Vous avez probablement déjà voyagé à bord des rames « Régiolis », de plus en plus présentes sur nos lignes ferroviaires. Leur principal atout ? Leur polyvalence. En configuration standard, ces trains circulent à la fois sous caténaires, en mode électrique, et sur les lignes non électrifiées, en mode diesel.
La famille Régiolis comprend également plusieurs autres versions, déjà en service ou en développement : une version électrique capable de circuler sous différentes tensions ; une version au biocarburant, testée en 2021 ; une version hybride électrique-diesel-batterie, en service commercial depuis 2023 ; et une version bi-mode électrique-hydrogène, dont la mise en service commerciale est prévue pour 2026.
Les Régiolis sont ainsi capables de circuler sur l’ensemble du réseau ferroviaire, qu’ils soient électrifiés ou non, évitant ainsi l’utilisation de locomotives ou automotrices diesel sous caténaires pour les trajets qui ne seraient que partiellement électrifiés. Avant 2014, la ligne Paris-Granville était, par exemple, entièrement desservie par des rames diesel X TER. Aujourd’hui, grâce à l’introduction de rames Régiolis, les trains circulent en électrique depuis Montparnasse jusqu’à Dreux, puis poursuivent leur trajet jusqu’en Normandie en puisant dans leur réservoir de carburant.
En 2023, les émissions mondiales de dioxyde de carbone, principal contributeur au changement climatique, ont atteint 37,4 milliards de tonnes, dont près d’un quart est imputable au secteur des transports. Parallèlement, la pollution atmosphérique, principalement causée par des polluants tels que les particules fines, le dioxyde d’azote et l’ozone, est responsable de près de 9 millions de décès prématurés chaque année dans le monde.
Le transport par le rail présente des avantages indéniables. Selon le rapport récent de l’ERFA, association européenne du Fret ferroviaire, véhiculer des marchandises par le rail consomme six fois moins d’énergie, émet neuf fois moins de gaz à effet de serre, est responsable de huit fois moins de pollution atmosphérique pour des coûts douze fois moindre pour la société par rapport au routier.
Néanmoins, bien qu’il soit l’un des modes les plus vertueux, le rail reste responsable de l’émission de près de 100 millions de tonnes de CO₂ chaque année dans le monde, en grande partie à cause du diesel qui représente 54 % de l’énergie consommée (et même 75 % pour le fret).
Comment décarboner davantage encore ce mode de transport ? Quelles technologies privilégier pour remplacer le diesel ? Et surtout, à quel coût ?
Le coût de la décarbonation du ferroviaire
Nous proposons, dans nos travaux, une méthodologie exhaustive d’évaluation du coût sociétal (TSC, total social cost) englobant le coût total de possession (TCO, total cost of ownership) et le coût externe total (TEC, total external cost). Il ne s’agit donc pas seulement de considérer les coûts directs liés à l’acquisition et à l’exploitation du matériel roulant, mais aussi d’intégrer les externalités, ces coûts indirects, souvent cachés, qui pèsent sur la société.
[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]
Le coût total de possession se décompose en deux éléments principaux. D’une part, le coût d’investissement, qui comprend les frais liés à l’acquisition du matériel roulant ou de l’infrastructure, les subventions potentielles, ainsi que la valeur résiduelle du matériel roulant, c’est-à-dire sa valeur de revente à la fin de la période considérée. Bien que ces montants soient souvent élevés, ils peuvent néanmoins être amortis sur le long terme. D’autre part, les coûts d’exploitation, qui incluent les dépenses liées à l’énergie, à l’utilisation du réseau (sillon ferroviaire), à la main-d’œuvre, aux assurances et aux taxes. Ces coûts sont récurrents et peuvent varier en fonction de l’intensité d’utilisation du réseau.
Le coût total externe, quant à lui, englobe les coûts liés au changement climatique, à la pollution de l’air et ses impacts sur la santé, à la pollution sonore, source de nuisances importantes pour les riverains, aux accidents, engendrant des dommages matériels et humains, ainsi qu’aux émissions générées en amont lors de la production de l’énergie et de la fabrication du matériel roulant.
Enfin, nous intégrons à notre analyse le coût d’abattement, indicateur clé de l’efficacité économique des différentes alternatives décarbonées. Ce coût représente le montant nécessaire pour réduire les émissions d’une tonne CO2. Plus le coût d’abattement est faible, plus l’alternative est économiquement avantageuse.
Plusieurs alternatives
Nous avons mené une étude comparative de quatre alternatives sur une ligne régionale en Nouvelle-Aquitaine, où les trains circulent actuellement au diesel en raison d’une électrification partielle du réseau.
La première option envisagée est l’électrification complète de la ligne, permettant ainsi l’exploitation de trains 100 % électriques. Bien que cette solution offre des performances élevées et une réduction significative des émissions, elle nécessite néanmoins un investissement initial important. La deuxième option repose sur l’utilisation de trains bimodes électrique-hydrogène. Capables de circuler en mode électrique sous caténaire, ils peuvent basculer en mode hydrogène sur les portions de ligne non électrifiées.
La troisième option, variante de l’option précédente, consiste à utiliser des trains bimodes électrique-batterie. Enfin, la dernière option étudiée est celle des trains fonctionnant exclusivement au biocarburant. Cette solution présente l’avantage de réduire l’empreinte carbone sans nécessiter de modifications majeures de l’infrastructure existante.
Les trains bi-modes, le bon compromis ?
En fonction du type de coût pris en compte, les différentes solutions ne présentent pas toutes les mêmes avantages.
Du point de vue du coût total de possession, c’est-à-dire le coût supporté par l’opérateur ferroviaire, l’alternative bi-mode électrique-batterie se révèle la plus avantageuse, suivie de près par l’option biocarburant. En revanche, l’alternative entièrement électrique présente un coût relativement élevé, principalement en raison des charges élevées imposées par le gestionnaire d’infrastructure pour l’utilisation du sillon ferroviaire. Contrairement aux autres alternatives, cette option inclut une redevance fictive permettant de facturer à l’opérateur l’électrification de la ligne proportionnellement à taux son utilisation. Le sillon ferroviaire inclut également le coût de l’énergie électrique, qui, contrairement au diesel, à l’hydrogène ou aux biocarburants, n’est pas directement supporté par le transporteur. Enfin, l’alternative bi-mode électrique-hydrogène affiche un coût total de possession particulièrement élevé, principalement en raison des investissements substantiels requis pour le matériel roulant.
Du point de vue du coût externe total, c’est-à-dire le coût des externalités supporté par la société, les alternatives électriques et bi-modes affichent un avantage net grâce à l’absence quasi totale de polluant atmosphérique et de gaz à effet de serre lorsque le matériel est en circulation. L’utilisation de biocarburants, bien qu’apportant une amélioration par rapport au diesel, permet dans une moindre mesure de réduire ces coûts externes.
Les résultats de l’analyse de ce cas d’étude mettent en avant un coût d’abattement socioéconomique négatif pour l’ensemble des alternatives décarbonées, un bénéfice donc pour la société. L’alternative bi-mode électrique-batterie présente le coût d’abattement le plus bas, malgré un investissement initial conséquent, soulignant un équilibre entre coûts économiques et bénéfices socio-environnementaux. L’option électrique-hydrogène présente un coût d’abattement sociétal plus élevé en raison de coûts initiaux et d’exploitation supérieurs. Cependant, elle offre des perspectives intéressantes à long terme, notamment en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le choix de l’électrique présente, lui aussi, un coût d’abattement négatif, soulignant également sa pertinence économique. Ce coût est néanmoins plus important que pour les deux premières alternatives. Les biocarburants présentent, eux, des résultats mitigés. Bien que les coûts d’abattement soient relativement bas, l’impact environnemental reste significatif en termes de pollution de l’air et d’émissions de gaz à effet de serre. De plus, le coût de possession est comparable à celui du diesel, ce qui limite son attractivité économique.
Il reste néanmoins important de préciser que les conclusions présentées ci-dessus sont uniquement valables pour le cas d’usage analysé, un cas qui avantage les solutions bimodes dans la mesure où une large partie de la ligne est déjà électrifiée. L’architecture du réseau et la structure du marché de la zone géographique étudiée influençant de manière significative le choix de l’alternative décarbonée, une analyse au cas par cas est nécessaire.