Menu Close
La neuroplasticité, qui permet au cerveau de recâbler ses connexions nerveuses, joue un rôle majeur dans l’apprentissage. Robina Weermeijer / Unsplash

Qu’est-ce que la plasticité cérébrale ?

Vous vous souvenez de cette nuit où vous aviez essayé de mémoriser un cours entier, ce qui ne vous a pas empêché d’échouer à l’examen du lendemain malgré tout ? Ou de la fois où vous avez réalisé le nombre d’années qu’il vous a fallu pour apprendre à jouer correctement de ce nouvel instrument, ou parler couramment cette nouvelle langue ?

Pourquoi est-il si difficile d’apprendre et de mémoriser ? Pour répondre à cette question, il faut se pencher sur un processus fondamental de notre cerveau : la plasticité cérébrale, qui permet de recâbler nos connexions nerveuses.

Le connectome, les câbles du cerveau

Le cerveau humain est indéniablement une des structures les plus complexes du monde naturel. Ses 90 milliards de cellules nerveuses, aussi appelées « neurones », reçoivent, traitent et envoient d’innombrables informations au reste du corps.

Pour communiquer entre eux, les neurones forment environ 100 milliers de milliards de connexions synaptiques. Notre cerveau ressemble de ce fait à un énorme réseau électrique constitué d’une quantité apparemment infinie de fils. Les scientifiques ont baptisé ce réseau « le connectome ».

Illustration représentant des cellules nerveuses et leurs connexions qui ressemblent à trois cablages verticaux composés d'une multitude de fils.
Illustration impressionnante du père fondateur de la neurologie, Ramon y Cajal, représentant le nombre très élevé de cellules nerveuses et leurs connexions dans le cortex, la plus grande partie de notre cerveau, à trois endroits différents. Santiago Ramon y Cajal

Au cours de cette période, les expériences vécues au contact de notre environnement (contacts sociaux, culture…) dessinent le « plan de base » du cerveau, qui perdurera pour le reste de l’existence. Celui-ci est tracé et retracé à plusieurs reprises durant ces années cruciales : on qualifie ce remodelage répété de neuroplasticité développementale.

On a longtemps cru qu’une fois que le cerveau était arrivé à maturité, il ne pouvait plus changer. En d’autres termes que le schéma de câblage du connectome était fixe chez l’adulte. Aujourd’hui, grâce aux progrès des neurosciences et aux nouvelles techniques d’imagerie, nous savons que le cerveau adulte subit lui aussi des changements drastiques.

Nouvelles cellules et nouvelles connexions

Les découvertes de deux processus ont en particulier amené les scientifiques à réévaluer la malléabilité du cerveau adulte. Le premier de ces processus a été mis en évidence par l’examen au microscope du cerveau de personnes décédées : les chercheurs ont remarqué que, chez des adultes de tous âges, de nouvelles cellules nerveuses étaient générées dans l’hippocampe.

Second constat : les connexions entre les cellules nerveuses peuvent changer, même à l’âge adulte. Le connectome est dynamique, et subit un recâblage constant, lorsque nous acquérons de nouvelles compétences et créons de nouveaux souvenirs. Au cours de ce processus, non seulement de nouvelles connexions physiques peuvent-elles être établies, mais d’anciennes peuvent aussi être perdues, ou des connexions existantes se renforcer. L’ensemble de ces modifications du « schéma de câblage » du cerveau, qui dépendent de l’apprentissage et de l’expérience, constituent la « plasticité » cérébrale.

Représentation visuelle en couleurs, avec une dominante de vert qui montre les connexions du cerveau.
Représentation visuelle du connectome dans le cerveau humain. Les cellules sont reliées par des axones, de longues extensions qui établissent des contacts avec d'autres cellules nerveuses, échangeant des informations par le biais d'une communication électrique et chimique. jgmarcelino, CC BY

Le perfectionnement par la pratique

« Neurons that fire together wire together ».

Cette célèbre citation du neuroscientifique Donald Hebb que l’on pourrait traduire par « des neurones excités simultanément se connectent ensemble », signifie que des neurones qui envoient leurs impulsions électriques au même moment voient leurs connexions se renforcer.

Au quotidien, la conséquence est que « la pratique rend parfait », autrement dit que plus nous répétons, plus nous nous améliorons. La pratique quotidienne de la guitare nous permet par exemple de progresser chaque jour. En effet, à chaque entraînement, de nouvelles cellules nerveuses se connectent entre elles, étendant le réseau neuronal qui contrôle cette compétence. Ce recâblage constant vous permet de jouer de mieux en mieux. Ou, de la même manière, vous aide à vous souvenir de ces formules compliquées vues durant le dernier cours de chimie organique.

Ce recâblage aboutit, en quelques jours seulement, à une amélioration significative du circuit concerné, qui devient progressivement plus rapide et plus efficace. Mais vous l’avez probablement remarqué, ce processus prend un certain temps. À ses début, Jimi Hendrix ne jouait pas de la guitare de façon aussi virtuose que lors de sa prestation sur la scène du festival de Woodstock ; il a lui aussi lutté pour s’améliorer… Bon à savoir : ce recâblage est plus efficace durant la nuit. La meilleure des excuses pour dormir plus longtemps le week-end !

Ce recâblage a toutefois une portée limitée. Si de nouveaux neurones et de nouvelles connexions peuvent se former, les circuits électriques existants sont cependant eux-mêmes plus ou moins fixes. C’est ce qui explique qu’il est plus facile et plus rapide d’apprendre quelque chose quand on a déjà des connaissances préalables. Les nouvelles connaissances sont alors intégrées dans les schémas préexistants, qui peuvent être encore améliorés par la pratique. Cette situation impose des contraintes à l’apprentissage, un peu comme les limites physiques nous empêchent d’espérer courir un jour le 100 m en moins de 5 secondes.

Néanmoins, la capacité de recâblage du cerveau est déjà énorme en l’état, comme le prouvent quelques exemples spectaculaires.

Le recâblage poussé aux limites

Les personnes qui perdent une fonction sensorielle telle que la vue ont souvent des capacités auditives extraordinaires, et développent même une capacité d’écholocation pour mieux naviguer dans leur environnement. Il semble que d’anciennes régions du cerveau, qui étaient initialement utilisées pour la vision, aient chez ces personnes été réaffectées à l’audition, selon un processus appelé plasticité intermodale, lequel consiste, essentiellement, en une immense réorganisation du schéma de câblage du cerveau.

Autre exemple : le cerveau des personnes ayant subi une hémisphèrectomie, c’est-à-dire l’ablation d’une moitié du cerveau, subit des modifications structurelles et connectives massives aboutissant à la prise en charge par l’hémisphère restant des fonctions de l’autre moitié. Bien que nous ne sachions pas encore exactement comment une moitié de cerveau parvient à se reconnecter pour contrôler un organisme entier, les patients concernés peuvent mener une vie quasi normale.

La plasticité du cerveau peut-elle être exploitée pour soigner les lésions cérébrales ?

L’espèce humaine est notamment caractérisée par la grande taille du lobe frontal de son cerveau. L’énorme quantité de neurones qu’il abrite nous procure une immense capacité de traitement de données, ce qui, associé à la plasticité cérébrale, nous a permis d’inventer, entre autres choses, la culture et l’art. Mais en biologie, rien n’est gratuit. La capacité de recâblage de notre cerveau est notamment affectée par le vieillissement. À mesure que nous avançons en âge, nous devenons moins capables d’apprendre de nouvelles compétences, et nos souvenirs s’effacent plus rapidement. Plus grave : au cours du vieillissement, les capacités de recâblage de notre cerveau peuvent se détraquer, ce qui pourrait augmenter le risque de survenue de maladies neurodégénératives.

À l’inverse, pourrait-on utiliser la plasticité du cerveau pour réparer des dommages cérébraux, qu’ils soient liés au vieillissement ou à des traumatismes causés par des accidents ou des maladies ? Plusieurs nouvelles techniques basées sur ce paradigme sont actuellement testées : médicaments permettant de desserrer les « freins » moléculaires qui limitent les capacités de recâblage, transplantation de nouvelles cellules dans les régions cérébrales lésées afin de générer de nouveaux tissus cérébraux, etc. Malheureusement, à ce jour, aucun de ces traitements ne s’est révélé très efficace.

La raison principale est que nous comprenons encore mal comment fonctionne, au niveau microscopique, le recâblage du cerveau. Il ne suffit pas de générer de nouvelles cellules, encore faut-il qu’elles s’intègrent correctement aux tissus existants. C’est important : un recâblage aberrant pourrait en effet aggraver les choses, en provoquant par exemple des décharges électriques incontrôlées au niveau des neurones, comme dans l’épilepsie.

Mais, récemment, une équipe de recherche a été capable de modifier artificiellement le connectome d'une personne paralysée pour rétablir des fonctions qui étaient auparavant perdues. Gert-Jan Oskam, la personne concernée, peut à nouveau marcher après l'implantation d'une électrode qui permet à nouveau à son cerveau de commander ses muscles.

Peut-on améliorer son connectome ?

Certaines données scientifiques suggèrent qu’il est possible de prendre soin de son cerveau pour qu’il vieillisse en bonne santé. Cela passe par l’adoption de certains régimes alimentaires sains, le maintien d’un niveau correct de stimulation mentale, et une pratique sportive régulière. Les personnes physiquement actives ont en effet des régions cérébrales plus grandes et mieux connectées que les personnes sédentaires, et elles sont plus performantes dans les tâches de mémorisation. Plusieurs études semblent également suggérer que la musique et certains « jeux cérébraux » seraient aussi capables de stimuler les capacités d’apprentissage et de mémorisation.

Toutefois, il nous reste encore beaucoup à apprendre en matière de plasticité cérébrale. Donc, pour l’instant, le meilleur conseil à appliquer reste de réviser ses cours correctement (et suffisamment longtemps avant le test), de continuer à pratiquer régulièrement la guitare ou toute autre activité nécessitant une certaine dextérité, de veiller à se reposer suffisamment… Et surtout, d’être patient !

This article was originally published in French

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,300 academics and researchers from 4,942 institutions.

Register now