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Sylvie (à g.) et Dominique (à dr.) Mennesson, leur fille Fiorella et leur avocat Patrice Spinosi (au centre) lors d'une conférence de presse à Paris le 5 octobre 2018, jour où la Cour de cassation a demandé son avis à la Cour européenne des droits de l'Homme. Christophe Archambault / AFP

Quel avenir pour les enfants nés par GPA ?

19 ans de procédure. Une durée hors-norme pour une affaire qui ne l’est pas moins, et dont les répercussions sur le droit français se poursuivent. En 2000, les filles de Sylvie et Dominique Mennesson, Fiorella et Valentina, naissent en Californie. Commence alors pour les époux un long parcours du combattant devant les instances judiciaires afin de régulariser l’état civil de leurs enfants. Car les jumelles n’ont pas été mises au monde par Sylvie Mennesson : atteinte d’une malformation congénitale, elle ne peut porter d’enfant, ni donner ses ovocytes.

Fiorella et Valentina ont donc été conçues avec les spermatozoïdes de leur père et des ovocytes donnés par une amie du couple, avec l’aide d’une femme « gestatrice », dans le cadre d’une gestation pour autrui (GPA). Problème : cette pratique, autorisée en Californie, est interdite en France. Après la naissance, les parents se heurtent au refus de l’administration française de transcrire les actes de naissance américains et d’inscrire les nouvelles-nées sur le livret de famille…

Il faudra près de deux décennies de batailles juridiques pour qu’enfin, en octobre 2019, la Cour de cassation tranche en faveur des époux Mennesson, apportant une réponse inédite à cette épineuse question de droit.

Retour sur le dénouement de cette longue saga juridique, qui a fait jurisprudence et permis de nouveaux recours pour les nombreux autres Français dans la même situation. Mais la situation n’est pas réglée pour autant, la législation n’ayant pas encore évolué en conséquence. Les centaines de couples dont les enfants sont nés par GPA doivent-ils craindre un retour en arrière ?

La GPA est interdite en droit français

Diabolisée ou évangélisée, parfois caricaturée ou déformée, la GPA n’a guère quitté la scène socio-judiciaire ces dernières années. Présentée par ses détracteurs comme la reconnaissance de l’existence d’un « droit à l’enfant » (si tant est que l’expression ait un sens…), elle ouvrirait selon eux la porte à l’exploitation systématique du corps des femmes. Pour ses partisans, au contraire, la GPA n’est ni plus ni moins qu’un protocole d’assistance médicale à la procréation parmi d’autres, l’expression la plus entière de l’autonomie de la volonté.

Dans ce contexte de passions cristallisées, il est important de rappeler qu’à ce jour, la GPA demeure strictement interdite en droit français. Cette interdiction est formulée par un texte d’ordre public qui, à ce titre, ne peut connaître aucune exception.

Elle se pratique néanmoins dans divers pays, sous différents régimes et, parfois, au hasard d’un vide juridique. Certains couples français franchissent donc les frontières pour en bénéficier. Problème : lorsqu’ils reviennent en France, ils doivent régulariser l’état civil du nouveau-né, comme c’est le cas pour tout enfant ayant vu le jour à l’étranger.

Pour ce faire, il leur faut obtenir la transcription de l’acte de naissance dressé à l’étranger sur les registres de l’état civil français. C’est cette question de la transcription qui est à l’origine du combat mené par les Mennesson, à qui de nombreux autres couples ont emboîté le pas. Rappelons brièvement quelques étapes clés de ce feuilleton judiciaire.

Transcription pour le père, adoption pour la mère

Par une décision du 17 décembre 2008, la Cour de cassation avait une première fois refusé une telle transcription. Cette jurisprudence s’est vue maintes fois réaffirmée, jusqu’en 2014, année où la France a été condamnée à l’unanimité par la Cour européenne pour violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, plus précisément du droit à la vie privée des enfants.

Les juges strasbourgeois ont estimé que le refus par la France de reconnaître ces enfants comme ceux de leurs parents au sein de son ordre juridique porte atteinte à leur identité dans la société française et, qu’en empêchant l’établissement de ce lien sur le sol national, la France dépasse la marge d’appréciation que la Cour accorde à ses États membres.

L’article 3,§ 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant précise que

« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »

Depuis cette décision, la Haute juridiction acceptait une transcription partielle de l’état civil, pour le père uniquement, dès lors que les faits traduisaient la réalité biologique. En d’autres termes, la Cour de cassation acceptait de transcrire le nom du père sur l’acte d’état civil français parce que ce dernier était génétiquement lié à l’enfant.

En revanche, elle refusait de transcrire le nom de la mère d’intention, au motif que cette dernière n’ayant pas accouché de l’enfant, le fait inscrit dans l’acte de naissance étranger ne traduisait pas la réalité biologique. Et il en est de même pour le second père, celui qui n’avait pas fourni ses gamètes, en cas de couple de même sexe.

Cependant, la GPA peut prendre diverses formes, dont toutes ne s’accordent pas d’une telle application du critère d’un lien biologique puisque, dans certains cas, la mère d’intention a fourni ses propres ovocytes. La « réalité biologique » selon la Cour de cassation ne concerne donc que le seul fait de la naissance, l’enfant étant dans certains cas génétiquement lié à sa mère d’intention.

Conséquence : cette prise de position, si elle permettait la transcription de l’acte concernant le père – censé être juridiquement rattaché à l’enfant – n’apportait aucune solution aux hypothèses dans lesquelles l’acte de naissance indiquait la mère (qui avait parfois fourni l’ovocyte et se trouvait donc génétiquement rattachée à l’enfant) ou le père d’intention comme second parent au sens légal du terme, puisqu’ils ne sont pas biologiquement liés à l’enfant.

Dans une série d’arrêts rendus en 2017, la Cour de cassation, admettant la transcription partielle de l’acte de naissance étranger à l’égard du père, mais pas à l’égard de la mère d’intention, voyait dans l’adoption le moyen d’établir un lien de filiation entre l’enfant et le second parent. Selon elle

« l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre les enfants et l’épouse de leur père ».

Telle était la situation à laquelle se sont trouvés confrontés les époux Mennesson. Ces derniers ont alors sollicité une demande de révision de leur procès en saisissant la cour de réexamen des décisions civiles, instituée par le décret du 16 novembre 2016.

Une décision inattendue

Avant de statuer, la Cour de cassation a saisi la Cour européenne pour une demande d’avis, conformément au protocole n° 16 de la Convention, entré en vigueur le 1er août 2018.

La Cour européenne a répondu dans son avis du 10 avril 2019. Elle y développe deux points. D’une part, elle retient que le droit à la vie privée de l’enfant impose la reconnaissance d’un lien de filiation entre l’enfant et sa mère d’intention, désignée comme mère légale dans l’acte légalement établi à l’étranger. D’autre part, elle affirme que les modalités de cette appréciation relèvent de la marge d’appréciation des États, et qu’elle peut se faire par d’autres moyens, dont l’adoption, dès lors que les modalités retenues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre.

De façon inattendue, le 4 octobre 2019, la Cour de cassation, écartant l’hypothèse de l’adoption, a finalement autorisé la transcription des actes de naissance des enfants Mennesson dans les actes de l’état civil français. Pourquoi un tel revirement ?

L’arrêt de la Haute juridiction n’est pas rédigé en termes de principe. Tout au contraire, il ressort de son analyse que la durée de la procédure, ancienne d’une quinzaine d’années, de même que l’âge des enfants, devenus majeurs, ont emporté la décision des hauts conseillers.

On aurait pu penser que cette motivation sous-entendait que cette décision était destinée à demeurer exceptionnelle. Pourtant deux mois plus tard, contre toute attente, dans une autre affaire concernant cette fois-ci un couple d’hommes, la Cour a réitéré la solution du 4 octobre, ordonnant la transcription de l’acte de naissance étranger. La résolution de la question de l’état civil des enfants nés de GPA semble donc passer par la jurisprudence, d’autant plus que les aspects législatifs sont encore débattus.

Des divergences entre législatif et judiciaire

Le 3 octobre 2019, à la veille de la décision Mennesson, l’Assemblée nationale adoptait un amendement relatif à l’obligation de retranscrire les actes d’état civils étrangers conformes au droit du pays d’origine. Le 9 octobre, ledit amendement était rejeté en seconde lecture.

Le 7 janvier de cette année, le Sénat a voté un amendement empêchant la transcription totale de l’acte de naissance étranger. Revenant à la jurisprudence antérieure aux arrêts du 18 décembre, seule la transcription du nom du parent génétiquement lié à l’enfant serait possible, puisque ce texte établirait que

« Tout acte ou jugement de l’état civil des Français ou des étrangers fait en pays étranger établissant la filiation d’un enfant né à l’issue d’une convention de gestation pour le compte d’autrui ne peut être transcrit sur les registres en ce qu’il mentionne comme mère une femme autre que celle qui a accouché ou lorsqu’il mentionne deux pères. »

Le second alinéa de ce texte permettrait l’établissement de la filiation à l’égard de la mère ou du père d’intention au moyen de l’adoption.

Cet amendement, s’il était maintenu, rendrait impossible le maintien de la jurisprudence actuelle. Or, la conformité du texte aux exigences de la Cour européenne nécessiterait que l’adoption réponde aux critères d’effectivité et de célérité mentionnées dans l’avis du 10 avril 2019. Outre le fait que l’adoption nécessite le délai inhérent aux jugements, elle n’est possible en droit interne qu’à la condition que les parents soient mariés et que le parent consente à cette adoption. Autant d’aléas à la mise en œuvre d’une telle procédure.

Quel avenir pour les enfants nés par GPA ?

La question de la situation des enfants nés d’une GPA effectuée à l’étranger ne doit pas être confondue avec celle d’une éventuelle admission de la GPA par le droit français.

Les arrêts du 18 décembre 2019, qui constituent le droit aujourd’hui en vigueur, ne doivent pas être compris comme un infléchissement de la France vis-à-vis de la GPA : la Cour de cassation n’a pas ce pouvoir. Ils doivent plutôt être entendus comme le respect de la Convention européenne et la reconnaissance de la primauté de l’intérêt de l’enfant. Il en serait de même d’une loi qui assurerait aux enfants nés d’une GPA réalisée à l’étranger une filiation sécurisée, établie à l’égard de leurs deux parents.

Dans ce contexte, rappelons que la Conférence de La Haye de droit international privé, une organisation intergouvernementale mondiale visant à établir des instruments juridiques multilatéraux, mène actuellement des travaux évaluant la possibilité d’établir des règles de droit international relative à la reconnaissance de la filiation dans des situations frontalières. Certains craignent qu’ils n’aboutissent à l’obligation pour la France de légaliser la GPA même si, comme l’a fait savoir le gouvernement, il est en aucune façon question de forcer les États adhérents à modifier leur législation interne.

Il n’est cependant nul besoin de consulter les augures pour réaliser que la question d’une éventuelle élaboration d’une GPA « à la française » se posera à brève échéance, en raison de la multiplication des possibilités à l’étranger et de l’accroissement du nombre de Français recourant à cette pratique-là où elle est permise. Le refus de la France d’autoriser toute forme de GPA trouve aujourd’hui encore sa justification dans l’éthique. Néanmoins, les exemples d’États ayant instauré une GPA respectueuse des droits fondamentaux sont autant d’incitations à la discussion.

Ces questions importantes, dont les réponses auront un impact important sur la vie des enfants nés par GPA, nécessitent l’ouverture d’un débat dépassionné, conforme aux normes des travaux scientifiques. Il s’agit désormais de prendre acte non seulement des données produites par les divers spécialistes impliqués dans la réflexion bioéthique, mais aussi de tenir compte des réalités internationales.

Si on accepte de les considérer, celles-ci apportent un éclairage puissant sur ce qui pourrait être, ainsi que sur ce qui ne devrait jamais être. Cette démarche responsable donnerait à la France davantage d’écho au plan international pour s’opposer aux dérives inadmissibles qui peuvent survenir, et qu’elle ne peut enrayer seule.

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