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Quels outils juridiques et administratifs pour lutter contre les féminicides ?

Collages d'un collectif féministe à Marseille, le 12 juillet, rappelant les noms de toutes les femmes tuées depuis le 1er janvier 2021. Nicolas TUCAT / AFP

En France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Ce type de meurtre est désormais désigné sous le vocable féminicide (meurtre d’une femme en sa qualité de femme), un terme devenu de plus en plus courant dans la sphère médiatique et politique, notamment avec le projet de loi contre les violences conjugales, mais non inscrit dans le droit pénal.

Beaucoup de juristes estiment que le droit français a des dispositions suffisantes, tout en encourageant l’usage de ce mot. Si en 2020 le nombre de femmes décédées de violences subies par leur conjoint avait légèrement baissé, l’année 2021 est cependant marquée par un rebond avec 54 victimes au 14 juin 2021, d’après le collectif de recensement des féminicides.

Dix-neuf mois après le Grenelle contre les violences conjugales et en dépit d’une prise de conscience par les institutions, les failles demeurent. La délégation aux droits des femmes déplore les insuffisances persistantes de la chaîne pénale et appelle à une meilleure coordination des forces de sécurité intérieure et des magistrats.

Un recours nécessaire à l’analyse psychiatrique

Les rapports d’inspection concernant les faits survenus à Hayange et à Mérignac remis au gouvernement le 9 juin 2021 soulignent le besoin de renforcement et de montée en puissance des dispositifs de protection des victimes et de suivi des auteurs de violences conjugales mis en place au cours des dernières années. Ils relèvent des dysfonctionnements au niveau local à la fois dans le partage d’informations et la coordination des acteurs sur le terrain.

L’inspection recommande dans une première orientation qu’une analyse psychiatrique doive être effectuée sur les auteurs de violences conjugales graves, avant qu’un aménagement visant à réduire la peine d’emprisonnement soit prononcé par le juge.

Dans une seconde orientation, l’inspection sollicite une modification de la loi pour rendre systématique la prise de position de la victime en l’impliquant à tous les stades de la procédure pénale, quand l’auteur des faits est mis en liberté et dès lors qu’il y a une interdiction de communication entre l’auteur et la victime.

La question des bracelets

Dans une troisième orientation, des instructions de politiques générales doivent être communiquées au parquet, afin qu’ils requièrent systématiquement des placements sous surveillance électronique (bracelets). Ce point est cependant jugé insuffisant par les victimes de violences conjugales, car il n’est pas automatiquement appliqué par les juges.

Mémoriam pour Chahinez, une femme de 31 ans, battue et brûlée vive par son conjoint le 5 mai 2021 à Mérignac. Mehdi Fedouach/AFP

Le placement sous surveillance électronique (PSE) ou « bracelet électronique » est une mesure d’aménagement de peine permettant d’exécuter une peine d’emprisonnement sans être incarcéré. Il peut également être décidé dans le cadre d’une libération sous contrainte (LSC) ou dans le cadre d’une assignation à résidence, alternative à la détention provisoire, en attendant l’audience de jugement (ARSE) des auteurs de violences conjugales en état de récidive. Le bracelet électronique a pour le moment fait ses preuves en Espagne où le nombre de féminicides a significativement baissé. En France, depuis 2010, un juge aux affaires familiales peut délivrer une ordonnance de protection dans le but de mettre à l’abri une femme victime de violences conjugales.

En France, le bracelet électronique vient compléter un autre dispositif le « téléphone grave danger » mis en place en 2014. Cet outil permet à la victime de contacter en cas de danger un service de téléassistance afin de demander l’aide des forces de l’ordre grâce à la géolocalisation. Le téléphone « grave danger » a déjà fait ses preuves, mais reste trop peu attribué. Il est distribué au compte-gouttes par les parquets de France depuis 2014 aux femmes menacées par leurs ex-conjoints.

Mieux former les fonctionnaires de police

L’inspection préconise également que les fonctionnaires de police chargés du traitement des violences conjugales doivent disposer de compétences professionnelles spécifiques telles que la réponse aux appels téléphoniques des victimes, l’évaluation du danger immédiat encouru, la protection de la victime, l’identification de l’infraction, la constitution des preuves, l’accompagnement de la victime. Il y a aujourd’hui une défaillance dans la formation des policiers sur les compétences pré-citées.

Par ailleurs, des unités de traitement des procédures de violences conjugales graves doivent être créées dans tous les commissariats de l’hexagone.

Aussi, les référents violences conjugales de chaque administration doivent systématiquement être informés de toutes les procédures de violences conjugales en cours. De plus, les futurs fichiers des auteurs de violences conjugales doivent pouvoir être accessibles et partager par tous les services publics compétents : les policiers, les centres d’accueil d’urgence des victimes d’agressions (CAUVA), la fédération nationale solidarité femmes (FNSF), qui regroupe 67 associations, le juge aux affaires familiales, la direction départementale de la sécurité publique (DDSP).

Campagne vidéo de la Fédération nationale solidarité femmes.

Suite au Grenelle contre les violences conjugales du mardi 3 septembre 2019, des engagements concrets et collectifs ont été pris afin d’agir plus efficacement contre les violences conjugales.

Afin de protéger les femmes victimes de violences, 1 000 nouvelles places d’hébergement et de logement temporaires ont été créées depuis le 1er janvier 2020 pour des mises en sécurité immédiates. Les femmes victimes de violences sont éloignées de leurs agresseurs, de part la mise en place d’un dispositif électronique anti-rapprochement effectif dans les 48 heures après le prononcé de la mesure en cas d’ordonnance de protection ou d’un contrôle judiciaire.

Un audit des commissariats et gendarmeries

Cette protection des femmes victimes de violences tout au long de la chaîne pénale est renforcée par le lancement d’un audit de 400 commissariats et gendarmeries permettant de détecter des dysfonctionnements qui existeraient à certains endroits et d’y remédier.

Pour ce faire, une grille d’évaluation du danger a été réalisée par onze groupes de travail du Grenelle des violences conjugales. Déployée depuis janvier 2020, elle comporte 23 questions que le gendarme ou le policier doit poser à la victime de violence au sein d’un couple, indépendamment du dépôt de plainte.

Il s’agit aussi d’éviter les mains courantes et d’encourager au dépôt de plainte. Néanmoins, l’usage de cette grille reste flou dans la pratique.

Par ailleurs, le féminicide donne également lieu aujourd’hui à un processus de « retex » (retour d’expérience) au niveau local permettant de tirer les leçons de ce qui n’a pas fonctionné et d’améliorer les dispositifs en place tout en associant l’ensemble des professionnels concernés (police ou gendarmerie, justice, travailleurs sociaux, médecins, professionnels de l’Éducation nationale…).

Les mesures complémentaires

Si l’arsenal législatif sur lequel peut s’appuyer le Gouvernement pour lutter contre les violences conjugales existe, son application demeure encore incomplète voire défaillante : accélération de la délivrance des ordonnances de protection, facilitation de l’attribution de téléphones grave danger, autorisation de la saisie des armes, introduction du bracelet anti-rapprochement, suspension de l’exercice de l’autorité parentale.

En complément des actions déjà engagées au titre du Grenelle contre les violences conjugales, un arsenal de six nouvelles mesures a été mis en œuvre.

Afin d’assurer une protection plus efficace des victimes, 3 000 téléphones « grave danger » seront mis à disposition des juridictions d’ici début 2022. Cela correspond à une augmentation de 65 % par rapport à aujourd’hui. Ces outils ont fait la preuve de leur efficacité. Près de 1 324 terminaux sont actuellement actifs pour protéger les victimes sur plus de 1 800 disponibles. Le gouvernement souhaite élargir encore davantage les situations dans lesquelles ces téléphones seront attribuables.

Par ailleurs, un plan de renforcement du recours aux bracelets anti-rapprochement sera déployé pour accélérer la mise en œuvre du dispositif. Le garde des Sceaux a publié en ce sens une dépêche le 27 mai 2021 à destination des parquets. Il y est notamment prévu la désignation d’un référent national et de référent au sein de chaque parquet. Depuis décembre dernier, 1 000 bracelets sont à la disposition des magistrats. Au 8 juin 2021, il y a 147 bracelets comptabilisés, dont 96 actifs.

Ce dispositif est la mesure phare de la proposition de loi « agir contre les violences au sein de la famille » en France adoptée le 29 décembre 2019.

Et ensuite ?

Le contrôle de la détention et de l’acquisition des armes va être renforcé dans la loi, notamment en élargissant le périmètre du fichier national des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes (FINIADA). Le FINIADA est institué par l’article L.312-16 du code de la sécurité intérieure. Il recense les personnes ne pouvant acquérir ou détenir une arme de catégorie B, C, D sur décision préfectorale ou en vertu d’une condamnation pénale. Le FINIADA interagit avec le casier judiciaire lorsqu’il y a une mention de condamnation inscrite sur le bulletin n° 2 du casier pour des infractions entre autres telles que « les violences volontaires », « le trafic de stupéfiants », « la destruction, dégradation et détérioration d’un bien », « le recel de vol »…

La connaissance partagée, entre les acteurs de terrain, des auteurs de violences conjugales et la prise en compte efficace des signaux faibles doit cependant être améliorée : un fichier des auteurs de violences conjugales sera mis en place – la date n’est pas encore connue - et permettra de disposer d’une vision exhaustive de ces situations, mais aussi d’un outil partagé actualisé en fonction des actions policières menées (intervention au domicile, recueil de plainte, main courante…), avec déclenchement de mesures d’accompagnement, de prévention ou de protection soit par la justice, soit par la police.

Une instance nationale permettant d’associer régulièrement les associations sur les violences faites aux femmes va être créée – sans autre précision de date actuellement – avec pour objectif de constituer un point de contact pour les associations et de mettre à disposition des professionnels des outils de formation.

Reste à savoir comment ces mesures seront abordées par le Premier ministre à l’occasion du deuxième anniversaire du Grenelle contre les violences conjugales, afin de veiller à leur exécution rigoureuse sur l’ensemble du territoire national.

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