Menu Close
Une femme  regarde l'écran de son ordinateur, une feuille de papier à la main
La pénurie de main-d'oeuvre pourrait être en partie combler si les professionnels plus âgés étaient incités à demeurer sur le marché du travail. Shutterstock

Quelles solutions pour prolonger la vie professionnelle des travailleurs plus âgés ?

Le Québec vit une grave pénurie de main-d’œuvre, dont les effets se font sentir dans tous les secteurs de la vie économique. Certaines entreprises, notamment en restauration, n’hésitent pas à embaucher des enfants de 11 ans, pour combler le manque de personnel.

Parmi les solutions figurent une meilleure rétention sur le marché du travail des travailleurs plus âgés, notamment avec des incitatifs financiers. Au Québec, la cohorte des 55 ans et plus est parmi la moins nombreuse au pays à être encore sur le marché du travail.

Comme chercheurs en management, les incidences du vieillissement de la population sur les pratiques de gestion des ressources humaines s’avèrent cruciales à investiguer. Notre équipe de recherche, composée de Marie-Ève Beauchamp-Legault, Félix Ballesteros, Victor Haines, Tania Saba et moi-même, avons mené une étude visant à explorer les pratiques de gestion des professionnels âgés dans le secteur des services financiers. Celui-ci fait face à d’énormes pressions avec l’émergence de l’intelligence artificielle, des services numériques, etc.

Nous avons mené des entrevues d’environ une heure avec des dirigeants de 16 grandes organisations du secteur des services financiers du Québec, situées dans les régions de Montréal et de Québec (Banque Nationale, Desjardins, Financière Sun Life, Alliance industrielle, Intact Assurance, etc.).

Le Québec représente 20 % de la part canadienne du PIB du secteur de l’assurance. Quatre sièges sociaux d’institutions financières sont à Montréal, et des banques internationales y ont centralisé leurs activités de back-office. Les participants interrogés étaient des directeurs (ressources humaines, acquisition de talents, gestion des talents), des vice-présidents, un cadre supérieur de succursale et un consultant en ressources humaines stratégiques.

Nous nous sommes appuyés sur le modèle de la boîte noire de la gestion des ressources humaines.

Ce modèle illustre les liens entre des processus et les intentions des dirigeants lorsqu’il est question d’adopter des politiques de gestion particulières à divers égards (RH, marketing, finance, opérations), à prendre des décisions (budgets, politiques RH) qui sont interprétées individuellement et collectivement par l’ensemble du personnel, à influencer le climat organisationnel et les résultats de l’organisation (productivité, flexibilité, performance, diversité).

Globalement, nos résultats confirment l’importance de l’appui des dirigeants lorsqu’il est question de culture organisationnelle et l’adoption de pratiques RH pour retenir plus longtemps en emploi les professionnels de la finance plus âgés.

Une ouverture aux aînés très variable

L’ouverture des dirigeants rencontrés au maintien en emploi des professionnels plus âgés est variable et peut se situer sur un continuum allant d’une absence de volonté à un climat d’ouverture à la diversité.

À une extrémité du continuum, des employeurs ne voient pas la valeur ajoutée de les garder plus longtemps au travail et s’inquiètent même des perceptions d’iniquité au sein du personnel s’ils leur accordaient un traitement particulier. Ces organisations adoptent peu ou pas de pratiques encourageant les travailleurs âgés à continuer de travailler plus longtemps. Au contraire, ils peuvent même adopter des programmes pour les inciter à prendre leur retraite.

Au centre du continuum, de nombreux employeurs gèrent les demandes de leurs professionnels plus âgés au cas par cas, en fonction de leur poste ou du contexte de leur travail et de leurs caractéristiques individuelles (expertise ou expérience).

 l’autre extrémité, se trouvent les employeurs les plus favorables avec une culture organisationnelle inclusive et de nombreuses pratiques RH destinées aux professionnels plus âgés et, souvent, à l’ensemble du personnel. Ces employeurs veillent à développer une culture ouverte à la diversité définie de manière large en incluant tous les employés quelles que soient leurs caractéristiques (âge, genre, handicap, etc.) Comme le dit un participant :

Quoique les conditions de travail que nous offrons se distinguent de celles offertes par nos concurrents, elles restent similaires. Notre entreprise mise plus sur le climat de travail et les valeurs.

Certains employeurs estiment que l’attraction et le maintien en poste des jeunes professionnels représentent un défi crucial et expriment un malaise à se concentrer sur les professionnels plus âgés :

Pour les banques, le défi est de changer nos structures traditionnelles et d’aller vers quelque chose de plus flexible. Ce ne sont pas les employés plus âgés qui vont nous mettre au défi, mais les plus jeunes. Je crois fermement que nous ne serons plus en mesure de recruter à l’avenir si nous ne changeons pas notre façon de fonctionner. Un autre participant exprime :

Nous n’avons pas plus besoin de nous adapter aux baby-boomers qu’à la nouvelle génération qui entre sur le marché du travail.

Une femme assise devant son ordinateur, prenant des notes
L’ouverture des gestionnaires au maintien en emploi des professionnels plus âgés est variable et peut se situer sur un continuum allant d’une absence de volonté à un climat d’ouverture à la diversité.. Shutterstock

Des pratiques RH clés

Le climat d’ouverture et l’appui de la direction sont des préalables cruciaux à la rétention en emploi des professionnels âgés. Ils mènent à l’adoption des pratiques RH clés suivantes :

1) La flexibilité du temps et du lieu de travail (horaire flexible, temps partiel, travail à distance) qui permettent aux professionnels plus âgés de faire une transition graduelle vers la retraite. Cela permet à l’entreprise de ne pas les perdre complètement, eux et leurs connaissances :

Nous devons soutenir les gens dans leur désir d’atteindre un équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle, de répondre à leurs demandes de travailler à temps partiel, de commencer à travailler plus tôt ou de partir plus tard. Nous devons être plus flexibles si nous voulons garder les professionnels plus âgés impliqués et les garder au travail.

2) L’embauche et la promotion des professionnels âgés et des retraités afin de bénéficier de leurs expertises, leurs expériences, leur fiabilité et leur engagement au travail. Des employeurs observent que les candidats âgés sont plus portés à rester plus longtemps à leur emploi que les recrues plus jeunes qui les quittent souvent très vite :

Nous avons récemment embauché une personne de plus de 55 ans. Dans l’interview, il a dit qu’il voulait travailler encore dix ans. Pour nous, ce 10 ans peut s’avérer aussi précieux sinon plus que d’embaucher un jeune de 30 ans qui pourrait quitter l’entreprise après deux ans parce qu’il cherche d’autres défis.

Certains employeurs réembauchent leurs retraités sur une base occasionnelle et temporaire en raison de leurs expertises et expériences :

J’ai un employé à la retraite qui m’aide avec des projets. Nous lui fournissons un téléphone et un ordinateur portable, ce qui lui donne un accès complet.

3) L’ajustement des rôles et des responsabilités des employés plus âgés en les encourageant, par exemple, à agir comme mentors ou en réduisant leur charge de travail peut aussi les motiver à continuer à travailler plus longtemps :

Nous devons valoriser l’expérience qu’ils ont acquise et respecter leur besoin d’autonomie et de flexibilité. Comme ils aiment partager leurs connaissances, nous devons créer des occasions pour qu’ils puissent le faire.

4) L’ajustement de la rémunération directe, des avantages sociaux et de la reconnaissance. Certains employeurs payent des primes de rétention à des professionnels clés plus âgés, tandis que d’autres soulignent l’importance d’offrir une rémunération concurrentielle. Les retraités qui veulent travailler à temps partiel ou pendant des périodes de pointes ne devraient pas voir leurs conditions de retraite affectées négativement.

5) La planification de la relève. La rareté de cette pratique s’avère problématique, car les professionnels de la finance qui prennent leur retraite peuvent laisser derrière eux des clients fidèles à leurs services et à l’entreprise depuis des années :

Ce qui m’inquiète, c’est comment nous allons pouvoir transmettre l’intelligence, les compétences et la capacité d’adaptation des 25 dernières années aux générations futures.

Le défi du transfert des connaissances

Les changements technologiques et structurels importants dans le secteur des services financiers font en sorte que les employeurs rivalisent pour attirer des candidats ayant une formation récente en analyse prédictive, en intelligence artificielle, en programmation et en maintenance des systèmes.

Les professionnels plus âgés n’ont pas toujours ces compétences. Toutefois, il y aura toujours des départements, comme ceux des ventes, du service et du suivi des réclamations, qui resteront prioritaires et nécessiteront leurs expertises. Comme nous l’exprime un participant :

Leur force est leur expérience pratique. Ils ont des réseaux incroyables. Ce sont des choses que vous n’apprenez pas à l’école. C’est une richesse énorme.

L’intelligence artificielle ne remplacera pas la valeur du jugement humain fondé sur la connaissance de l’histoire et de la culture organisationnelles, ainsi que l’empathie et l’éthique. Il s’avère donc particulièrement important d’informer, de sensibiliser et de former le personnel sur les biais de l’âgisme.

Il importe aussi que les professionnels des RH promulguent l’adoption de pratiques RH qui répondent aux besoins d’autonomie, de relation et de développement des travailleurs âgés. Qui sait ? La pandémie de Covid-19 aura peut-être été bénéfique à la rétention en emploi des professionnels plus âgés en imposant le travail à distance au sein d’organisations. Celles du secteur financier se montraient jusqu’alors frileuses à cet aménagement de travail pour des raisons de confidentialité, de protection des données ou autres. Ce n’est plus le cas.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,100 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now