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Quels enjeux pour l’école maternelle obligatoire à 3 ans ?

L'avancement de l'obligation scolaire à l'âge de 3 ans va-t-il redéfinir les liens entre maternelle et primaire ? Val d'Ajol/Flick, CC BY

« J’ai décidé de rendre obligatoire l’école maternelle, et ainsi d’abaisser de 6 à 3 ans en France l’obligation d’instruction dès la rentrée 2019 » : voilà ce que le chef de l’État a déclaré le 27 mars 2018. Une mesure qui se trouvera « au cœur d'un projet de loi débattu au cours de l'année 2018-2019 », a confirmé le ministère de l'Education nationale lors de sa conférence de rentrée.

Cette annonce place la France parmi les pays européens ayant la scolarité obligatoire à temps complet la plus longue avec certains Länder allemands, la Hongrie, la République yougoslave de Macédoine, les Pays-Bas. Ajoutons que seule la Hongrie fait débuter la scolarité obligatoire à 3 ans.

L’accueil de ce projet d’extension a porté, soit sur la réalité du changement ainsi introduit, soit sur ses conséquences en termes de moyens, son effet concernant la scolarisation des enfants de deux ans ou le financement du privé. Cependant, tous les effets et les enjeux de cette annonce, si elle était réellement mise en œuvre, n’ont peut-être pas été réellement envisagés dans les différents commentaires auxquels elle a donné lieu.

Une annonce à plusieurs effets

Concernant le fait que l’avancement de l’obligation scolaire vient sanctionner une pratique établie d’une fréquentation générale de l’école maternelle, ce qui est nouveau est d’une part que le projet actuel concerne une augmentation en amont, et non en aval, ce qui peut changer certaines choses, et notamment concernant l’école élémentaire et, d’autre part, qu’elle concerne trois années, soit plus que les précédentes augmentations à un moment de développement très important de l’enfant.

En effet, du fait de l’avancement de l’obligation scolaire, l’école élémentaire devient à tous points de vue une école intermédiaire et non plus un commencement, notamment pour les apprentissages fondamentaux.

Le CP est jusqu’à présent le lieu de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture parce qu’il est le premier niveau de l’école obligatoire et que, théoriquement, on ne saurait supposer cet apprentissage acquis, même s’il est anticipé. Ainsi les programmes actuels de l’école maternelle précisent « qu’il n’y a pas de pré‐lecture à l’école maternelle » mais une découverte du « principe alphabétique » sans « apprentissage systématique ».

Comment cet apprentissage se négociera-t-il désormais ? N’y aura-t-il pas une tentation de l’avancer en deçà de l’école élémentaire en faisant fond sur le fait que tous les enfants désormais y sont allés ou auraient reçu l’instruction équivalente ?

Devra-t-on anticiper pour les enfants lecteurs, le passage au CP, ou au contraire dire – dans l’esprit de la définition des cycles d’apprentissages de 1991 et du rôle particulier de la grande section où pouvaient débuter les apprentissages fondamentaux – que l’apprentissage de la lecture pourra commencer dès la grande section ?

Des questions sur les premières années d’écoles

La non-obligation de l’école maternelle et l’obligation de l’école élémentaire était un des derniers vestiges d’une hétérogénéité des deux structures. Le passage à l’obligation à 3 ans n’impliquera-t-il de penser désormais celles-ci comme un seul bloc ? Ne peut-elle pas conduire à se poser à plus grande échelle l’idée de classes multiniveaux entre Grande section et cours préparatoire ? Ce dernier d’ailleurs peut-il, dans le nouveau contexte ainsi créé, être encore appelé et pensé ainsi ?

Que peut-on attendre de ce nouveau lien ? Conduira-t-il à repenser l’école élémentaire pour l’ouvrir aux pratiques de la maternelle ou au contraire amènera-t-il une élémentarisation accrue de l’école élémentaire ? Est-on dans un mouvement analogue à celui qu’avait entraîné le double mouvement de la hausse à 16 ans de la scolarité obligatoire et de l’unification des structures de l’école moyenne et qui a été de tendre à faire du collège un petit lycée ?

De plus – mais il semble que ce soit une des incidences déjà prévues par les réflexions de l’actuel gouvernement – les crèches ne seront-elles pas amenées, soit à devenir de façon explicite des prématernelles ou bien des lieux d’instruction obligatoire alternatifs comme cela se fait pour certains pays étrangers ?

L’école et les familles : trois éléments à préciser

L’extension de l’obligation scolaire à la maternelle a également ceci d’inédit par rapport aux obligations antérieures – y compris, dans une certaine mesure, celle proposée par la loi de 1882 – qu’elle se positionne, non plus par rapport à une entrée dans le monde du travail, mais plus par rapport à l’éducation et à la vie familiales. Sur ce point, on peut rappeler que l’obligation actuellement définie par l’article L131-1 du Code de l’éducation pour les enfants des deux sexes est une obligation d’instruction et non une obligation de fréquentation de l’école.

Le Président de la République reprend d’ailleurs cette formule même s’il parle en même temps de rendre obligatoire l’école maternelle. Néanmoins, en prenant au sens strict l’obligation d’instruction, celle-ci pourrait être donnée dans les familles, ce qui engendre un certain nombre de questions.

La définition d’une obligation scolaire devra également s’accompagner de trois autres éléments.

  • La définition des contenus de cette scolarité obligatoire, qui, pour ce qui concerne la scolarité de 6 à 16 ans, est faite en référence au socle commun de connaissance, de compétences du de culture (Code de l’éducation, article D131-11) devra être précisé pour l’école maternelle aussi bien dans son contenu que dans ses formes, l’éducation étant ici moins formalisée et reposant plus sur les interactions ;

  • La définition des obligations de fréquentation et d’assiduité, qui, pour l’école maternelle pose des problèmes particuliers, celle-ci étant liée aux besoins physiologiques de l’enfant. La circulaire définissant les éléments du règlement type départemental parle de l’exigence d’une « fréquentation régulière » ce qui n’est pas tout à fait l’obligation scolaire qui exige l’assiduité ;

  • Les sanctions relatives au défaut d’instruction ou d’assiduité qui devront être signalés par les instances compétentes, dont les écoles maternelles. S’appliqueront-elles de la même manière pour les absences à l’école maternelle que pour les autres absences ou d’autres formules sont-elles possibles ?

On pourra dire que l’ensemble de ces questions n’en sont pas vraiment puisque cette annonce, venant sanctionner le fait établi de la fréquentation en école maternelle, ne changerait pas fondamentalement les pratiques mais en rendrait plus nécessaire le perfectionnement.

Cependant, au-delà des indispensables questionnements de moyens, de formation et de financement, la possibilité de les formuler tenait à mettre en évidence les enjeux de ce projet d’obligation quant au regard sur le sens même du premier degré dans son ensemble, des apprentissages qui s’y déroulent et sur le rapport de l’enfance et de la famille à l’école.

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