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Réforme des institutions : mais qu’allait faire Macron dans cette galère ?

A l'Elysée, le 23 mai 2019. Ludovic Marin / AFP

Mais pourquoi s’était-il engagé dans cette manœuvre délicate ? Le président Macron avait mis l’accent, le 3 juillet 2017, sur cet objectif lors de son discours-fleuve devant le Congrès : je veux changer les institutions. Remodeler les règles de fonctionnement de la Ve République, quoi de plus tentant pour un président qui voulait redonner sa stature au nouveau locataire de l’Élysée ? Il s’y était engagé durant la campagne.

Mais depuis, ce projet de réforme l’encombre inutilement et le discours de politique générale de son premier ministre, le 12 juin dernier, s’il maintient un certain nombre d’éléments, vient liquider provisoirement l’opération :

« Nous attendrons le moment propice et la manifestation de volonté du Sénat, qui peut-être ne viendra qu’après le renouvellement de la Haute Chambre en 2020 ».

D’ici là…

La bataille des effectifs parlementaires

La réduction du nombre de parlementaires vise moins à réaliser des économies (peu à la mesure des enjeux) qu’à redéployer celles-ci en faveur d’un travail « de contrôle et d’évaluation des politiques publiques ». Un tel discours est cohérent avec celui voyant dans la haute administration l’origine de tous les maux.

Mais elle ne devrait pas améliorer l’efficacité des assemblées. Au contraire, si l’on considère que, depuis la réforme constitutionnelle de 2008, le centre de gravité est descendu dans les commissions de l’Assemblée nationale – à tel point que les postes de rapporteur sont désormais prisés –, il est préférable que celles-ci demeurent bien garnies.

C’est d’ailleurs dans l’essor de ces commissions et le plein recours aux possibilités qui s’offrent à elles que le vrai contrôle parlementaire peut s’exercer. Encore faudrait-il qu’elles se voient affecter de vrais moyens humains (à l’instar du parlement britannique ou du Congrès américain) et qu’elle puisse contraindre l’administration à fournir les données et ouvrir ses archives. Or rien n’a été véritablement envisagé en ce sens.

Le président a depuis abaissé son projet de réduction du nombre de parlementaires de 30 à 25 %, mais les exigences de Gérard Larcher – qu’après la réforme le nombre de départements tombant à un député et un sénateur ne dépasse pas la vingtaine – limiteraient la baisse à 12 ou 13 %. Difficile de compenser en réduisant davantage les effectifs des départements les plus peuplés, donc urbains sans risque de constitutionnalité (rupture d’égalité dans la représentation des citoyens).

Ajoutons que cette surreprésentation des territoires ruraux n’enthousiasme pas les responsables d’En marche, mouvement essentiellement urbain, alors que l’accroissement de la taille des circonscriptions (par réduction du nombre de députés élus au scrutin uninominal) tendrait à privilégier les mouvements politiques les plus importants.

Enfin, la France ne se caractérise pas par un nombre pléthorique de parlementaires au regard de sa population et si l’on maintient le principe de la démocratie représentative, il faut garder un rapport raisonnable entre le député et le nombre de citoyens qui peuvent le saisir – ce que la réforme mettrait en danger.

La proportionnelle, une dose pour rien ?

Le recours à la proportionnelle, quant à lui, a été plaidé par divers projets de réformes : le comité Balladur sur la modernisation des institutions en 2007, la commission Jospin sur la rénovation de la vie publique en 2012, et le groupe de travail de Claude Bartolone et Michel Winock sur l’avenir des institutions en 2015. Il est désiré par des partis nouant difficilement des alliances (Rassemblement national, France insoumise).

Le scrutin proportionnel reflète plus honnêtement la réalité des préférences politiques de nos concitoyens et peut se traduire par un regain possible de participation. Il a été présenté comme tel par le candidat Macron.

Sur les bancs de la France insoumise, à l’Assemblée nationale, le 19 juin 2019. Kenzo Tribouillard/AFP

Toutefois, une étude du think tank Terra Nova montre qu’en dessous d’une dose de 25 %, l’impact est assez secondaire sur la formation d’une majorité. Or, la dose proposée par le projet est de 15 %.

Enfin, notons la limitation (à trois) dans le temps du nombre des mandats de parlementaires et de présidents d’exécutif : les assouplissements en cours de préparation ont finalement permis d’établir un consensus avec le Sénat.

La tentation de la procédure accélérée

L’exécutif souhaite d’abord accélérer l’élaboration des textes en reprenant la maîtrise de l’agenda parlementaire, dont le partage avait été rééquilibré à son détriment par la réforme de 2008 (deux semaines sur quatre à l’initiative des députés). Le projet de loi redonne à l’exécutif une de ces deux semaines. Mais la pratique depuis 2008 voyait déjà cette semaine concédée aux projets de loi gouvernementaux.

Ensuite, le recours plus systématique à la procédure accélérée (une seule lecture dans chaque chambre) ne fait que confirmer une dérive déjà constatée dans la pratique ces dernières années.

Enfin, pour accélérer le processus de navette à l’issue de la commission mixte paritaire, le gouvernement désirait pouvoir demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement sur le dernier texte qu’elle avait voté après une dernière lecture au Sénat.

Une telle modification, peu substantielle et confortée par l’avis du Conseil d’État sur le projet déposé en mai 2018, nécessite néanmoins une loi constitutionnelle, entérinée par un vote à la majorité dans les deux assemblées – et donc avec les voix de la droite sénatoriale –, puis par les 3/5e du Parlement réuni en Congrès ou par référendum.

Le droit d’amendement préservé

Le droit d’amendement, que le projet gouvernemental voulait sérieusement réduire, n’est en fait pas véritablement entamé. Il s’agissait d’empêcher que la multiplication abusive de ceux-ci ne masque une volonté d’obstruction. En fait, la mise en place du temps législatif programmé (TLP) à l’Assemblée nationale permet déjà de fixer à l’avance la durée de l’examen d’un texte en séance, évitant ainsi cet écueil.

Avec la réforme auraient été désormais irrecevables les « propositions ou amendements qui ne sont pas du domaine de la loi », qui sont « sans lien direct avec le texte » ou sont « dépourvus de portée normative ». Le gouvernement peut déjà largement déclarer l’irrecevabilité des amendements sans lien avec le texte en discussion.

Les deux autres items sont bienvenus, et la jurisprudence du Conseil constitutionnel censure les textes incantatoires, et devrait, au fil des saisines, préciser ce concept encore flottant qu’est la normativité d’un texte.

Le RIP plutôt que le RIC

Dévoilé dans ses grandes lignes dans l’édition du Monde du 31 mai, le projet de réforme des institutions, remanié après le grand débat national et confirmé dans le discours de politique générale du premier ministre prendrait acte de l’évolution de l’humeur et du contexte en renvoyant aux assemblées le soin de décider de l’évolution de leur procédure.

Il aborderait, en revanche la question du référendum en renforçant les possibilités de recours au référendum d’origine présidentielle (article 11 C) et en assouplissant les modalités de déclenchement du référendum d’initiative partagée (excuse pour enterrer l’autrement plus dangereux référendum d’initiative citoyenne) : si celui-ci est facilité en abaissant le seuil de déclenchement tant du côté du nombre des citoyens que de parlementaires soutenant l’initiative, son effet serait encadré.

En effet, il ne pourra pas avoir pour objet l’abrogation d’une disposition promulguée « depuis moins de trois ans », au lieu d’un an dans la rédaction actuelle, ni d’« une disposition en cours de discussion au Parlement ». L’exécutif tire les leçons de la surprise créée par l’initiative de parlementaires de gauche et de droite désireux d’empêcher la privatisation d’Aéroports de Paris, dont le RIP a reçu le feu vert du Conseil constitutionnel.

Une réforme pas si urgente

Le Président a également concédé un renforcement de la décentralisation (dont seul le droit à la différenciation dans l’application des normes et la spécificité corse nécessitent une révision constitutionnelle) et a précisé la transformation du CSE comme une chambre de la démocratie participative pouvant recourir à des consultations de citoyens tirés au sort.

Dans son discours de politique générale, Édouard Philippe attribue implicitement le report de la réforme à la résistance du Sénat. Rien n’interdit pourtant de faire voter l’introduction de la proportionnelle par la loi ordinaire, ni la réduction du nombre de parlementaires par la loi organique. Pour cette dernière, un vote identique ne pouvant être acquis, il reviendrait à l’exécutif de prendre le risque de recourir au référendum, dont le sujet passionnerait peu, sauf à se transformer en plébiscite pour ou contre le gouvernement.

Au fond, le rythme élevé des réformes mené par l’actuel gouvernement semble prouver que… la réforme n’est pas si urgente. Car l’impensé des réformes permet de faire l’économie de l’élément clé : le fait majoritaire qui, si la discipline des partis perdure – et les députés d’En marche ont répondu aux attentes de l’exécutif en la matière – rend un peu vaine toute sophistication des procédures de contrôle parlementaire.

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