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Nos séquences ADN : une ribambelle de lettres qui intéressent beaucoup. MIKI Yoshihito / Flickr

Quand les tests ADN récréatifs sont utilisés pour développer un médicament

L’analyse de l’ADN est aujourd’hui proposée en vente directe par des sociétés commerciales pour retracer sa généalogie mais aussi identifier ses facteurs de risque pour certaines maladies. La société 23andMe basée en Californie est une des plus actives dans un secteur comptant d’autres entreprises importantes comme_ My Heritage_, AncestryDNA ou FamilyTreeDNA. Si la distribution des tests ADN commerciaux est interdite et punissable en France, il est extrêmement aisé de se les procurer sur Internet. Il suffit alors d’expédier un échantillon de salive dans un pays où les tests sont autorisés pour recevoir les résultats de l’analyse quelques semaines plus tard.

Ces tests étant de plus en plus populaires, les sociétés qui les commercialisent ont entre leurs mains des banques d’ADN provenant de milliers voire de millions d’individus. Véritables mines d’or, elles suscitent l’intérêt de nombreux organismes publics ou privés pour travailler sur nombre de maladies d’origine génétique. L’exploitation des banques d’ADN par des tiers suscite à la fois les plus grandes inquiétudes sur les risques d’atteinte à la vie privée et les plus grands espoirs de progrès en médecine. Il se fondent notamment sur les thérapeutiques découvertes grâce à la caractérisation de mutations génétiques.

Quand les mutations de l’ADN mettent sur la voie de nouvelles thérapies

La caractérisation des mutations de l’ADN responsables de maladies génétiques a ouvert la voie à une véritable révolution dans la recherche pharmaceutique. Les thérapies géniques qui consistent à introduire un gène normal dans des cellules dysfonctionnelles en raison d’une mutation bien précise connaissent un développement spectaculaire : initialement réservées à des maladies très rares, elles seront bientôt appliquées à des pathologies génétiques plus fréquentes comme l’hémophilie et la thalassémie. On estime ainsi que 30 à 50 nouveaux produits de thérapie génique devraient atteindre le marché dans les 10 années à venir. Sans parler des applications cliniques probables des nouvelles techniques d’édition du génome.

Les avancées de la génétique moléculaire ont également permis le développement de nouveaux médicaments pour des maladies d’autres natures comme l’infection par le VIH, l’hypercholestérolémie primaire, l’ostéoporose et le psoriasis. À chaque fois, c’est l’identification de mutations rares qui a mis sur la voie d’une nouvelle cible thérapeutique. Dans le cas du traitement anti-VIH dénommé maraviroc, c’est la démonstration de la résistance d’individus génétiquement dépourvus d’un co-récepteur du virus qui est à l’origine du médicament. Pour la nouvelle génération de médicaments anti-cholestérol (evolocumab et alirocumab), la découverte originelle est basée sur l’observation de taux bas de cholestérol chez une centaine d’individus présentant une mutation qui inactive le gène codant pour l’enzyme PCSK9.Dans les deux situations, le traitement reproduit chez des individus génétiquement normaux l’anomalie qui protège de la pathologie des individus présentant la mutation.

Quant au romosozumab, c’est l’observation de malformations osseuses chez de rares individus présentant un défaut génétique de sclérostine qui a lancé la piste d’anticorps contre cette protéine pour le traitement de l’ostéoporose. L’histoire du développement de l’anticorps qui neutralise les cytokines IL-36 pour le traitement du psoriasis débute de la même manière. C’est en effet, l’identification d’une mutation qui entraîne une activité incontrôlée de ces cytokines dans neuf familles où prévaut une forme rare particulièrement sévère de psoriasis qui a enclenché le développement de ce nouveau traitement.

L’ADN, une marchandise comme une autre ?

On aura compris que dans tous ces exemples, c’est l’ADN de patients qui représente la matière première des découvertes initiales.

Les groupes pharmaceutiques s’intéressent donc à ces données : c’est le cas de GlaxoSmithKline qui a investi 300 millions de dollars dans 23andme. Notons également que leur concurrent Family Tree DNA a reconnu partager les données génétiques de ses clients avec le FBI dans le but de les aider à résoudre certains crimes.

Lorsqu’un client achète un test ADN, il est inscrit dans les conditions de vente que leurs données peuvent être utilisées à des fins de recherches. Des voix se sont élevées pour suggérer que des royalties viennent les rémunérer ou soient versées à des organisations de patients. Ces discussions nous éloignent encore un peu plus de ce qui devrait être la préoccupation essentielle : maintenir les connaissances générées par l’étude du génome humain dans l’espace du bien commun. Fort heureusement, des banques de données génétiques financées par des organisations philanthropiques se sont mises en place : l’UK Biobank au Royaume-Uni en est un excellent exemple. À l’abri de toute considération commerciale, elles offrent aussi de meilleures garanties de qualité.

Lorsqu’une firme de tests à ADN se transforme en biotech

Parallèlement au service d’analyse d’ADN à but commercial, 23andMe poursuit des recherches à visée pharmaceutique, en particulier sur le psoriasis grâce aux échantillons d’ADN reçus de près de 40 000 individus. Sur la base des résultats qui confirment l’implication de l’IL-36, 23andme s’est même lancée dans la biotechnologie et a développé pour son propre compte l’anticorps anti-IL-36 dont il est question plus haut. Pari industriel gagné avec l’annonce en janvier 2020 d’un accord de licence avec Almirall, une société pharmaceutique espagnole.

Comment assurer le juste retour vers les patients ?

Les acheteurs de tests ADN et les patients qui ont consenti à l’utilisation de leur ADN à des fins de recherche bénéficieront-ils des médicaments qu’ils ont contribué à découvrir ? La question se doit d’être soulevée au vu des prix exorbitants des médicaments innovants qui ont récemment été introduits sur le marché. On pense notamment aux nouveaux traitements du cancer, à la nouvelle trithérapie pour la mucoviscidose, et bien entendu aussi aux thérapies géniques sur lesquelles nous avons attiré l’attention dans un article publié en décembre 2019 dans Nature Medicine avec Mathias Dewatripont. Ainsi, le prix affiché du médicament Zynteglo pour la beta-thalassémie est de 2 millions d’euros.

Les achats de tests ADN viennent s’ajouter aux autres contributions financières des citoyens à la recherche médicale, que ce soit via leurs impôts ou leurs dons aux organisations caritatives. À l’heure où toutes les parties prenantes des systèmes de santé plaident pour une plus grande considération des attentes et de l’intérêt des patients, il est temps de prendre les mesures nécessaires pour assurer que les avancées remarquables de la science biomédicale bénéficient au plus grand nombre.

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