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Régimes spéciaux : quel coût pour l’État ?

Les droits spécifiques comme la possibilité de partir en retraite plus tôt coûteraient entre 2 et 3 milliards d’euros par an au contribuable. Christophe Archambault / AFP

Aujourd’hui, si 80 % des actifs dépendent du régime général des salariés du privé, il existe encore d’autres grands types de régimes des retraites : le régime de la fonction publique subdivisé en fonction publique d’État, fonction publique territoriale et hospitalière ; les 11 régimes des indépendants ; et enfin une vingtaine de régimes spéciaux propres à un métier ou à un secteur d’activité qui ne relève ni de la fonction publique ni des indépendants.

Si ces derniers offrent tous des retraites plus avantageuses (la palme revenant de loin aux sénateurs, puisqu’un euro cotisé leur assure sur fonds publics 6 euros de prestation, contre 1,5 euro dans le régime général), ils restent numériquement anecdotiques, à l’image de celui de l’Opéra de Paris et de la Comédie française, ou en voie d’extinction comme le régime des mineurs.

Les enjeux de financement public ne concernent vraiment que trois régimes : celui des industries électriques et gazières (IEG) qui regroupe 158 entreprises comme EDF et Engie, celui de la SNCF et celui de la RATP.

Des avantages toujours importants

Les pensions des régimes spéciaux sont aujourd’hui plus élevées que dans la fonction publique, elles-mêmes supérieures au secteur privé. Ainsi pour les nouveaux retraités de 2017, la pension brute moyenne en équivalent carrière complète s’élève à 3 592 euros pour les IEG, à 2 636 euros à la SNCF et à 3 705 euros à la RATP contre 2 206 euros pour les fonctionnaires civils de l’État.

Cour des comptes, selon les données des régimes.

Ces écarts, qui s’expliquent en partie par des écarts de qualification, se sont accrus depuis 2010. Selon la Cour des comptes, les écarts sont significatifs puisque les retraités ayant accompli une carrière complète nés entre 1940 et 1946 perçoivent, à la RATP et de la SNCF une pension supérieure de 24 % de celle des anciens salariés du secteur privé des transports.

Quant à la pension de réversion, versée au conjoint ou à la conjointe en cas de décès, elle est, comme dans la fonction publique, versée sans condition d’âge ou de ressources.

Autre différence majeure, l’âge conjoncturel moyen de départ à la retraite est toujours plus bas : en 2017 il est de 57,7 ans pour les IEG, 56,9 ans pour la SNCF et 55,7 ans pour la RATP, contre 61 ans dans la fonction publique civile d’État et la fonction publique territoriale, et 63 ans dans le régime général. Si l’on constate en 10 ans une élévation de un à deux ans pour l’ensemble des régimes, l’écart avec la fonction publique ne se réduit pas, l’âge conjoncturel de départ ayant même augmenté plus vite dans la fonction publique.

Cour des comptes, selon les estimations par les régimes des âges conjoncturels de départ à la retraite

Il faut toutefois noter qu’il n’y a pas de différence dans l’espérance de vie à 60 ans des hommes entre ces régimes : celle des retraités du privé estimée en 2010 à 22,9 ans dans les IEG, 22,1 ans à la SNCF, 22,0 ans à la RATP et, selon l’Insee, à 22,4 ans au sein de la population française, il en est de même quand on compare des catégories professionnelles proches (cadres, employés, ouvriers).

Financements publics en hausse

Si les cotisations salariales et patronales qui assurent l’équilibre du régime général ne permettent pas aux trois régimes d’être financés, il existe des différences notables entre eux. Ainsi, l’ensemble de ces cotisations représentent 68 % de pensions de retraite pour les IEG, mais seulement 36 % à la SNCF et 41 % à la RATP.

Dans le détail, les salariés cotisent à hauteur de 12,73 % de leur salaire dans les IEG, à 9,06 % à la SNCF et à 12,95 % à la RATP, contre 11,31 % dans le régime général du secteur privé.

Comptes de la CRP RATP, de la CPRP SNCF et de la CNIEG.

Chez les employeurs, les entreprises des IEG versent des cotisations supérieures de 70 % de celles des employeurs du privé et la SNCF de 30 %, la RATP versant des cotisations équivalentes aux employeurs privés. Pour les trois régimes, l’équilibre du système est toujours assuré in fine sur fonds publics.

Subvention démographique

Selon les dernières données concernant l’année 2017, ces financements publics s’élevaient au total à 5,5 milliards d’euros, soit 28 % des retraites dans le cas des IEG, 62 % à la SNCF et 59 % à la RATP, en hausse au cours de la dernière décennie (+8 points pour le régime de la RATP, +5 points pour le régime de la SNCF et +2 points pour celui des IEG). `

Pour les IEG, le financement public passe par la contribution tarifaire d’acheminement (CTA) une taxe affectée payée par tous les consommateurs (à l’exception des personnels et des retraités des IEG), représentant plus d’1,5 milliard d’euros en 2017. Pour la SNCF et la RATP il s’agit d’une dotation annuelle de l’État, respectivement de 3 280 et 681 millions d’euros, pour ce total de financement public d’équilibre de 5,5 milliards d’euros.

Une part importante du financement public compense le déficit démographique de ces régimes, car leur ratio nombre de cotisants/retraités est plus dégradé que la moyenne nationale ce qui implique, dans un régime par répartition, une subvention dite démographique. En effet, le régime général concerne 18 millions d’actifs pour 15 millions de pensionnés, mais les trois régimes comptent tous plus de retraités que de cotisants.

Ainsi les IEG versent 175 000 pensions (dont environ 135 000 de droits directs et 40 000 réversions) pour 140 000 salariés, la SNCF 261 000 pensions (dont 177 000 de droit direct) pour 143 000 cotisants et la RATP 46 000 pensions (dont 35 000 de droit direct) pour 42 000 cotisants.

Cour des comptes, d’après les données des régimes.

La subvention publique s’explique donc en partie par cette subvention démographique qui représente en 2017 environ 60 % du total des financements publics (2,2 milliards d’euros) à la SNCF, un tiers chez les IEG, (800 millions d’euros), mais seulement 10 % des financements publics à la RATP (80 millions d’euros au plus). Au total, pour les trois régimes, on peut estimer la subvention démographique à un peu plus de moitié des financements publics (environ 3 milliards d’euros).

Droits spécifiques

Connaissant le coût du financement public pour chacun des trois régimes à savoir 1,5 milliard pour l’IEG, 3,3 milliards pour la SNCF et 700 millions pour la RATP, ainsi que le coût de la compensation démographique, il est aisé d’en déduire le coût des avantages catégoriels octroyés par les trois régimes pour les contribuables, comme la possibilité de partir plus tôt à la retraite.

Toujours en 2017, il est au total de 2,5 milliards, soit 700 millions pour l’IEG, 1,1 milliard pour la SNCF et 700 millions pour la RATP. Il représente environ 55 % des droits spécifiques des régimes IEG et SNCF et même 100 % des droits spécifiques versés par le régime de la RATP (au moins 260 millions d’euros).

Les grandes lignes de la réforme des retraites annoncées le 11 décembre par le premier ministre Édouard Philippe prévoient une lente convergence des régimes de retraite vers un régime universel à points qui ne s’appliquera vraiment que dans plusieurs années.

D’ici là les avantages catégoriels de ces trois grands régimes spéciaux salariés resteront financés par les contribuables à hauteur de 2 à 3 milliards d’euros par an.

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