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Qu’est-ce qui conduit le consommateur à haïr certaines marques ?

Le pouce en bas, symbole d'une réaction négative sur les réseaux sociaux.
Les réseaux sociaux permettent aujourd’hui d’exprimer très facilement un ressenti négatif vis-à-vis d’une marque. Shutterstock

Aujourd’hui, les marques suscitent de plus en plus de la part des consommateurs une hostilité farouche, allant même jusqu’à la haine. Cette haine envers les marques se répand très rapidement grâce à Internet et aux réseaux sociaux. Elle est devenue un affect revendiqué par les consommateurs partout dans le monde. En 2021, le média américain Rave Reviews avait analysé plus d’un million de tweets liés à des marques pour établir une liste des marques les plus détestées dans différents pays. L’exemple le plus illustratif de ce phénomène est celui de la marque Dolce & Gabbana : un déferlement de haine et de boycott après la diffusion d’une vidéo jugée raciste l’avait contrainte à se retirer du marché chinois en 2018.

Ce sentiment « destructeur » et les comportements négatifs qui en découlent constituent un défi majeur pour les managers. Malgré cela, la recherche ne les a pas étudiés en profondeur. De manière surprenante, la littérature s’est souvent davantage concentrée sur les relations positives entre les marques et les consommateurs (engagement, satisfaction, fidélité, amour, etc.).

Prenant appui sur des travaux en psychologie, nous avons mené notre recherche, publiée dans le Journal of Business Reseach, auprès de 977 consommateurs de marques de mode et de luxe. Cette étude examine la nature de la haine, ses antécédents et ses conséquences dans un contexte interculturel (France, Royaume-Uni et États-Unis) et propose quelques leviers aux managers.

Plus qu’une émotion négative

Notre travail de recherche montre que la haine de la marque n’est pas simplement un assemblage d’émotions négatives primaires (colère, dégoût ou répulsion) ressenties instantanément par le consommateur suite à une expérience déplaisante. Plus globale par nature, elle inclut également des émotions positives.

Ainsi, les consommateurs se réjouissent de tout ce qui arrive de fâcheux à la marque détestée (ils affirment, par exemple, que « le monde serait meilleur sans la marque X »). La haine de la marque correspond donc à une forme de sentiment négatif durable qui comprend à la fois deux éléments : le ressentiment profond et l’aversion. On parle de ressentiment profond lorsque les consommateurs éprouvent un sentiment négatif durable intériorisé qui leur donne moins de contrôle sur l’impact des choses et des événements. L’aversion est, quant à elle, un sentiment d’autodistanciation par rapport à la marque haïe, un indicateur de (dé)connexion personnelle avec cette marque.

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Notre recherche s’est efforcée d’examiner les concepts clés liés au comportement transgressif des marques pouvant conduire à leur haine. L’érosion de la confiance envers les marques et les comportements antiéthiques de ces marques apparaissent notamment comme des précurseurs puissants.

La violation de la confiance ou d’une valeur éthique (protection de l’environnement, responsabilité sociale, causes ou pratiques sociales) mène ainsi à la haine de la marque. Plus précisément, aussi bien en France qu’aux États-Unis et au Royaume-Uni, l’érosion de la confiance entraîne un sentiment d’aversion et les comportements antiéthiques provoquent un ressentiment profond.

Toutefois, les consommateurs français apparaissent comme les plus susceptibles d’éprouver un ressentiment profond quand la confiance envers les marques s’estompe. Lorsque les consommateurs américains détestent une marque, ils sont surtout influencés par le manque d’éthique. En revanche, on observe en France un impact plus faible (le plus bas parmi les trois pays) du comportement antiéthique sur le sentiment d’aversion.

Conséquences néfastes

Notre étude montre que, lorsque la haine empoisonne la relation entre la marque et le consommateur, ce dernier adopte des comportements négatifs tels que l’évitement, le boycott et/ou la protestation. En France et aux États-Unis comme au Royaume-Uni, le boycott et/ou la protestation se révèlent être la conséquence la plus forte. Notons ici qu’un sentiment d’aversion entraîne uniquement l’évitement de la marque, alors qu’un profond ressentiment implique en même temps l’évitement et le boycott et/ou la protestation.

D’un point de vue interculturel, la comparaison entre les trois pays montre d’abord que ce sont les Français qui sont les plus enclins à boycotter/protester contre une marque qu’ils détestent (score le plus élevé), ensuite que les Britanniques sont les plus susceptibles à la fois de boycotter/protester et d’éviter une marque pour laquelle ils éprouvent du ressentiment. Les Français et les Américains, quant à eux, parviennent à protester ou à boycotter une marque et, dans une moindre mesure, à l’éviter.

Sur le plan managérial, les marques connaissent ce phénomène et son caractère destructeur pour leur image. Cependant, jusqu’ici, elles ne disposent pas d’assez de leviers pour le juguler et maîtriser les comportements préalables à son apparition.

Les marques nationales et internationales doivent constamment chercher à parer aux événements négatifs les concernant. Pour cela, elles peuvent fournir régulièrement aux consommateurs des signaux sur leurs compétences, leur intégrité et leur bienveillance afin d’alimenter et de susciter le sentiment de confiance. Elles peuvent également suivre les plaintes des consommateurs sur toutes les plates-formes de médias sociaux et surveiller les avis et commentaires des clients insatisfaits – par exemple, grâce à l’intelligence artificielle – afin d’enrayer des spirales négatives.

Par ailleurs, les marques ont intérêt à éviter les comportements opportunistes et antiéthiques. Elles doivent non seulement agir de manière responsable et éthique, mais aussi communiquer continuellement et en toute transparence sur leurs engagements.

Enfin, à l’ère de la globalisation des marques, la prise en compte des variations et des nuances entre les différentes cultures est cruciale. En effet, bien que la haine de la marque soit un construit psychologique universel, son évaluation dans un contexte interculturel nécessite une calibration internationale précise de son échelle de mesure. C’est ce que ce travail de recherche a par ailleurs tenté de faire.

Pour conclure, nous dirons que la haine est un phénomène qui guette désormais toutes les marques. Quelques-unes commencent à admettre ouvertement dans leur publicité qu’une partie de la population les déteste (hate-acknowledging advertising). Ces nouvelles approches de la haine, très clivantes, peuvent certes générer du buzz et fédérer la fanbase. Mais ne conduisent-elles pas, in fine, à une forme de polarisation des marques ? La perspective d’une recherche sur ces nouvelles pratiques des marques semble particulièrement stimulante.

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