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« Quoi qu’il en coûte » : la relance économique porte le risque de futures crises pandémiques

Selon une étude publiée dans la revue Nature, plus de 300 nouvelles maladies infectieuses sont apparues entre 1940 et 2004 en raison de notre mode de développement. Philippe Lopez/AFP

D’aucuns pourraient voir dans la crise sanitaire que nous impose le Covid-19 un cygne noir, à savoir un événement extrêmement rare, dont l’importance n’a d’égale que son imprévisibilité. Ils se tromperaient lourdement tant les cris d’alerte quant à notre impréparation à faire face à des crises pandémiques de plus en plus probables se sont multipliés ces dernières années.

Considérés rétrospectivement, les propos tenus par Bill Gates, le fondateur de Microsoft, lors de sa conférence Ted de 2015 – dans laquelle il annonçait que nous n’étions pas prêts à faire face à une pandémie – sont, par exemple, proprement vertigineux.

Bill Gates : « La prochaine épidémie ? Nous ne sommes pas prêts. » (Ted, 2015).

La communauté scientifique internationale s’alarme depuis longtemps du poids des activités humaines sur l’augmentation de la probabilité de survenue de pandémies. Les catalyseurs de ces scénarios pandémiques sont en effet multiples, et très bien documentés.

Arrêtons-nous un instant sur les principaux.

Risques démultipliés

Tout d’abord, nos activités humaines nous rapprochent sans cesse de nouvelles sources de virus. L’intensification des exploitations agricoles dans les forêts primaires (soja, huile de palme, etc.), l’abattage illégal d’arbres et le trafic d’espèces protégées (dont le poids économique a été estimé par les Nations unies à 156 milliards d’euros), ne sont que quelques exemples de notre propension à empiéter de façon croissante sur les habitats naturels d’espèces animales potentiellement porteuses de virus.

C’est le cas en Malaisie où la destruction des forêts a déstabilisé l’habitat naturel de la chauve-souris dite « renard volant à tête grise » (Pteropus ollocephalus), capable de voler sur des milliers de kilomètres, et qui est porteuse de l’infection, potentiellement mortelle, du Nipah.

Ainsi, la revue Nature souligne qu’entre 1940 et 2004, ce sont 335 maladies infectieuses qui ont émergé du fait de notre mode de développement économique et de la poussée démographique qui l’accompagne. Parmi ces maladies, 71,8 % proviennent de la faune sauvage et 60,3 %, à l’instar du Covid-19, sont des zoonoses, c’est-à-dire transmissibles à l’être humain par l’animal.

Bien naturellement, ces risques se trouvent démultipliés du fait notamment de l’intensification du tourisme, mais aussi par la création de nouvelles routes commerciales maritimes et terrestres (à l’instar des nouvelles routes de la soie) en Asie.

Dans son ouvrage Comment l’Empire romain s’est effondré. Le climat, les maladies et la chute de Rome, l’historien américain Harper Kyle montre comment les agents pathogènes, et notamment la peste, ont émergé avec la hausse des températures et se sont propagés le long des voies romaines. Et ce sont déjà les routes de la soie que la peste noire de 1348 avait emprunté pour se diffuser en Occident.

Au XIVᵉ siècle, les agents pathogènes à l’origine de la peste noire avaient emprunté les routes commerciales jusqu’en Occident Ici, une iconographie de Boccaccio représentant la ville italienne de Florence in 1348). Wikimedia, CC BY

Partant de ce principe, il ne serait guère étonnant d’apprendre dans quelque temps que le SARS-CoV-2 a suivi les grandes autoroutes, touristiques et commerciales, de la globalisation.

Résurgences de virus

L’une des conséquences connues du dérèglement climatique est d’élargir les zones de propagation de certaines maladies. C’est notamment le cas de la malaria qui trouve désormais des conditions favorables à des latitudes et des altitudes plus élevées. La fièvre jaune brésilienne, dont le taux de létalité est compris entre 3 % et 8 %, suit ce même schéma. Elle a dépassé son « confinement » amazonien initial pour toucher désormais d’importants bassins de population tels que Rio de Janeiro ou Sao Paulo (30 millions d’habitants).

Par ailleurs, la fonte des sols gelés fait craindre la résurgence de virus enfouis dans le sol depuis fort longtemps. Un funeste exemple nous vient de la Sibérie où, en 2016, un enfant est décédé à la suite de son exposition à un bactérie (bacille d’anthrax) que la fonte du pergélisol avait libérée.

Cet exemple n’est pas un fait isolé. Ces dernières années ont vu certains virus, bactéries extrêmophiles et autres nématodes, parfois en « hibernation » depuis plus de 42 000 ans, être ramenés à la vie.

Avec la fonte des glaces, les virus menacent (France 24, 2018).

En parallèle du dérèglement climatique, la pollution de l’air n’est pas un problème de santé publique que nous pouvons nous contenter d’appréhender à travers les seuls chiffres de mortalité précoce – déjà alarmants – ou de frais médicaux qu’elle occasionne.

Des études en cours étudient les liens possibles entre le niveau de pollution de l’air et la propagation des coronavirus, ainsi que leur létalité.

Courage

À la lumière de ces éléments scientifiques, documentés de longue date, il est très difficile de s’exonérer de toute responsabilité dans la crise que nous traversons, et toutes celles restant à venir si nous n’infléchissons pas notre trajectoire.

Or, il est à craindre que pour éviter un scénario récessif planétaire, la tentation soit extrêmement forte de soutenir « quoi qu’il en coûte » la reprise économique, pour reprendre les mots du président de la République Emmanuel Macron dans son allocution du 12 mars dernier, une fois la période de confinement passé.

Quitte, pour cela, à soutenir en priorité des industries polluantes, comme en témoigne la décision américaine de suspendre (temporairement ?) les réglementations environnementales contraignantes. Ou à envisager de (re)nationaliser des fleurons industriels pourtant parmi les plus importants émetteurs de CO2.

Le 26 mars dernier, l’administration Trump a décidé de relâcher les contraintes environnementales pour soutenir économiquement les industries polluantes. Jim Watson/AFP

Quant à la relocalisation des activités de production stratégiques évoquée par Emmanuel Macron le 31 mars 2020, elle rimera – à périmètre technologique et de demande constant – avec relocalisation de la pollution associée au processus de production, sauf à l’accompagner de normes environnementales strictes.

Il n’y a pourtant aucune fatalité à s’enfoncer toujours plus profondément dans notre impasse collective et à ce que le « monde d’après » ressemble à s’y méprendre au « monde d’avant ».

Mais, en aurons-nous la volonté et le courage ? Aurons-nous le courage de faire en sorte que l’assouplissement des règles budgétaires de l’Union européenne du Pacte bénéficie prioritairement à des entreprises portant des projets authentiquement tournés vers le développement durable, plutôt que vers le soutien des industries (et des emplois) de l’économie héritée des révolutions industrielles ?

Dans son allocution télévisée du 12 mars dernier, le président de la République Emmanuel Macron a déclaré vouloir faire face à la crise « quoi qu’il en coûte ». Ludovic Marin/AFP

Aurons-nous le courage de rompre avec le dogme du pilotage comptable et du cost killing à outrance, et de renouer avec la qualité, au moment où il s’agira de repenser nos chaînes de valeur dont l’extrême fragmentation génère des coûts écologiques importants, en plus de renforcer notre dépendance aux puissances étrangères ?

Aurons-nous le courage de ne pas succomber aux sirènes de Pékin et à sa « diplomatie du masque » pour mieux réaffirmer le projet économique et social européen ? Aurons-nous le courage de déconcentrer nos réseaux de distribution alimentaire, et de soutenir l’agriculture biologique locale, pour ne pas affamer nos villes en cas de rupture des chaînes d’approvisionnement ? Et enfin, aurons-nous le courage de réapprendre la portée réelle de nos actes de consommation dont nous feignons d’oublier qu’ils ont un impact écologique et social majeur ?

S’il est bien une chose que la crise du Covid-19 nous a montrée de la façon la plus brutale qui soit, c’est l’extrême fragilité de nos équilibres socio-économiques. À défaut de saisir cette occasion historique de réinterroger la soutenabilité de notre système, la question ne sera pas de savoir si un nouveau cygne noir surviendra et nous submergera, mais quand.

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