Présentation des résultats d’une enquête conduite auprès de plus de 18 000 personnes dans dix pays de l’UE à propos de leur perception de ce que devrait être la politique d’asile de leurs pays respectifs et de l’Union, dans le contexte de la guerre en Ukraine, laquelle a suscité un afflux massif de réfugiés, et de l’adoption du Pacte sur l’immigration et l’asile.
Les thématiques de la migration et de l’asile suscitent régulièrement la controverse en Europe. De profonds clivages se sont fait jour entre les États membres de l’UE sur ces sujets, qui se sont trouvés au cœur des élections européennes de juin dernier. Les partis politiques de chaque pays ont alors proposé des mesures très variées, allant du triplement des effectifs de Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, à sa dissolution complète.
En avril, le Parlement européen a adopté un pacte sur l’immigration et l’asile. Ce texte, qui était [en préparation depuis près de dix ans], vise à améliorer le contrôle des frontières extérieures de l’UE et à faciliter le retour des demandeurs déboutés dans leur pays d’origine. Il introduit également un certain nombre de « mesures de solidarité » en vertu desquelles les pays les moins sollicités doivent apporter leur soutien à ceux qui reçoivent un plus grand nombre de demandes d’asile. Enfin, il autorise les demandeurs d’asile à occuper un emploi rémunéré si leur demande est traitée en plus de six mois.
Toutefois, les détracteurs du pacte affirment que certaines de ses dispositions portent atteinte aux droits humains des demandeurs d’asile en limitant leur droit à faire appel en cas de décision défavorable.
Les gouvernements polonais et hongrois ont voté contre le pacte et déclaré qu’ils ne le ratifieraient pas. Ces deux pays, ainsi que la République tchèque, avaient déjà enfreint la législation européenne en 2015 en refusant d’accepter des demandeurs d’asile relocalisés depuis d’autres États membres.
Notre récente étude montre que les citoyens européens ne sont pas aussi polarisés sur cette question que leurs gouvernements. Dans tous les États membres, les citoyens ont sur cette question des préférences remarquablement similaires ; ils sont notamment favorables, à une large majorité, à ce que les demandeurs d’asile soient autorisés à travailler dans les pays d’accueil.
Nous avons interrogé 18 176 personnes dans dix États membres de l’UE (Allemagne, Autriche, Bulgarie, Croatie, Danemark, Espagne, Hongrie, Pologne, Portugal, Slovénie) sur leurs souhaits en matière de politique d’immigration et d’asile.
Nous leur avons demandé de s’exprimer sur un certain nombre de sujets précis : le contrôle des frontières extérieures de l’UE ; la répartition des demandeurs d’asile entre les États membres ; la liberté de circulation ; le droit au travail ; et le coût de la politique pour le contribuable moyen. Les personnes interrogées ont été invitées plusieurs fois à choisir entre deux propositions politiques différentes.
Il s’est avéré que les sondés étaient 17 à 18 % plus susceptibles de choisir une politique autorisant l’accès au marché du travail plutôt qu’une politique « sans droit au travail ». Toutefois, ils ne sont pas majoritairement favorables à la liberté de circulation des demandeurs d’asile et préféreraient que ceux-ci vivent dans un lieu désigné (les répondants sont 8,3 % plus enclins à choisir cette dernière option plutôt que la première).
Cet article est cité dans l’émission « Accents d’Europe », sur RFI, dont The Conversation France est partenaire]
Sans surprise, nous avons constaté que la plupart des gens souhaiteraient une politique peu coûteuse (les répondants étaient 15 % plus enclins à choisir cette option plutôt qu’une politique onéreuse). Et, bien qu’ils soient favorables à une protection accrue aux frontières extérieures de l’UE, cet aspect n’est pas primordial à leurs yeux.
Ces préférences sont communes aux citoyens interrogés dans tous les pays, indépendamment de leur âge, de leur sexe ou de leur niveau d’éducation.
Les citoyens des pays ayant connu un afflux important de demandeurs d’asile par le passé (Allemagne, Espagne, Autriche, Portugal) aimeraient pouvoir relocaliser les nouveaux demandeurs dans des pays moins sollicités. Pour les habitants des autres pays, la question de la répartition des demandeurs d’asile entre les États membres n’a qu’une importance marginale : les gens sont généralement plus préoccupés par la politique nationale que par des solutions à l’échelle de l’UE.
L’effet de la guerre en Ukraine
Nous avons recueilli des données juste avant le déclenchement de la guerre en Ukraine et nous avons effectué un suivi en Pologne, en Hongrie et en Allemagne immédiatement après. Nous voulions savoir si la tension liée à la présence soudaine de millions de réfugiés de guerre modifiait les attentes des gens en matière de politique d’asile dans les pays les plus touchés.
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Dans les semaines qui ont suivi l’invasion russe, plus de 6 millions de réfugiés ukrainiens sont entrés sur le territoire de différents pays de l’UE. Ils ont été accueillis par une vague massive de soutien et se sont vu offrir une protection temporaire spéciale leur permettant de trouver un emploi et de se réinstaller librement au sein de l’UE.
Les sociétés d’accueil ont subi des pressions considérables, l’arrivée massive d’Ukrainiens impliquant une demande accrue de services sociaux et une concurrence plus forte sur le marché du travail. Mais la proximité de la guerre et la similitude culturelle des réfugiés avec les citoyens de l’UE ont pu rendre ces derniers plus ouverts à l’égard des demandeurs d’asile.
Les recherches portant sur les préférences pour différents types de migrants ont montré qu’il y avait eu peu ou pas de changement dans l’attitude générale des Européens à l’égard des réfugiés et des demandeurs d’asile à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine.
Nous avons réinterrogé les personnes que nous avions déjà rencontrées en Allemagne, en Pologne et en Hongrie – les pays les plus exposés à l’afflux de réfugiés en provenance d’Ukraine dans notre étude initiale – pour comprendre si la guerre les avait amenées à modifier leurs préférences. Il est intéressant de noter que les citoyens polonais et hongrois se sont montrés plus enclins qu’auparavant à accorder aux demandeurs d’asile l’accès au marché du travail, et légèrement plus ouverts à leur liberté de circulation.
Si les gouvernements restent divisés sur ces questions, notre enquête montre que les citoyens européens sont, dans une large majorité, favorables à une politique d’hospitalité prudente. Dès lors, il est permis d’espérer que, au lieu de diviser l’Europe, la question de l’immigration puisse au contraire renforcer son unité, et que l’UE finisse par adopter une politique migratoire qui soit à la hauteur de ses valeurs. Toutefois, pour que cela se produise, les dirigeants politiques de l’UE devront écouter leurs électeurs…