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Quel nouveau cadre comptable pour répondre aux défis environnementaux ?

De nouveaux principes de comptabilité sont aujourd’hui nécessaires pour élargir la vision de l’entreprise au-delà de l’intérêt des acteurs du marché. Wikimedia Commons, CC BY-SA

Travailler à l’harmonisation d’une comptabilité qui intègre le développement durable nous ferait-il passer à côté de l’essentiel ? Parmi les propositions récentes en matière de standardisation et de transparence, on retrouve notamment celle de la Fondation IFRS (en français, standards internationaux pour établir des rapports financiers). Elle envisage la création d’un organisme de standardisation du reporting de développement durable qu’elle nommerait Sustainability Standards Board, ou SSB.

Cette vision du développement durable reste, comme souvent, déconnectée des réalités des limites planétaires et des fondations sociétales. Celles-ci se trouvent notamment synthétisées dans la théorie du donut développée par l’économiste britannique Kate Raworth en 2017. Dans son schéma, elle explique que notre impact sur l’environnement doit se situer en dessous des limites de ce que la planète peut supporter, mais qu’on ne peut descendre plus bas qu’un certain seuil de satisfaction des besoins sociaux.

Une comptabilité du développement durable

En effet, d’après la fondation IFRS,

« Le SSB concentrerait initialement ses efforts sur les informations relatives à la durabilité les plus pertinentes pour les investisseurs et les autres acteurs du marché. »

Or, les investisseurs ne représentent qu’une minorité de visions du monde, et les rapports de développement durable ne doivent et ne peuvent pas être réduits à leur point de vue unique. Pour prendre activement soin de notre planète, nous devons favoriser une collaboration étroite et inclure des voix multiples provenant d’organisations à but non lucratif, d’entreprises, d’agences gouvernementales, d’organisations non gouvernementales (ONG), d’associations industrielles, d’organismes professionnels et d’établissements d’enseignement.

De nouveaux principes de comptabilité et de nouvelles formes de comptes semblent donc nécessaires. Certaines initiatives voient d’ailleurs le jour. Par exemple, le cadre ACT (Assessing low Carbon Transition, en français, « évaluer une transition vers moins de carbone ») développé par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et l’ONG CDP, se concentre sur « l’évaluation de la crédibilité des stratégies climatiques des entreprises et la cohérence de leurs engagements » pour « continuer à aller de l’avant et adopter des trajectoires d’émissions à long terme de plus en plus ambitieuses, nous mettant sur la voie des 1,5/2 °C ».

De même, l’Institut de recherche des Nations unies pour le développement social (Unrisd) a récemment développé une approche à trois niveaux d’indicateurs transformatifs. Le chercheur américain Bill Baue, qui a rédigé le rapport correspondant, définit ce concept comme l’ajout « d’éléments transcontextuels de pratiques et de politiques de mise en œuvre aux indicateurs normatifs, afin de refléter un changement suffisant ».

D’autres cadres encore, tels que le SDG Action Manager, publié par le B Lab et les Nations unies, encouragent l’« action » plutôt que le simple reporting.

En résumé, ces initiatives visent à ce que nos comptes reflètent la durabilité telle que définie par et via les limites planétaires et les fondations sociales. Dans ces cadres, la valeur ne peut être créée que lorsque les résultats d’un modèle économique maintiennent les stocks et les flux de capitaux dans les seuils acceptables. C’est ce qu’on appelle la system value (valeur systémique).

Sept générations

Il s’agit par la même de placer aux cœurs des travaux le concept d’organisation durable, « une organisation qui, à la fin de la période comptable, ne laisse pas la biosphère en plus mauvais état qu’elle ne l’était au début de la période comptable », pour reprendre une définition établie par une équipe de chercheurs dès 1993. Une définition qui, par ailleurs, met l’accent sur la responsabilité collective des comptes.

Dans un contexte d’organisation durable, la gérance environnementale et sociale devient le fait de prendre activement soin de la planète et des êtres qui y vivent. Cela nécessite donc bel et bien des approches différentes de celles que nous avons adoptées jusqu’à présent.

Ces approches pourraient s’inspirer, par exemple, des schémas indigènes traditionnels de la gouvernance, comme la pensée des sept générations. Celle-ci considère que « les décisions que nous prenons aujourd’hui devraient aboutir à un monde durable dans sept générations à venir ». À l’heure actuelle, les paradigmes comptables reporting semblent en effet loin d’aborder les choses par le prisme des générations futures.


Cet article a été rédigé par un collectif de chercheurs dans le cadre d’un « speed blogging » collaboratif organisé en marge de la conférence académique en ligne CSEAR France/EMAN Europe 2021. Le speed blogging consistait à écrire dans un temps limité, en collaboratif, un article sur le thème de la conférence « la comptabilité du développement durable dans l’anthropocène ». À l’issue de cet évènement, 3 articles ont été co-écrits par des chercheurs confirmés, juniors et doctorants.

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