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Quelle acceptabilité sociale des technologies disruptives ?

Le smartphone s’est imposé lorsque son utilisation s’est simplifiée. Andy Buchanan / AFP

À la fin des années 1990, le terme « innovation disruptive » a été popularisé par l’économiste américain Clayton Christensen dans son livre Le dilemme de l’innovateur. Il a rapidement été adopté en raison de la forte croissance des nouvelles industries technologiques, axée sur l’innovation.

Depuis lors, c’est aussi une sorte de mot à la mode qui a fait son entrée dans notre vie quotidienne et surtout dans le monde des affaires. Le terme « disruptif » désigne aujourd’hui de nombreuses choses, mais il est surtout utilisé pour décrire le concept général de toute innovation qui bouleverse un système, une industrie ou un marché existant.

Prenons, par exemple, la création des automobiles en tant que remplacement innovant des véhicules tirés par des chevaux. Les premières automobiles étaient fabriquées comme des articles de luxe coûteux. Elles n’ont pas affecté le marché des méthodes de transport antérieures, et ce n’est que lorsque le modèle T de Ford, peu coûteux, a été introduit en 1908 que la technologie est devenue perturbatrice. À cet égard, la production en masse d’une automobile abordable peut être considérée comme l’innovation perturbatrice, plus que l’automobile elle-même.

L’acceptabilité sociale comme un compromis

Les technologies innovantes peuvent ainsi ouvrir de nouveaux marchés technologiques, faire émerger de nouvelles valeurs et pratiques, et transformer les technologies existantes. Cependant, lorsqu’une technologie innovante émerge, il peut être très difficile de prédire l’importance qu’elle prendra. En effet, ces dernières sont généralement imprévisibles, sujettes à l’échec et souvent non rentables.

C’est pourquoi l’industrie et les gouvernements hésitent à investir dans les technologies innovantes. Ce problème découle en partie du manque de méthodes systématiques et scientifiques pour évaluer les technologies futures, ainsi que de la complexité intrinsèque que présentent souvent les nouvelles technologies.

Dès lors, se pose la question de l’acceptabilité sociale de du futur utilisateur d’une technologie disruptive.

On identifie quatre principaux facteurs de l’acceptabilité sociale : l’utilité (la correspondance entre les besoins de l’utilisateur et la fonctionnalité), la facilité d’utilisation/la convivialité (la capacité à utiliser la fonctionnalité dans la pratique), la « sympathie » (évaluation affective) et le coût (à la fois les coûts financiers et les conséquences sociales et organisationnelles de l’achat d’un produit).

L’adhésion des utilisateurs pour aider à franchir le gouffre qui sépare le marché initial du marché grand public ne va pas de soi. En particulier, les technologies innovantes sont généralement (et peut-être intrinsèquement) peu pratiques au départ, en raison de leur fonctionnalité limitée et de leur immaturité.

La voiture électrique est un bon exemple. Sur le principe, une large partie de la population est prête à adhérer à l’idée d’acheter une voiture électrique. Or, si l’autonomie est trop limitée d’une part, et le nombre de bornes de recharges insuffisant d’autre part, il est peu probable que l’on soit prêt à sauter le pas pour en acheter une. Il faut donc trouver le juste compromis entre la technologie nouvelle, et sa facilité/convivialité dans son utilisation. Par conséquent, les concepteurs devraient plutôt se demander comment faire en sorte que la technologie soit la plus acceptable possible pour être ensuite utilisée.

En outre, la précision, le prix, la marque, l’apparence physique, la sécurité, la fonction, l’interopérabilité et la robustesse sont autant de facteurs indépendants qui influent sur l’acceptation par les utilisateurs.

L’acceptation de l’utilisateur est le résultat d’un compromis entre une variété des facteurs évoqués (besoins fondamentaux, aspects cognitifs, aspects physiques, aspects sociaux, caractéristiques démographiques et expérience technique des utilisateurs). Ce de point de vue, le téléphone portable en est un parfait exemple. Si aujourd’hui son adoption est massive, son utilisation au départ était loin d’être évidente, accessible, sécurisée et « user friendly ».

L’influence des adopteurs précoces

Le domaine des technologies de l’information évolue rapidement, et un certain nombre de développements et d’innovations technologiques ont eu lieu récemment. L’acceptation des technologies innovantes par les utilisateurs est donc une préoccupation plus importante que jamais.

Aujourd’hui, les entreprises, les développeurs et les chercheurs en informatique déploient de nombreux efforts pour évaluer les caractéristiques et les fonctions des produits pour répondre aux besoins des utilisateurs et d’augmenter le taux d’acceptation.

Sur ce point, la structure du réseau social des utilisateurs cibles peut être composée de différents types d’individus interconnectés ayant des comportements d’adoption différents. Un groupe particulier d’utilisateurs peut être très influent pour accélérer l’adoption et l’acceptation des innovations : les adopteurs précoces.

L’adhésion d’une large partie de la population à l’idée d’acheter une voiture électrique ne suffit pas à imposer cette technologie. Jack Taylor/AFP

Ces personnes servent de modèles et démontrent les avantages des nouveaux produits à d’autres utilisateurs potentiels, encourageant ainsi leur adoption ultérieure. Ils ont tendance à diffuser des informations sur les nouveaux produits au sein de leurs réseaux sociaux par le biais de la communication interpersonnelle, qui constitue un facteur clé dans la diffusion des technologies innovantes.

Étant socialement actifs, et en particulier via les sites de réseaux sociaux et autres canaux de médias numériques, ils peuvent diffuser des informations et influencer un large éventail d’adoptants potentiels. De ce point de vue, les influenceurs présents sur les réseaux sociaux jouent un rôle de plus en plus déterminant, en particulier auprès des jeunes.

Pour favoriser l’acceptabilité sociale des technologies disruptives, les jeunes – en tant qu’adopteurs précoces – peuvent ainsi jouer un rôle important. Étant donné que les juniors sont souvent plus à l’aise avec les technologies que les seniors, des systèmes de mentorat inversé (reverse mentoring) peuvent être mis en place dans les entreprises où, finalement, c’est le jeune employé qui va transmettre son savoir à un salarié avec de l’expérience. Un autre levier consiste à développer les outils de gaming pour faciliter l’acquisition de nouvelles compétences concernant les technologies disruptives, et ce dans une situation ludique et confortable.


Cet article a été rédigé sur la base de l’intervention de l’auteur à la Conférence DTA organisée en juin dernier par l’EM Normandie.

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