Les spécialités culinaires du terroir sont aussi liées à la diversité du patrimoine géologique. Dans ce deuxième épisode de notre série « Géogastronomie, le goût du terroir », le géologue Patrick de Wever évoque l’influence des sols granitiques sur la gastronomie locale…
La Corse, comme beaucoup d’autres régions, possède ses spécialités culinaires : figatellu, lonzu, prisuttu, coppa… Ces charcuteries sont confectionnés à partir du porc noir corse, un animal qui se nourrit principalement de châtaignes et de glands à la saison froide. En parallèle, on y retrouve tout un ensemble de produits élaboré à partir de la châtaigne : de la bière Pietra, des gâteaux…
Quel rapport avec la géologie ? La Corse est une région majoritairement granitique. Les granites sont peu propices aux cultures car souvent acides et riches en silice. Le terrain est alors occupé par des arbres qui s’en accommodent : le châtaignier (Castanea sativa), en particulier, y prospère là où d’autres cultures échouent.
De fait, l’île de Beauté est couverte de châtaigniers, qui alimentent notamment le porc insulaire (le célèbre porc nustrale) à la base de la non moins célèbre charcuterie corse. Mais les châtaignes servent aussi à élaborer des farines utilisées sous diverses formes pour la gastronomie humaine.
Ces produits phares de la Corse sont donc liés à son sous-sol. C’est aussi le cas ailleurs, par exemple dans les Cévennes. Les granites favorisent également la croissance de toute une gamme de champignons, comestibles ou non.
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De la Corse aux Cévennes, granites et châtaignes
Traditionnellement, la châtaigne a longtemps été une nourriture de base dans les régions de sols granitiques. Non seulement en Corse, mais aussi en Italie, en Espagne et dans d’autres régions de France, comme les Cévennes.
Dans les Cévennes, les châtaigniers ont longtemps été exploités comme ressource agricole dans un but vivrier. Leur rendement était même supérieur à celui des céréales de la Beauce !
En plus d’être consommées directement, les châtaignes étaient également transformées en farine, utilisées en pâtisserie et en cuisine. La châtaigneraie constituait une ressource alimentaire fiable, notamment pendant les périodes de disette.
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L’arbre était désigné par les Cévenols comme « arbre à pain ». Certains l’appellent même « arbre à tout faire » ! Il servait à la fois pour l’alimentation des populations et des troupeaux, pour les constructions (le bois de châtaigner était réputé chasser les araignées et donc préservé de leurs toiles), la fabrication des outils, les meubles et la tonnellerie, le chauffage…
Le bois de châtaignier est d’ailleurs réputé pour sa durabilité et sa résistance aux intempéries. Cet arbre, symbole de résistance et de prospérité, en était devenu l’un des symboles du territoire. Les fêtes et traditions liées à la récolte des châtaignes perdurent encore aujourd’hui dans certaines régions, en France et à l’étranger.
Du châtaigner au mûrier et aux vers à soie
Mais les châtaigners, surtout au XIXe siècle, ont été sévèrement décimés par une moisissure des racines, un mildiou appelée Phytophthora, qui provoque une exsudation noire bleuâtre : la maladie de l’encre. Une fois contaminé, l’arbre meurt par la cime. Il fallait alors trouver d’autres arbres qui toléraient les sols acides.
Or, depuis le moyen-âge on élevait des vers à soie sur les mûriers, des arbres silicoles (qui aiment les terrains riches en silice)…
La prospérité des élevages de vers à soie des Cévennes a ainsi connu son apogée lors de la première moitié du XIXe siècle. La culture des mûriers (Morus alba) a permis l’élevage des vers à soie qui ont permis le développement de toute une industrie textile avec ces fils (chemises, bas…).
Voilà pourquoi les danseuses de French Cancan mettait des bas en soie des Cévennes !
Des granites appréciés des champignons
Les relations entre champignons et géologie sont tellement fortes qu’ils ont déjà été utilisés pour tracer les contours de certaines formations géologiques ! Ce fut par exemple le cas en Hongrie dans les montagnes du Bükk. Les cuisiniers, quant à eux, commencent par regarder le terrain où ils se situent avant de cueillir leur menu.
Sur les terrains siliceux, tels les granites, on retrouve certaines variétés de champignons, comme le cèpe de Bordeaux (Boletus edulis), le bolet orangé (Leccinum aurantiacum), les trompettes de la mort (Craterellus cornucopioides), la chanterelle, les pieds de mouton, les hydnes sinués, le bolet à pied rouge, la russule verdoyante, la russule charbonnière… Toute cette diversité est en outre appréciée des apiculteurs, car les abeilles s’y plaisent.
Les terrains argileux et acides, au contraire, sont indiqués par la girole, la chanterelle commune (Cantharellus cibarius), des lactaires poivrées (Lacterius piperatus), les russelles (Russella) et les amanites (Amanita).
Pour les amateurs de champignons, ces quelques éléments permettent de sélectionner les terrain à parcourir pour la cueillette…
Sur les terrains calcaires, en revanche, le cuisinier trouvera plutôt le mousseron (Calocybe gambosa, aussi connu sous le nom de Tricholome de la Saint-Georges) et la morille (Morchella rotunda).
Celle-ci préfère, de surcroît, les terrains frais.
Le lecteur m’en aurait voulu si, pour conclure, je ne mentionnais pas les truffes (Tuber melanosporum pour la truffe noire et Tuber aestivum pour la truffe blanche). Elle se cherchent dans des terrains très calcaires, et non pas granitiques.
Puisque les plantes se forment à partir des sels minéraux tirés du sol, il est logique que le sol ait une influence sur la plante, qu’il privilégie telle plante plutôt qu’une autre. Ces quelques exemples en fournissent une illustration.