaient des odeurs, nous avons également filmé leur comportement quand ils se nourrissent de krill et lorsqu’ils sont en présence de traitements contrôle ou de l’eau de mer « sans odeur ». Cela nous a donné une ligne de base à propos de leur comportement en bancs que nous avons pu comparer aux réponses obtenus à nos différents tests.

Banc d’anchois avant exposition aux plastiques. Matthew Savoca, CC BY-ND

En utilisant une combinaison d’analyses informatiques et d’observations, nous avons évalué à quel point les poissons étaient proches les uns des autres et comment le corps de chaque poisson se positionnait par rapport au sens du courant, avant et après avoir ajouté une odeur dans l’aquarium. Comme nous l’avions prédit, quand les poissons étaient nourris, les bancs devenaient plus denses, ils changeaient également la position de leur corps de façon à ce que tous les poissons fassent face au courant, leurs corps s’alignaient de façon désordonnée quand ils cherchaient des morceaux de nourriture. Dans les traitements contrôles, sans nourriture et sans odeur, nous n’avons pas observé ces changements.

Les mêmes anchois après avoir été exposés à l’odeur de plastique. Matthew Savoca, CC BY-ND

Quand nous avons injecté de l’eau de mer à l’odeur de krill dans l’aquarium, les anchois ont répondu comme s’ils étaient en train de chercher de la nourriture – qui, dans ce cas, n’était pas là. Quand nous leur avons présenté de l’eau de mer à l’odeur de détritus de plastique, les bancs ont répondu presque de la même manière, se rapprochant les uns des autres et bougeant de façon aléatoire comme s’ils recherchaient de la nourriture. Cette réaction est la première preuve comportementale qu’un vertébré marin puisse être poussé à consommer du plastique à cause de son odeur.

Réduire la pollution plastique

Cette recherche confirme plusieurs choses. Premièrement les anchois du Pacifique Nord utilisent les odeurs pour localiser la nourriture. Cela peut paraître intuitif, mais avant notre étude il n’était pas prouvé que les poissons de fourrage comme les anchois, les sardines ou les harengs utilisaient leur odorat pour trouver de la nourriture.

Notre découverte principale a été que les débris plastiques sont perturbants pour ces consommateurs marins à cause de leurs apparences et de leurs odeurs. C’est un problème parce que si le plastique a l’air et sent bon pour le poisson, ce sera très difficile pour eux de discerner que ce n’est pas de la nourriture.

Cette étude suggère également que notre culture du « consommer et jeter » nous rattrape lorsque nous mangeons du poisson. La prochaine question importante que cela pose est de savoir si ces contaminants dérivés du plastique peuvent se transférer des poissons mangeurs de plastiques aux humains mangeurs de poissons.

Une façon de se centrer sur le problème est de comprendre pourquoi les animaux confondent plastique et proie si fréquemment, et en ce sens, notre étude a aidé. Cependant, tout le monde peut faire quelque chose contre la pollution des océans en évitant des objets en plastique jetable et en recyclant le plastique. Nous en savons suffisamment maintenant pour pouvoir s’attaquer à ce problème planétaire.

This article was originally published in English

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