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Que penser de la résurgence de l’épidémie de Covid-19 en Europe ? Trois experts répondent

Deux passants masqués Place de la République, à Paris. Ian Langsdon/EPA

Le coronavirus SARS-CoV-2 fait un retour en force en Europe. Depuis que les gouvernements ont levé les mesures de confinement, au début de l’été, le nombre de cas positifs à la Covid-19 n’a cessé d’augmenter dans les pays qui avaient réussi à reprendre le contrôle de l’épidémie. C’est notamment le cas en Espagne, en France, en Italie et en Allemagne.

Ces derniers jours, la France a enregistré son nombre de nouveaux cas quotidiens le plus élevé depuis le pic du printemps, tandis que l’Espagne est confrontée à la plus importante résurgence d’infections de tout le continent.

Au Royaume-Uni, alors que les écoles sont en passe de rouvrir dans les quatre nations qui constituent le pays, certaines régions ont été partiellement reconfinées pour endiguer la propagation du virus. Le gouvernement affirme cependant qu’en dehors de ces « points chauds », les niveaux de contamination restent stables.


Cet article appartient à la série « Conversation Insights »
L’équipe Insights produit des articles long format basés sur des travaux de recherche interdisciplinaires. Ses journalistes travaillent avec des universitaires venus de différents horizons, engagés dans des projets visant à relever les défis sociétaux et scientifiques.


La plupart des épidémiologistes sont réticents à employer le terme de « seconde vague » pour qualifier cette augmentation des cas, considérant qu’il est trop tôt pour savoir précisément ce qui est en train de se passer. Il semblerait qu’au moins une partie de ces nouvelles infections soient asymptomatiques et concentrées au sein des couches les plus jeunes de la population.

Dans quelle mesure les citoyens européens doivent-ils s’inquiéter de cette résurgence ? The Conversation a demandé à trois experts espagnol, français et britannique ce que signifient ces chiffres, et quelle devrait être la réponse des autorités.


France

Dominique Costagliola, épidémiologiste et biostatisticienne, Inserm

En France, depuis le début de la pandémie de Covid-19, 253,587 cas positifs ont été confirmés, causant la mort de 30 544 personnes. Certaines hypothèses, en cours de vérification, postulent que le virus aurait été présent dans l’Hexagone depuis octobre ou novembre dernier, circulant à « bas bruit », c’est-à-dire sans transmission massive. Quoi qu’il en soit, c’est à partir de fin février que la situation est devenue épidémique, conduisant le gouvernement à décréter un confinement généralisé le 17 mars dernier. Le nombre de patients admis en réanimation a continué à augmenter après cette date, jusqu’au 1er avril (771 ce jour-là) pour décroître rapidement et arriver à 82 entrées le 11 mai, jour du déconfinement. Cette mesure radicale a permis de briser les chaînes de transmission, limitant la circulation du virus et « réinitialisant » en quelque sorte l’épidémie.

La différence avec la situation dans les pays qui n’ont pas pris ces mesures alors que l’épidémie devenait hors de contrôle, comme les États-Unis par exemple, est très nette. Les nombreux gouvernements qui ont nié la réalité et n’ont pas fait ce qu’il fallait pour briser les chaînes de transmission du virus l’ont laissé circuler de façon quasi permanente, ce qui a dégradé la situation. Cela illustre a posteriori le fait que, arrivé à un certain point, lorsqu’on perd le contrôle de l’épidémie, la seule solution pour stopper l’emballement est le confinement. Il est possible de s’en passer uniquement si l’on est capable de surveiller attentivement la circulation du virus, en mettant en place des tests massifs et rapides très tôt, en retraçant et isolant les personnes malades et leurs contacts contaminés, et en respectant scrupuleusement les mesures barrières : distanciation physique, lavage régulier des mains, port du masque…

Avec l’été, les cas positifs ont à nouveau augmenté : depuis la mi-juillet, nous observons une augmentation des cas positifs confirmés quotidiennement (5 429 nouveaux cas ont été détectés entre le 25 et le 26 août). Comparer ces chiffres avec les chiffres du mois de mars n’a pas grand sens, car la situation est aujourd’hui très différente en matière de tests. À l’époque, seuls les malades avec des symptômes sévères étaient dépistés, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Au printemps, le nombre de cas réels était donc bien supérieur à ceux qui avaient été enregistrés. D’autant plus que des travaux récents ont montré qu’en mai, seul un cas symptomatique sur 10 était détecté, en raison d’un système de dépistage trop limité et trop peu rapide. La situation s’est améliorée aujourd’hui, mais il est difficile de savoir de combien on sous-estime encore l’épidémie. Une chose est sûre, désormais le nombre de cas augmente plus que le nombre de tests.

Les gestes barrières doivent être observés scrupuleusement si l’on veut maintenir l’épidémie sous contrôle.

Le port du masque et le respect des gestes barrières semblent donc être notre meilleure manière d’éviter une reprise épidémique. En France, depuis le 20 juillet 2020, toute personne âgée de 11 ans et plus doit porter un masque grand public dans les lieux publics clos, y compris dans les écoles. Le problème essentiel est que cette obligation concerne principalement des lieux accueillant du public. Or le port du masque devrait être obligatoire dans tous les lieux clos, quels qu’ils soient, du moment qu’on ne peut pas les aérer. Les mesures doivent être adaptées à la situation : si l’on est dans un bureau individuel, le masque n’est pas forcément nécessaire lorsqu’on l’occupe. En revanche, si on partage son bureau ou que l’on est dans un open space, le masque doit être porté en permanence. Il faut aussi tenir compte du fait que le virus se propage également par aérosol, en plus des grosses gouttelettes. Les mesures différeront donc selon que les locaux sont climatisés ou non, s’ils le sont par recirculation d’air ou par prise d’air extérieure, etc.

En outre, le port du masque peut être imposé dans les lieux publics ouverts tels que les rues, les parcs… À l’extérieur le risque est probablement moindre (à condition de ne pas participer à des rassemblements, évidemment), mais ce genre de mesure peut cependant contribuer à limiter la propagation du virus, notamment en minimisant les manipulations des masques (le mettre pour entrer dans un commerce, puis l’enlever, puis le remettre…), qui sont aussi source de contaminations potentielles. En revanche, les approches adoptées sont trop complexes (masque obligatoire dans certaines rues et pas dans d’autres par exemple).

Une chose est certaine : l’immunité collective qui permettrait de ralentir la circulation du virus sera très difficile à atteindre. Dans une population où le virus circule de façon homogène, il faut que 60 à 70 % des gens soient infectés et développent des anticorps neutralisants pour qu’une telle immunité se mette en place. Certes, si la circulation est moins homogène, comme dans le cas du coronavirus SARS-CoV-2, qui semble circuler à bas bruit jusqu’à ce que survienne un événement de super-propagation (grand rassemblement par exemple), ce taux peut être plus bas. Toutefois, même dans les pays les plus durement touchés, comme l’Italie et l’Espagne, nous sommes encore loin d’observer des taux d’infections suffisants. Dans les régions les plus contaminées, au mieux 10 % de la population a été en contact avec le virus. Ailleurs le taux ne dépasse parfois pas 3 %.


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L’autre problème est qu’il est dangereux de laisser circuler le virus dans certains groupes (comme les jeunes par exemple) en espérant ainsi atteindre plus rapidement une immunité collective. En effet, les populations ne sont pas étanches : si l’épidémie se répand dans un groupe, les autres seront progressivement touchés qu’on le veuille ou non. C’est ce qu’on observe : en France, si les taux d’incidence ont augmenté chez les jeunes suite au relâchement des comportements durant la période estivale, cette augmentation est aussi constatée dans les autres tranches d’âge.

C’est juste une question de temps, on le voit bien avec ce qui s’est passé aux États-Unis, en Floride. Pendant 2 à 3 semaines les cas diagnostiqués ont augmenté, mais étant donné qu’ils concernaient des jeunes, les hospitalisations et entrées en réanimation ne se sont pas accrues initialement. Ces deux indicateurs n’ont commencé à bouger que 3 à 6 semaines plus tard. Si on attend d’en arriver là pour agir, il est trop tard. On risque de perdre le contrôle de l’épidémie.

Et il ne faut pas oublier que si les populations dites « à faible risque » sont moins fréquemment victimes de formes sévères, une fraction d’entre elles en développera quand même, ou sera atteinte de formes longues, qui commencent à être décrites par les cliniciens.

En attendant un véritable traitement ou un vaccin, l’unique moyen d’éviter un emballement de l’épidémie est donc de parvenir à maintenir la circulation du virus à un niveau acceptable, sous contrôle, grâce à un dépistage massif et rapide, au suivi des contacts, ainsi qu’au respect des gestes barrières. Un équilibre qui n’est pas facile à maintenir, mais qui constitue notre seule option pour les mois à venir.


Espagne

Ignacio López-Goñi, professeur de microbiologie, Université de Navarre

Durant les heures les plus sombres de la pandémie de Covid-19 – entre la fin du mois de mars et le début du mois d’avril, on dénombrait plus de 900 décès par jour en Espagne.

Les mesures drastiques de confinement ont permis de ramener le nombre de cas confirmés par PCR à un plancher de quelques centaines de nouvelles infections quotidiennes à la mi-juin. Cependant, ces dernières semaines, les autorités espagnoles ont annoncé que le nombre de cas quotidiens augmentait à nouveau de façon significative.

L’évaluation de la situation est complexe, notamment en raison de la difficulté à assurer un suivi précis des données. Pour commencer, il n’existe pas, entre les divers pays touchés par la pandémie, de consensus sur la définition précise de ce que l’on considère comme un cas de Covid-19. Qui plus est, on constate en Espagne d’incompréhensibles divergences entre les données des différentes communautés autonomes espagnoles et celles du ministère fédéral. Il s’avère donc très difficile de se procurer des données actualisées concernant les nombres de cas et de décès à l’hôpital. Or, ce sont les chiffres les plus utiles pour interpréter la situation.

Une chose est sûre : il est impossible de comparer la situation du mois d’avril avec celle d’aujourd’hui. En effet, à l’époque, l’Espagne effectuait peu de tests PCR, et ceux-ci n’avaient pour but que de confirmer le diagnostic des cas symptomatiques, hospitalisés et graves. Pour cette raison, à cette époque nous n’avons été en mesure de détecter que la partie émergée de l’iceberg. Aujourd’hui, cependant, les protocoles de détection ont été resserrés et les contacts de chaque nouveau cas positif sont soumis à des tests, que des symptômes apparaissent chez eux ou non. Ces milliers de tests PCR nous permettent désormais de détecter la partie immergée de l’iceberg.

Pour l’instant, il semblerait qu’il n’y ait pas encore de raison de s’alarmer : le nombre de foyers isolés issus de contaminations par des malades asymptomatiques ne flambe pas. On pouvait s’y attendre, puisque le confinement, qui a duré trois mois, a limité le contact de la majeure partie de la population espagnole avec le virus. Seul un petit pourcentage de personnes y a été exposé. Cependant, bien que la situation ne soit pas dramatique, de nouveaux foyers sont détectés chaque semaine. Cette tendance est donc malgré tout très inquiétante.

Un point rassurant est que pour l’instant, le virus semble relativement stable. Il n’accumule pas de mutations affectant sa virulence. C’est une bonne chose, car on sait que dans certaines pandémies de grippe, des modifications génétiques du virus ont été associées à des secondes vagues plus meurtrières.

Ce qui est inquiétant, en revanche, c’est que nous sommes confrontés à un nouveau virus contre lequel, en principe, la population n’est pas immunisée, ce qui pourrait favoriser la survenue d’une nouvelle vague. Nous ne pouvons pas exclure que certains des foyers détectés aujourd’hui finissent par échapper à tout contrôle et par devenir des sources de problèmes plus importants. C’est pourquoi il est essentiel de renforcer les contrôles.

A couple wearing face masks kiss in Barcelona.
Alors que le confinement y a été l’un des plus stricts d’Europe, l’Espagne connaît la plus forte résurgence de coronavirus de tout le continent. Enric Fontcuberta/EPA

Au niveau individuel, il s’agit de prévenir à tout prix la contagion grâce au port du masque, à la distanciation sociale et à une bonne hygiène, tout en évitant au maximum les espaces clos surpeuplés, où se côtoient de nombreuses personnes sur de longues périodes.

Quant aux autorités sanitaires, elles n’ont d’autre choix que de reprendre l’initiative. Le virus se moque que nous appelions sa propagation une épidémie, une flambée ou une deuxième vague. Il ne reconnaît pas nos frontières, qu’elles soient intérieures ou extérieures. Il nous faut donc de la coordination, du suivi, des quarantaines, et renforcer notre système de santé. Surtout, nous devons à tout prix éviter que le virus ne sature à nouveau nos hôpitaux.

Indépendamment de la survenue ou non d’une deuxième vague, le seul fait que le SARS-CoV-2 vienne s’ajouter à la liste des virus et des bactéries responsables d’infections respiratoires hivernales constitue déjà un très grave problème. Étant donné qu’aucun vaccin ne sera disponible cet hiver, nous devons nous préparer au pire.


Royaume-Uni

Jasmina Panovska-Griffiths, chercheuse and enseignante en modélisation mathématique, UCL

Au Royaume-Uni, 327 798 personnes ont été testées positives pour le coronavirus SARS-CoV-2, lequel avait entraîné 41 449 décès au 26 août. C’est l’Angleterre qui a connu la plus longue période de surmortalité durant la pandémie. La maladie, qui avait déjà frappé l’Europe continentale avant d’arriver en Grande-Bretagne, a affecté très durement le Royaume-Uni. Le pays ne connaît toutefois pas une réaugmentation des cas aussi importante que celle observée actuellement en France et en Espagne.

Après avoir atteint un pic en avril, les nombres de nouveaux cas, d’hospitalisations et de décès ont commencé à diminuer grâce au confinement et à la limitation des contacts physiques. Le nombre de reproduction du virus, le fameux « R » qui indique le nombre de personnes qu’un individu porteur de la maladie va infecter à son tour, a pu passer sous la barre fatidique de 1, le seuil permettant de garder l’épidémie sous contrôle. En conséquence, les mesures de confinement ont été progressivement levées, permettant à partir du mois de juin à la société de recommencer à fonctionner en partie comme avant. Les chiffres des nouveaux cas quotidiens confirmés ont toutefois recommencé à augmenter en juillet. En raison des variations régionales et locales, les estimations actuelles indiquent qu’il n’est pas certain que le nombre de reproduction du virus soit encore inférieur à 1 au niveau national.

En Angleterre, un assouplissement supplémentaire des mesures de confinement avait été initialement prévu après le premier allègement en juin, mais compte tenu des augmentations des nombres de cas quotidiens et de foyers localisés, il avait finalement été reporté au 31 juillet. À la place, le gouvernement a augmenté le nombre de lieux publics concernés par le port du masque obligatoire.

La hausse du nombre de cas confirmés peut être interprétée de trois manières différentes. Il est possible qu’elle corresponde à une seconde vague de l’épidémie de Covid-19. Cette augmentation pourrait aussi traduire une propagation de la maladie par « grappes », sous forme de foyers localisés. Enfin, cet accroissement pourrait être le reflet de l’assouplissement des restrictions liées au confinement, qui avaient permis de briser ce que l’OMS avait qualifié de grande vague de COVID-19 : il s’agirait en quelque sorte de vaguelettes résiduelles, qui continueront à osciller au fil du temps.

Il est encore trop tôt pour pouvoir déterminer à quel scénario le Royaume-Uni est confronté.

Si une deuxième vague survenait, nous devrions observer une forte augmentation des indicateurs de l’épidémie, tels que le nombre de nouvelles infections, d’hospitalisations ou de décès associés au coronavirus. Il convient de garder à l’esprit les quatre dernières pandémies ) - la grippe espagnole de 1918, la grippe asiatique de 1957-8, la grippe de Hong Kong de 1967-8 et la grippe porcine de 2009 - se sont effectivement caractérisées par de tels événements. Le risque est donc bien réel.

People dine at a restaurant in central London.
Le Royaume-Uni fait-il face à une simple résurgence ou à une seconde vague ? La réponse n’est pas encore très claire. Will Oliver/EPA

Actuellement, même si le nombre de nouveaux cas a récemment augmenté au Royaume-Uni, cette hausse ne s’est pas traduite par un accroissement du nombre de décès et d’hospitalisations. Cela peut s’expliquer par le fait que cette croissance s’observe en partie chez les jeunes. La situation est donc différente du début de l’épidémie, car la Covid-19 frappait alors surtout les personnes âgées, qui sont plus exposées au risque de développer une forme sévère de la maladie nécessitant une hospitalisation et qui en décèdent davantage. Le Royaume-Uni a également augmenté sa capacité de dépistage par rapport au début de l’épidémie, ce qui se traduit par une croissance du nombre de cas confirmés.

Les réponses à ces questions sont d’autant plus urgentes à trouver que des écoles ont déjà rouvert en Écosse, et que d’autres rouvriront en Angleterre, au Pays de Galles et en Irlande du Nord le 1er septembre. C’est le premier véritable pas vers une remise en marche plus large de la société, qui permettra aux parents de retourner au travail et de renouer avec une plus grande mixité au sein de la communauté.

Mes récents travaux de modélisation suggèrent que nous pouvons éviter une deuxième vague associée à la réouverture des écoles, parallèlement à cette « réouverture » de la société, à condition de dépister suffisamment de personnes symptomatiques et de retracer leurs contacts efficacement, pour les tester et les isoler si besoin. Cette stratégie de dépistage, traçage et isolement pourrait également fonctionner si en septembre nous devions faire face à des épidémies locales de moindre ampleur plutôt qu’à une deuxième vague.

Quelle que soit la proportion dans laquelle augmenteront les cas de Covid-19, le fait de pouvoir tester un maximum de personnes dès l’apparition des symptômes, de retracer efficacement leurs contacts et d’isoler ceux qui ont été diagnostiqués positifs ou qui présentent des symptômes s’avérera impératif si nous voulons être capable de maintenir l’épidémie sous contrôle au Royaume-Uni, en attendant la mise au point d’un vaccin efficace.


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This article was originally published in English

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