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Rachat de Ouibus : l’ambitieux pari de BlaBlaCar

La compagnie de transport de passagers par autocars, future-ex filiale de la SNCF, a perdu 165 millions d'euros entre 2013 et 2017. Fortgens/Shutterstock

La loi du 6 août 2015 pour « la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » portée à l’époque par le ministre de l’Économie Emmanuel Macron sous un gouvernement de gauche, a été un symbole fort de la volonté de la libéralisation de l’économie. Le texte a notamment apporté un vrai bouleversement dans le secteur du transport routier en libéralisant sur le territoire national le transport de passagers par autocars. Des autocars auxquels on a rapidement collé l’étiquette de « cars Macron ».

Trois ans après, il semble que ce nouveau secteur ne soit pas encore stabilisé. Pour le moment, les principaux opérateurs (Ouibus, Isilines, Flixbus) ne sont toujours pas rentables, même si on note des améliorations du fait d’une plus grande rationalisation des dessertes. Par ailleurs, on a appris mi-novembre que Ouibus, lié à la SNCF, l’opérateur le plus ancien et le plus puissant du marché, va être racheté par BlaBlaCar, la pépite française du covoiturage. Le tout sur fond de lourdes pertes de la future ex-filiale de l’entreprise publique : 165 millions d’euros entre 2013 et 2017.

Stratégie intenable

Pourquoi la SNCF se retire-t-elle de ce secteur ? Au-delà des pertes, il faut déjà rappeler que la stratégie de Guillaume Pépy, le patron du groupe ferroviaire, de se lancer dans la course des cars Macron en 2015 avait été contestée en interne. Cette stratégie est aujourd’hui devenue intenable avec le développement des trains à tarif discount OuiGo – concurrents directs des Ouibus puisque les tarifs sont comparables.

Par ailleurs, étant donné sa situation financière et la réforme votée par les députés avec l’ouverture de son marché à la concurrence, la SNCF doit désormais impérativement se concentrer sur le transport ferroviaire, son cœur de métier.

Un cœur de métier qui ne semble pas avoir souffert de l’arrivée des cars Macron. Contrairement à ce que l’on pouvait craindre, cette nouvelle offre de transport n’a en effet pas affecté le trafic de la SNCF, qui affichait d’excellents chiffres de fréquentation en 2017. D’après le dernier rapport de l’autorité de régulation du secteur, l’Arafer, un peu moins de 20 % des passagers n’auraient pas effectué leur déplacement si l’offre n’avait pas existé. Parmi les quelque 7,1 millions de personnes (+15 % en un an) qui ont été transportées en 2017 en car figurent notamment beaucoup d’étudiants et de retraités. Autrement dit, des personnes à faibles revenus qui n’ont pas les moyens de voyager en TGV.

La compagnie ferroviaire a donc décidé de tirer un trait sur son activité bus, qu’elle cède à BlaBlaCar pour un montant inconnu.

Nouvelles lignes en Europe

Si la stratégie de sortie de la SNCF se conçoit aisément, il n’en va pas de même pour BlaBlaCar qui accélère aujourd’hui son développement. En parallèle du rachat de Ouibus, le spécialiste du covoiturage a annoncé lever 101 millions d’euros auprès de ses investisseurs historiques et, surprise, de la SNCF également. Il estime être en mesure de pouvoir poster ses offres de trajets en bus et de covoiturage sur la plate-forme de réservations oui.sncf dès la fin de l’année 2018. Ce rapprochement entre le covoiturage et les cars longue distance a du sens aux yeux des dirigeants. « Ce rapprochement permettrait à tous les voyageurs de trouver sur BlaBlaCar une solution de mobilité longue distance qui convienne à la diversité de leurs besoins », se réjouit notamment Nicolas Brusson, cofondateur et directeur général de BlaBlaCar. Un bien beau discours.

En effet, si l’analyse du marché montre que les clientèles des cars Macron et du covoiturage sont voisines, il n’est pas du tout évident qu’il existe une complémentarité entre ces deux moyens de transport. Alors que le covoiturage permet de trouver un transport direct entre villes, même petites, il n’en va pas de même pour le bus. Enfin, la flexibilité des deux moyens de transport ne sont pas comparables. Il n’est pas donc certain que les usagers de BlaBlaCar se reportent sur Ouibus.

Avec cette acquisition, BlaBlaCar change également de business model. Alors que cette entreprise se résumait à une plate-forme de mise en relation des voyageurs avec des conducteurs d’automobiles se déplaçant vers la même destination, elle devient partiellement une entreprise de transport classique de bus, ce qui nécessite des investissements et des frais de fonctionnement beaucoup plus lourds. La gestion d’une flotte de cars et de chauffeurs n’a rien de comparable avec la gestion d’une plate-forme qui prélève des fees (Trad. : commissions) sur les trajets effectués. Un autre challenge attend les dirigeants de BlaBlaCar : l’intégration de collaborateurs venant de Ouibus. Une intégration difficile du fait des différences de culture d’entreprise (celle de la SNCF) et des habitudes de travail fort éloignées de celle de la start-up.

Mais les dirigeants restent confiants. Selon eux, le manque de rentabilité du transporteur de personnes par autocar s’expliquerait d’abord par une offre trop centrée sur son marché domestique. Ils estiment que la notoriété de la marque BlaBlaCar devrait soutenir le développement de nouvelles lignes en Europe, une échelle où la concurrence est féroce. La partie n’est pas donc finie pour les cars Macron, mais leur avenir repose aujourd’hui sur un pari ambitieux.

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