Avec la réforme du bac général et la fin des filières S/L/ES, l’organisation des études de lycée autour du « groupe-classe » (jugée structurante, et même rassurante, pour certains) laisse place à un système « modulaire », où les options tendent à devenir dominantes. Beaucoup s’inquiètent de la liberté qui serait trop tôt donnée aux jeunes de choisir leurs cursus.
La structuration en classes respecterait un ordre naturel tenant compte de la jeunesse des élèves, qui devraient être soutenus, voire contenus, par des repères collectifs à leur portée avant de pouvoir aborder la complexité et la diversité des parcours universitaires. Le groupe devrait ainsi l’emporter sur l’individu, et pas l’inverse.
Mais il se peut aussi que la mise en place de cette organisation réponde plus à des évolutions historiques qu’à des préoccupations psychologiques.
Écoles centrales
Ce sont les Frères de la Vie commune qui ont inventé en Hollande, à la fin du Moyen Age, un type de collège structuré en classes, chacune étant conférée à un maître. Au cours du XVIIIe siècle, notamment dans les collèges jésuites, on tend peu à peu vers une adéquation entre classes scolaires et classes d’âge.
Sous la Révolution française, des écoles d’enseignement secondaire – les « écoles centrales » (une au centre de chaque département) – sont fondées par deux lois successives, en février et octobre 1795.
Alors que les collèges d’Ancien Régime étaient structurés en classes (selon les divisions d’un traité de grammaire, puis selon la « ratio studorium » des Jésuites), les écoles centrales sont organisées par sections, dans lesquelles on choisit librement tel ou tel cours.
Il n’y a ni progression ni cursus officiel imposé. Et bien sûr pas de « groupe-classe ». Chaque élève explore et choisit son cheminement : il s’agit pour chacun de se construire, de s’orienter, d’essayer et de se trouver librement.
« L’analyse du fonctionnement réel des écoles centrales montre que le principe de la liberté de choix des cours par les élèves a été respecté. Sous la dénomination commune d’école centrale, des modèles très différents ont coexisté : les combinaisons de cours vont de cinq dans l’Indre à trente-neuf dans l’Aveyron. » (« Atlas de la Révolution française », EHESS, 1987)
Création du lycée
Contrairement à ce qui a été prétendu par leurs contempteurs, « ce n’est pas leur insuccès qui a entraîné la disparition des écoles centrales […]. Il est même remarquable qu’en si peu de temps et avec tant de difficultés de tous ordres, la plupart des écoles centrales se soient ouvertes et que beaucoup aient eu une pleine activité », rappelle l’historienne Françoise Mayeur, dans Histoire de l’enseignement et l’éducation en France (Nouvelle librairie de France, 1981).
« L’école centrale, enfant de la Convention (républicaine), n’est pas dans l’esprit du régime (consulaire) qui s’installe […]. En définitive l’école centrale disparaît pour des raisons beaucoup plus politiques que pédagogiques », ajoute Françoise Mayeur.
Après le coup d’État du 18 brumaire an VIII (novembre 1800), il s’agit de remettre de « l’ordre » après 11 ans de « révolution » républicaine. Une réforme de l’enseignement est longuement discutée au Conseil d’État, et le Premier consul Napoléon Bonaparte participe personnellement aux débats. La pièce maîtresse du projet voté le 1er mai 1802 réside dans la création du « lycée » : il y en aura un par arrondissement de tribunal d’appel, et chaque création entraînera la fermeture d’une « école centrale ».
Alors que les « écoles centrales » étaient dirigées par une direction collégiale d’enseignants, les « lycées » seront gouvernés par un « triumvirat » administratif : le proviseur, le censeur, et un « procureur gérant » (à l’instar du « triumvirat » des trois consuls qui gouverne alors la France).
Appartenance de groupe
Les humanités classiques redeviennent alors quasi hégémoniques (à l’imitation des collèges d’Ancien Régime). « Il faut que l’enseignement soit avant tout judicieux et classique. Avant tout, mettons la jeunesse au régime des saines et fortes lectures. Corneille, Bossuet, voilà les maîtres qu’il lui faut. Cela est grand, sublime et en même temps régulier, paisible, subordonné. Il faut des conseillers d’État, des préfets, des officiers, des professeurs. Telles étaient les idées du maître (à savoir Napoléon) » (Louis Madelin, La nation sous l’Empereur).
Les élèves sont regroupés en compagnie de vingt-cinq. Les mouvements, le début et la fin des cours sont scandés par le roulement du tambour. Les déplacements se font en rang par deux, et les élèves portent l’uniforme fixé par arrêté. Le groupe et l’appartenance de groupe doivent l’emporter sur l’individu.
Alors que les « écoles centrales » fonctionnaient selon un mode que l’on peut qualifier d’optionnel voire de modulaire, avec la création des lycées, c’est le retour des cours successifs et gradués. La classe est au centre du système ; et le « groupe-classe » l’emporte et domine. C’est l’une des modalités de la « remise en ordre » contre les « risques » des écarts possibles de l’individu, de l’individualisme.