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Quelle place pour les femmes dans l'espace public?

Quel droit à la ville pour les femmes? Pexels

Les femmes peuvent elle occuper l’espace public comme le font les hommes ? L’espace public est-il véritablement ouvert à toutes et à tous ? Et quelles sont les expériences qu’en font les femmes ? Telles sont les questions qu’abordent une déambulation artistique et collective, nommée Public·ques !, une expérience sensible qui questionne l’égalité des sexes dans les espaces publics et qui aura lieu le 18 mai prochain à l’IEA de Paris, dès 17h30.

Cette déambulation artistique est le fruit de la rencontre entre la chorégraphe Annick Charlot, le metteur en scène multimédia Pierre Amoudruz, et moi-même, sociologue. Elle repose sur un procédé d’écriture chorégraphique et sonore qui invite les spectateur·trices, en connivence avec une vingtaine de complices, à interroger leur relation à l’espace, tout comme à éprouver, voire détourner les spécificités qui pèsent sur les corps féminins.

Ce projet est inspiré des enquêtes issues des sciences sociales, et plus particulièrement de mes travaux qui se sont attachés à déconstruire l’association faite entre espaces publics, féminité et danger, et à souligner la construction sociale qui entoure la notion de vulnérabilité des corps féminin. Un tel dialogue entre démarche artistique et recherche en sciences sociales permet de favoriser autant la création artistique que les nouvelles formes de diffusion des travaux académiques.

La légitimité des femmes dans les espaces publics

Parler de genre et d’espace public c’est poser la question de la place légitime des unes et des autres dans les espaces publics, ce que des géographes ont appelé le droit à la ville.

Cette question a d’ailleurs déjà fait l’objet de revendications, dès le XIXème siècle en Angleterre. A l’époque, les femmes de classes supérieures entendaient pouvoir sortir et consommer sans être interpellées et considérées comme des femmes faciles. Ce sera ensuite un enjeu en France tout au long des années 1970-1980, notamment autour des débats sur la législation sur le viol. Les revendications récentes montrent que ce qui a longtemps paru acceptable, comme des remarques, des attouchements, n’est désormais plus tolérable.

La compagnie Acte investit l’espace public. date ? compagnie Acte

Vers une géographie féministe

Dès les fin des années 1960, des travaux de sociologues comme Erving Goffman, puis après lui et de façon plus poussée Carol Gardner, ont mis en évidence que pour les femmes, les règles usuelles d’interaction dans les espaces publics – celles qui veulent qu’on s’ignore poliment, qu’on garde une certaine distance sociale qui ne relève pas de l’intime, – sont régulièrement mises à mal par des commentaires, des remarques sur le corps ou la sexualité, par des attouchements non consentis, voire des agressions sexuelles.

La géographie féministe a mis en évidence la dimension sexuée des espaces et de la mobilité, en insistant sur l’expérience que font les femmes du sexisme et des violences, et le rôle que jouent ces dernières dans les assignations spatiales et sexuées.

Un happening dans l’espace public, par la compagnie Actes. Min Tang-Min

Une idéologie ?

Les études ainsi réalisées montrent que les rapports de genre produisent de la différenciation spatiale en définissant des territoires masculins, féminins ou mixtes, en associant le féminin aux espaces domestiques ou à leur proximité, et le masculin aux espaces publics.

Par ailleurs, la gestion du danger à l’extérieur du foyer et l’apprentissage des moyens pour y faire face apparaissent comme des éléments centraux de la construction de l’identité féminine, du fait d’être une femme. Les femmes sont amenées à mettre en œuvre des stratégies et des tactiques pour pouvoir articuler leur désir de sortir et être autonomes et leur perception du danger, notamment le soir.

Cette perception du danger peut être considérée comme largement construite. En effet, il existe un paradoxe de taille : les femmes sont plus nombreuses à déclarer avoir peur de l’extérieur quand bien même elles sont moins souvent victimes d’agression que les hommes dans les espaces publics et qu’elles sont, comme l’ont aussi souligné les recherches féministes, le plus souvent victimes d’hommes qu’elles connaissent. Elles auraient donc peur de crimes dont elles seraient relativement épargnées.

« Ne sors pas seule après 20h ! »

Cette association entre espaces publics et danger n’est pourtant pas sans conséquence. Une majorité de femmes met en œuvre des stratégies d’évitement, comme ne pas rentrer seules après une certaine heure, éviter des espaces considérés comme dangereux, faire attention à ne regarder personne, etc.

Les géographes féministes ont insisté également sur l’apprentissage différencié et la socialisation sexuée des usages de l’espace. Les petites filles sont davantage restreintes dans leurs mouvements, davantage chaperonnées. Plus grandes, il ne leur est pas interdit de sortir mais leurs parents leur font de multiples recommandations, leur transmettant l’image de danger des espaces publics.

Elles développent un sentiment de vulnérabilité dans les espaces publics, ce qui affecte de façon conséquente la perception qu’elles en ont et les pratiques qu’elles en ont. De façon circulaire, cela contribue à donner aux espaces publics des contours masculins, surtout de nuit.

Réaffirmer des rapports de genre

Qui plus est, les statistiques policières ne recensent pas le continuum d’actes effectifs – des remarques, des sifflements, des interactions trop intimistes avec des inconnus, des agressions sexuelles – qui rappellent aux femmes les risques de subir des violences, en tant que femme.

Il s’agit de comprendre que loin d’être « anodins », il y a de nombreux actes matériels qui rappellent aux femmes qu’elles sont vulnérables dans l’espace public « en tant que femmes ». Celles-ci ont incorporé les discours qui les construisent comme « femmes », comme « vulnérables » et comme physiquement impuissantes, en particuliers face à la violence masculine,

En ce sens, la vulnérabilité aux violences, notamment les violences sexuelles, loin d’être naturelle, évidente, est au contraire le fruit d’une construction sociale constamment réactualisée par l’usage de la rue, les représentations et les pratiques dans les espaces publics, où existent diverses interactions potentiellement violentes auxquelles les femmes sont confrontées quotidiennement, mais qui ne seront jamais enregistrées par les statistiques officielles.

Expérience conduite en avril 2016 par des étudiantes de l’ESC Dijon.

Femmes et hommes dans l’espace public

Les résultats récents issus de l’enquête VIRAGE menée à l’Ined sur les violences et les rapports de genre indiquent ainsi que si les hommes risquent davantage d’être confrontés à des insultes ou des bagarres dans les espaces publics, les femmes, elles, sont davantage la cible d’insultes et de violences sexistes et sexuelles. Les plus jeunes sont par ailleurs largement exposées à ce que la sociologue Amandine Lebugle a défini comme la « drague importune ».

Le fait d’être sifflée, interpellée etc., n’est certes pas « violent » en soi ou n’est pas considéré comme portant directement préjudice, mais renvoie de façon systématique les femmes à leur seule apparence physique – ce qui constitue en soi une violence symbolique. Et leur rappelle, de façon plus insidieuse, qu’en tant que femmes elles s’exposent lorsqu’elles déambulent dans les espaces publics.

Les insultes entre inconnus dans les espaces publics.

Des pratiques différenciées de la ville

Comme l’avait déjà montré l’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff), ces atteintes généralement considérées les moins graves ont des conséquences significatives sur les pratique des femmes dans les espaces publics.

Qu’elles se présentent ou pas comme craintives, les femmes, toutes origines confondues mettent en œuvre des précautions – réfléchir à sa tenue en fonction de l’heure où on va rentrer, éviter telle ou telle rue, tel café etc – qui participent de la reproduction de la ségrégation sexuée et de l’idée selon laquelle les femmes ne sont tolérées dans les espaces publics que dans certaines circonstances (la journée pour faire ses courses ou amener ses enfants).

Les critiques portées par les recherches féministes insistent alors sur la nécessité de mieux intégrer les expériences féminines dans la fabrique de la ville, notamment en prenant en considération les pratiques différenciées.

Intégrer une perspective de genre favoriserait ainsi une meilleure inclusion de la diversité des pratiques et des usages des espaces publics.

La compagnie Acte à l’œuvre, à Paris. Compagnie Acte

Partager l’espace public ?

Aujourd’hui, on est passé d’une réflexion centrée sur les violences interpersonnelles, en termes de sécurité, vers une réflexion plus large sur le genre et la ville, qui intègre également des questions sur l’environnement construit ; on discute plus largement du droit à la ville des hommes et des femmes.

C’est cette évolution que Public.ques questionne, via une « déambulation artistique et sonore » : une balade à la fois introspective, collective, chorégraphiée et connectée pour éprouver ensemble les inégales libertés des femmes et des hommes. Ainsi, aux réflexions sur les entraves que connaissent les femmes dans les espaces publics, la déambulation ajoute des interrogations sur la façon dont les usages des espaces reflètent la division sexuée du travail. De même, elle considère les espaces publics comme lieu de contestations, de revendications ou de négociation des questions liées aux inégalités entre les sexes.


La déambulation qui aura lieu au départ de l’IEA de Paris, 17 quai d’Anjou,le samedi 18 mai de 17h30 à 20h30 sera suivie d’un temps de discussion et de retour d’expérience avec les équipes artistiques et scientifiques ainsi que d’un verre à partager en Mairie du 4e. Inscription obligatoire dans la limite des places disponibles.

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