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Qu’est-ce que le mouvement Reichsbürger, accusé de vouloir renverser le gouvernement allemand ?

Homme arrêté par des policiers cagoulés
Arrestation d’Heinrich XIII à Francfort-sur-le-Main, le 7 décembre 2022. Plus de 3 000 agents, dont des unités d’élite antiterroristes, ont pris part à une série de descentes matinales dans tout le pays et ont fouillé plus de 130 propriétés. Boris Roessler/DPA/AFP

25 personnes accusées de vouloir renverser le gouvernement allemand ont été arrêtées le 7 décembre lors d’une série de raids effectués par la police dans tout le pays.

Elles sont accusées d’avoir souhaité porter au pouvoir par la force Heinrich XIII, un descendant d’une famille royale de Thuringe. Parmi les personnes arrêtées figurent des membres des Reichsbürger (un terme qui se traduit par « citoyens du Reich »), un mouvement disparate de groupes et d’individus, dont certains sont d’extrême droite.

Ce n’est pas la première fois que les Reichsbürger sont impliqués dans la préparation ou la commission d’actions violentes, mais l’ampleur des projets dont ils sont cette fois accusés, et l’identité de certains conjurés présumés, suscitent des inquiétudes plus élevées que par le passé.

Birgit Malsack-Winkemann, ancienne députée au Bundestag en tant que représentante de la formation d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) de 2017 à 2021 – année où, après son échec à se faire réélire, elle a quitté le parti – fait partie des personnes interpellées. Elle était également juge jusqu’à peu après son arrestation.

Plusieurs anciens soldats ont également été arrêtés dans le cadre de l’opération de police du 7 décembre. C’est une source de profonde préoccupation pour les forces de l’ordre, car cela révèle que des extrémistes potentiellement dangereux peuvent avoir accès à des armes et compter sur le soutien de personnes entraînées à leur maniement.

Au début de l’année 2022, la presse allemande avait rapporté que Heinrich XIII était proche des Reichsbürger et adepte des théories du complot, ce qui a incité sa famille, la Maison de Reuss, à prendre publiquement ses distances avec lui.

L’homme n’était pas très célèbre, s’étant signalé jusqu’ici avant tout par un discours prononcé en 2019 lors de la conférence WorldWebForum en Suisse, à la teneur antisémite et révisionniste. L’implication d’un aristocrate témoigne des motivations monarchistes de certains Reichsbürger, qui souhaitent rétablir un Kaiser à la tête de l’État.

Que croient les Reichsbürger ?

Les Reichsbürger n’ont pas de structure centralisée, mais on estime qu’ils comptent au moins 21 000 partisans. Leur principale conviction est que l’État allemand actuel (la Bundesrepublik ou République fédérale), ses institutions et ses représentants démocratiquement élus ne sont pas légitimes.

Les partisans du mouvement refusent d’adhérer à l’autorité de l’État, par exemple en payant des impôts. Ils ont fait parler d’eux au cours des premières années de la pandémie de Covid-19 pour leur refus de se conformer aux restrictions sanitaires.

Birgit Malsack-Winkemann sitting at a table in court
Birgit Malsack-Winkemann, photographiée au tribunal après une précédente arrestation en octobre 2022. Alamy/dpa picture alliance

Certains Reichsbürger considèrent que les passeports et cartes d’identité officiels allemands sont illégitimes. Si une partie d’entre eux cherchent à se procurer un certificat officiel de citoyenneté (appelé gelber Schein ou certificat jaune), d’autres fabriquent leurs propres passeports et permis de conduire illégaux. Ces documents indiquent souvent comme lieu de naissance d’anciens États allemands, tels que les royaumes de Bavière ou de Prusse. En 2021, un fonctionnaire allemand a été démis de ses fonctions pour infraction à son obligation de respecter la Constitution allemande, pour avoir demandé à ce que le pays de naissance figurant sur son passeport soit le royaume de Bavière.

Les membres du groupe estiment en général que la version légitime de l’État allemand est une version antérieure à celle d’aujourd’hui, mais ils ne s’accordent pas toujours sur la définition de cette « bonne » version de l’État.

Certains pensent que la véritable forme de l’Allemagne est celle qui a existé entre 1871 et 1918, c’est-à-dire la période au cours de laquelle a existé le « Deuxième Reich » allemand, créé après l’unification de 1871 et dissous à l’issue de la Première guerre mondiale. D’autres citent la Constitution de la République de Weimar adoptée en 1919 comme étant celle de la véritable Allemagne. D’autres encore jugent que c’est en 1937 qu’ont été établies les frontières légitimes du territoire allemand, qui comprenaient alors l’ancien royaume de Prusse, mais pas l’Autriche, qui a été annexée en 1938.

Carte du Deuxième Reich, 1871-1918
L’une des visions de ce qu’est la « vraie » Allemagne largement partagées parmi les Reichsbürger remonte à avant la Première Guerre mondiale.. Wikimedia, CC BY-SA

Une conviction que tous les Reichsbürger ont en commun est que l’État allemand actuel n’est pas réellement souverain. Ils considèrent que les alliés occidentaux (France, Royaume-Uni et États-Unis) ont conservé le contrôle du pays après la fin de leur occupation de l’Allemagne de l’Ouest en 1955. Par conséquent, certains affirment que l’État allemand actuel est un régime fantoche qui ne défend pas les intérêts du peuple allemand.

Ils l’appellent parfois « Deutschland GmbH (Limited) », ce qui implique que cette entité n’a aucun pouvoir sur elle-même et n’existe que pour enrichir ceux qui la contrôlent. Le nom BRD GmbH est également utilisé, en référence au nom abrégé de l’Allemagne de l’Ouest (BRD, RFA en français) d’après-guerre.

Révisionnisme historique et antisémitisme

L’accent mis sur le révisionnisme historique et l’effacement de la souveraineté allemande favorise chez les Reichsburger une vision de l’Allemagne comme d’un pays irréprochable à la fierté intacte. En se concentrant sur les frontières d’avant-guerre et en négligeant l’histoire d’après-guerre, les Reichsbürger peuvent ignorer la défaite de l’Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que son processus d’acceptation de son passé nazi et colonial. La suppression de ces moments sombres de l’histoire allemande permet aux partisans du mouvement de se concentrer sur leur propre victimisation en tant que sujets d’un État allemand qu’ils ne reconnaissent pas.

Un révisionnisme similaire est courant dans l’ensemble de l’extrême droite allemande, notamment chez certains membres du parti populiste AfD. La contestation de l’importance de l’Holocauste et l’accent mis sur les moments « positifs » de l’histoire allemande encouragent la relativisation de l’extermination des Juifs et l’antisémitisme.

Contrairement à l’AfD, qui a adapté sa rhétorique pour s’intégrer à la vie politique du pays, certains Reichsbürger ignorent totalement les lois allemandes actuelles interdisant la négation de l’Holocauste et la diffusion de la propagande nazie. Les membres du groupe diffusent souvent des théories du complot antisémites sur le pouvoir de la « haute finance », et se livrent régulièrement à un déni pur et simple de l’Holocauste. En mars 2020, la police allemande a saisi de la propagande néonazie lors de descentes au domicile de certains membres du Reichsbürger.

Allemagne : des policiers membres des extrémistes des « Reichsbürger », 22 octobre 2016.

Ce révisionnisme historique peut toutefois brouiller les pistes. Bien que nombre de ses partisans soient antisémites et glorifient le passé colonial, le mouvement Reichsbürger ne peut pas être spécifiquement défini comme un groupe d’extrémistes de droite. En réalité, seule une petite partie de ses membres peut être désignée comme telle.

En effet, l’un des critères essentiels pour définir l’extrémisme de droite est le rejet de la démocratie. Or, si de nombreux Reichsbürger refusent de reconnaître la légitimité de l’État démocratique allemand actuel, l’absence de vision unifiée au sein du mouvement ne permet pas de déterminer quel système serait préférable à leurs yeux : la monarchie constitutionnelle de l’empereur Guillaume II, l’expérience démocratique de l’Allemagne de Weimar ou la dictature de l’Allemagne nazie ? Toutefois, en ce qui concerne le complot qui vient d’être déjoué, le rôle clé dévolu à Heinrich XIII implique que l’objectif était la remise en place d’une monarchie constitutionnelle comparable à celle du régime de Guillaume II.

Une menace croissante ?

Certains partisans des Reichsbürger commencent manifestement à s’engager dans la violence politique. Les dernières arrestations font suite à de multiples autres incidents. En 2016, un policier a été tué lors d’un raid visant à confisquer la collection illégale d’armes d’un membre du mouvement. En août 2020, des membres du Reichsbürger ont tenté de pénétrer dans le parlement allemand pour protester contre les restrictions sanitaires visant à contenir l’épidémie de Covid-19.

La présence de militaires et d’une ex-députée parmi les 25 personnes arrêtées ce 7 décembre suggère que les Reichsbürger ne sont pas sans influence. L’AfD a longtemps nié tout lien avec le mouvement, mais s’est déplacée de plus en plus vers la droite ces dernières années. En 2019, le ministère allemand de l’Intérieur a déclaré avoir identifié quelques connexions isolées entre les Reichsbürger et l’AfD.

Les Reichsbürger pourraient être considérés comme un groupe marginal, mais leurs idées plaisent manifestement suffisamment à certains pour les convaincre qu’un coup d’État est une entreprise valable. Des liens avec des organisations plus influentes les rendraient plus dangereux ; c’est pourquoi cette affaire a été autant prise au sérieux par les autorités.

This article was originally published in English

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